Un peu d’histoire: L’aventure Dada de Tzara

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Gabriel Senneville. Photo: Mathieu Plante
Gabriel Senneville. Photo: Mathieu Plante

«Regardez-moi bien!
Je suis idiot, je suis un farceur, je suis un fumiste.
Regardez-moi bien!
Je suis laid comme vous tous!»

Par ces mots commence l’un des sept manifestes Dada de Samuel Rosenstock, alias Tristan Tzara. Figure d’importance au sein du mouvement Dada, né des suites de la Première Guerre mondiale, l’œuvre de Tzara et des nombreux dadaïstes est caractérisée par cette volonté de provocation, ainsi que d’un profond nihilisme.

Pour Tristan Tzara, «Dada est née exclusivement de la guerre et contre la guerre» (Janover, 1989). Ce qui est fondamentalement caractéristique des membres du mouvement Dada, c’est leur prise de conscience face au caractère absurde de leur époque (Béhar & Carassou, 1990). L’absurdité de l’existence, mais aussi des conséquences de la Guerre de 1914-1918 a engendré, selon ces artistes, une crise fondamentale des valeurs au sein des sociétés d’avant-guerre. Pour eux, la guerre a été le catalyseur d’idées artistiques nouvelles.

«Dada est née exclusivement de la guerre et contre la guerre.» — Tristan Tzara

Ces idées? Le refus et la négation de la guerre, mais aussi des valeurs dites bourgeoises. Influencée par les philosophes et auteurs tels que Friedrich Nietzsche et Mikhaïl Bakounine, la création de ce mouvement artistique était le reflet de ce rejet absolu de leur époque. Pour Hugo Ball, membre fondateur du mouvement Dada: «Ce que nous appelons dada est une bouffonnerie du néant dans laquelle toutes les plus graves questions sont mêlées. Le dadaïste aime l’insolite, l’absurde, oui… le dadaïste lutte contre l’agonie et l’ivresse de mort de l’époque» (Fauchereau, 2010). Par conséquent, dans les premières années du mouvement Dada, on constate l’apparition d’une forte remise en question des valeurs établies. Et l’un des moyens entrepris par les dadaïstes afin de divulguer leur message, c’est le scandale.

Dans cette optique, l’objectif principal était la destruction totale des fondements de la civilisation occidentale. Ce qui a le plus d’importance, c’est la destruction des valeurs ainsi que des modes de pensées à l’occidentale. Cependant, cette action ne vise pas la destruction des individus et des institutions, puisque l’important était de scandaliser la classe bourgeoise: «Dada a fait irruption sur la scène littéraire européenne au cours de la Première Guerre Mondiale au Cabaret Voltaire de Zurich, avec des performances, des lectures et des spectacles conçus pour choquer les mentalités bourgeoises et remettre en questions toutes les définitions de la littérature et de l’art» (Caldwell, 2012, traduction libre).

L’œuvre poétique de Tzara représente en tout point cette volonté de choquer et de provoquer. La publication d’un poème intitulé Un homme se pend décrit les derniers instants d’un homme commettant un suicide: «Il regarde ceci avec angoisse/ Alors son enfance s’envole/ Alors d’un coup douceur et distance jaillissent/ Tout se défait et s’épanouit, ô Aurélie».

L’œuvre poétique de Tzara représente en tout point cette volonté de choquer et de provoquer.

Malgré des études en philosophie à l’Université de Bucarest en 1914, son œuvre s’inscrit dans un courant antiphilosophique. Pour lui, «Tout acte est un coup de revolver cérébral/Foutez-vous vous-même un coup de poing dans la figure et tombez morts». Ces mots sont très acerbes envers ceux qui se croient bien-pensants.

Plus tard dans son œuvre, l’on retrouve l’un de ses poèmes les plus ambitieux, L’Homme Approximatif. Dans ce texte, Tzara remet en question l’existence humaine et les artifices que l’Homme se crée afin de rendre son existence supportable. Tzara aime provoquer, et le lecteur est confronté à un texte qui affirme sa petitesse et l’absurdité de sa vie dues à l’absence d’un sens propre à la vie (Caldwell, 2012). En ce sens, «l’Homme approximatif» de Tzara est l’homme ordinaire, celui qui vit une routine singulière. Par association, Tzara affirme que la société de consommation rendue possible par les magasins, ainsi que l’ordre du paraître dans les salles de concert, vont être liés à la mort, à un enfermement dans ce qui est de plus négatif et routinier.

Tzara remet en question l’existence humaine et les artifices que l’Homme se crée, afin de rendre son existence supportable.

Malgré cette volonté de négation que prône le dadaïsme, le mouvement va peu à peu perdre de l’importance. La fin de la Première Guerre mondiale marque le retour en force de la classe bourgeoise, et le scandale que proposent Tzara et les dadaïstes perd de son impact. La classe bourgeoise réalise que Dada, malgré son influence artistique, ne représente pas un réel danger.

En somme, ce qui caractérise l’œuvre de Tristan Tzara et des nombreux dadaïstes, c’est cette volonté de remettre en question ainsi que de détruire les valeurs bourgeoises de la première moitié du XIXe siècle.


Bibliographie

BÉHAR, Henri et CARASSOU, Michel. DADA, Histoire d’une subversion. Paris, Fayard, 1990, 261 p.

CALDWELL, Ruth. «Tristan Tzara’s Poetical Visions: Ironic, Oneiric, Heroic». Studies in 20th & 21st Century Literature, Volume 36, Issue 1 New Visions and Re-Visions in 20th and 21st Century French Literature, 2012, 18 pages.

JANOVER, Louis. La révolution surréaliste. Paris, Plon, 1989, 282 p.

FAUCHEREAU, Serge. Avant-Gardes du XXe siècle. Paris, Flammarion, 2010, 587 p.

TZARA, Tristan. Poésies complètes. Paris, Flammarion, 2011, 1741 pages.

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