Le gars qui parle de cinéma: «Pour vivre ici»

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Louis-Étienne Villeneuve. Photo: Mathieu Plante
Louis-Étienne Villeneuve. Photo: Mathieu Plante

Si les livres nous permettent de mieux lire les pensées des autres, les films sont pour leur part un bon entraînement à l’empathie.

Le film: 
«Sais-tu ce qui me manque le plus? 
Sa bonté.»

Dans Pour vivre ici, Bernard Émond lie l’expérience humaine de solitude aux décors d’hiver de Baie-Comeau, de Montréal et de l’est de l’Ontario. En suivant Monique (Élise Guibault), en deuil récent de son mari, le film touche à plusieurs dimensions parlantes, comme l’écart générationnel, la perte de l’être aimé, la vie moderne et le retour aux origines. Le tout, dans un rythme extrêmement lent.

Trop lent? Le point est débattable. D’une part, ce choix de rythme a pour intérêt de rendre justice au réalisme qui caractérise l’œuvre dans son ensemble. Sans prétention à romancer, le film nous sert le portrait d’un deuil normal. Le rythme ici est adéquat: un deuil, c’est aussi beaucoup d’attentes, beaucoup de rien. De petits symboles, ici et là.

Sans prétention à romancer, le film nous sert le portrait d’un deuil normal.

Cela dit, avec les habitudes développées à écouter des produits culturels au rythme boosté par les stéroïdes (petit clin d’œil aux Olympiques), Pour vivre ici a tout de même pour inconvénient d’être quelque peu assommant. Ayant écouté le film avec un brin de fatigue, j’admets avoir éprouvé plusieurs difficultés à rester accroché aux scènes qui m’étaient présentées. C’est à prendre en considération (surtout si vous manquez vous aussi de sommeil).

Cette dernière remarque donne toutefois à réfléchir. Puisque le film aborde (entre autres) le thème de l’écart générationnel, ce rythme lent, qui fait penser aux premières œuvres cinématographiques, et qui contraste avec la pulsation effrénée des œuvres d’aujourd’hui, peut à lui seul constituer une sorte de contribution critique à notre regard sur la société. Le scénario souligne d’ailleurs à grand trait comment les générations présentes vivent à bout de souffle, d’une manière qui défie les repères de leurs propres parents.

En assumant le rythme lent, Émond se montre de la sorte intègre face à un style qui lui plaît, mais aussi à contre-courant d’une industrie qui mise de plus en plus sur la surstimulation. Et pour retransmettre le deuil, la lourdeur de l’affect, et engendrer par là une réponse adaptée chez le spectateur, peut-être est-il bon de savoir le faire patienter, de le faire attendre. De le rendre indulgent.

En ce sens, je reste favorable au visionnement de Pour vivre ici, même si je me suis un peu égaré en lui.

La réflexion: 
«Apprendre en voyant»

Les deux derniers films que j’ai couverts pour cette chronique (Aus dem Nichts et Pour vivre ici) couvraient dans les deux cas, curieusement, le deuil d’une femme. Dans leur traitement respectif, chacun d’entre eux s’attachait à capter les états tourmentés de cette femme laissée à elle-même, aux prises avec une myriade d’émotions fortes, dans ce moment de vie qui est sans doute l’un des pires, puisqu’il induit l’absence de sens. En bénéficiant du jeu d’actrices de grand talent (Diane Kruger et Élise Guilbault), ces films m’ont épaté par les degrés de sympathie qu’ils ont suscités chez moi.

Un jour, j’ai été marqué par un partage d’une amie sur les médias sociaux, où il était dit que les livres nous rendaient capables de mieux «lire dans les pensées des autres». La formule était comique, mais le contenu était sérieux: lorsque nous lisons, nous avons accès à des dimensions de la pensée et à des états intérieurs qui nous échappent dans la vie normale. Nous plongeons dans les sphères les plus intimes de l’autre.

C’est pourquoi, à force de lire, il nous devient possible d’entrevoir des choses qui auparavant nous échappaient, des choses qui sont généralement voilées ou volontairement cachées. Ce niveau de clairvoyance, de prospection abyssale, est un avantage qu’aura toujours à mon sens le roman sur le cinéma.

Les films ouvrent la voûte des émotions complexes.

Cela dit, les films, comme les pièces de théâtre, ont un attrait qui est bien à eux, qui est de nous faire voir des émotions que l’on ne croise pratiquement jamais: ils ouvrent la voûte des émotions complexes. Ce faisant, les œuvres cinématographiques nous préparent non seulement à vivre ces émotions, en contexte protégé (une salle de cinéma, un salon), mais elles augmentent aussi notre capacité à être empathique face aux autres, en nous confrontant à des exemples explicites d’expressions extrêmes.

Voir et vivre par extension des émotions aussi variées et aussi fortes, surtout lorsqu’elles sont jouées avec brio, nous rend à la longue plus disponibles, plus nuancé.e.s dans notre sensibilité, plus attentif.ve.s aux réactions émotives des autres. Et c’est ce pour quoi le cinéma devrait être entrevu comme un entraînement à l’empathie.


À voir au Cinéma le Tapis Rouge

L’insulte, de Ziad Doueiri
À partir du 9 mars — Drame juridique libanais nominé à la Cérémonie des Oscars 2018)

Faute d’amour, d’Andreï Zviaguintsev
À partir du 16 mars — Drame russe récipiendaire du Prix du Jury au Festival de Cannes 2017

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