Va voir ailleurs (j’y suis) : Pénisenfeutrinegate

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Photo : www.animationfestival.no

Scandale sexuel dans le milieu culturel trifluvien : de la nudité frontale explicite s’est glissée dans une séance de projections de courts métrages pour enfants.

Voici les faits. Dimanche le 9 mars dernier, la Corporation de développement culturel tenait la 3e édition de sa série Les p’tites vues, au Centre culturel Pauline-Julien. Un public nombreux de parents et d’enfants y assistait. La programmation de la matinée avait été confiée, comme auparavant, à l’entreprise trifluvienne Travelling, un organisme de distribution de courts métrages. Travelling jouit d’une réputation sans faille et s’est imposé comme un joueur majeur de la distribution du cinéma indépendant au Québec.

Le diffuseur, la Corporation de développement culturel, était donc on ne peut plus fier de collaborer à nouveau avec Travelling et de présenter «[…] une sélection internationale de courts métrages parmi les plus remarqués de la dernière année. Soigneusement élaboré par l’équipe de Travelling, le programme rassemble des films provenant du Québec, mais aussi de l’Espagne, de la France, du Chili et du Royaume-Uni. […] autant d’histoires amusantes et rocambolesques que les plus petits – comme les plus grands – prendront plaisir à découvrir!» (source : enspectacle.ca)

Parmi ces histoires, le film franco-belge-néerlandais Oh Willy a causé un malaise tel que sa projection en a été interrompue, une première dans l’histoire des P’tites vues. Oh Willy raconte l’histoire d’un homme, Willy, dont la mère est décédée et qui, après des épisodes de difficultés diverses, trouve refuge et réconfort dans un monde onirique habité par une géante.

L’une des particularités de ce bijou d’animation est que tous les personnages et tout le décor y sont entièrement conçus en feutrines, lainages et tissus divers. Le film est en effet remarquable sur le plan visuel et s’est mérité de très nombreux prix à l’international, tant de la part de jury de festivals importants que du public.

Une autre particularité du film est que la mère de Willy vivait dans une communauté nudiste. Cet élément-clé du scénario, singulier, permet notamment d’exploiter les notions d’exclusion et de vulnérabilité de l’individu en situation de perte de repères. C’est ce qui arrive à Willy privé de sa mère : dérouté, il retourne au mode de vie naturiste mais se retrouve encore plus isolé. Dans une scène, qui a fait déborder le vase de la tolérance du diffuseur, on voit Willy tenter d’entrer en relation avec des enfants – lui, nu; eux, habillés – et essuyer la violence de l’incompréhension des enfants à l’endroit de sa différence.

Quelle occasion ratée d’aborder un sujet si important. Quelle triste société de perdants avons-nous, habillée de peur et d’hypocrisie.

Manifestement, il s’agit d’un film propre à susciter la réflexion. On est loin de Toy Story. Oh Willy est un film d’une beauté exceptionnelle qui aborde les thématiques du deuil et de la fragilité émotionnelle de façon symbolique et avec une très grande dignité.

Mais voilà, on y voit des pénis et des seins. En tissu, rappelons-le! Et il y a eu malaise dans l’auditoire. Et une dame s’est levée et est partie avec son enfant. Et ça murmurait. Et le responsable a pris la décision d’arrêter la projection et de s’excuser devant le public.

Dans la situation où un film, dont la qualité est indéniable, provoque des réactions et des questionnements – légitimes –, on a donc décidé de ne faire confiance ni à l’expertise de Travelling en matière de cinéma ni à l’intelligence des enfants.

On peut certainement identifier les parents en tant que grands responsables de cet échec : ce sont eux qui ont ressenti un malaise et mis de la pression sur le diffuseur, qui a réagi en leur faveur, niant du coup la capacité du cinéma et de l’art en général à ouvrir l’esprit, à bouleverser les idées reçues et à créer de la beauté inattendue.

Ainsi, on ne tolère pas au Québec, en 2013, de la nudité artistique dans un film destiné à un jeune public. Un jeune public d’enfants qui, à 4-5 ans, sortent à peine de l’époque bénie où les bébés peuvent circuler nus à leur guise et boire au sein de leur mère, et qui, à 11-12 ans, font leur entrée dans la puberté avec en tête des milliers de questions encore sans réponse sur la sexualité. Quelle occasion ratée d’aborder un sujet si important. Quelle triste société de perdants avons-nous, habillée de peur et d’hypocrisie.

Et quel mépris cela m’inspire à l’endroit de parents aussi puritains, mais qui pourtant laissent leurs enfants consommer violence, haine et sexisme, absolument banalisés aux heures de grande écoute. Et quel adulte dérangé je suis de considérer fondamentalement sexistes les Harlem Shake dont on parle chaque matin à Salut, bonjour!.

Sans parler qu’en tant que père, écrivain et citoyen, je suis désespéré de voir que les parents semblent légions à ne pas pouvoir dialoguer avec leurs enfants sur des sujets importants en utilisant la force de l’imaginaire et de la poésie. Du reste, pourquoi le feraient-ils, pourquoi s’encombrer de la poésie, si abstraite et étrange? Pourquoi faire appel à nos sens et à nos émotions pour comprendre le monde, lorsqu’il semble inévitable que nos enfants tomberont bien assez tôt sur youporn pour nourrir leur vision de la sexualité?

En attendant, lâche le cinéma d’auteur européen et va jouer avec ta Barbie. Elle ne fait pas de choses bizarres comme rêver, elle. Elle ne fait rien. Elle attend qu’on la trouve belle. Et son chum Ken n’a pas de pénis.

8 COMMENTAIRES

  1. En complément d’information, voici une liste de tous les prix remportés par ce film… Réalisé par une femme, d’ailleurs:

    http://www.emmadeswaef.be/ohwilly

    À noté que le film a été programmé dans plusieurs festivals pour enfant, dont le fameux « Festival du film pour enfant de Montréal » en 2012.

  2. Bien d’accord avec toi… L’hypocrisie des gens est maladive…
    La 1ère personne qui te verra nu dans ta vie est un inconnu… (médecin à l’accouchement)
    La dernière personne qui te verra nu aussi est un inconnu… (embaumeur)
    Nous sommes tous fait de la même façon avec quelques petites différences qui crée l’unicité de chacun.
    L’approche pernicieuse de la comparaison et de la fausse morale (hypocrisie inventé et colporté par les religions) enfonce certains humains dans un gouffre de malhonnêteté sans fond… Effectivement, la sexualité est démontré partout, sauf comme ça devrait se faire, et les lâches ne font que s’offusquer et chialer pour quelques choses qu’ils ne sont même pas capable de gérer eux-mêmes. Et ce, souvent en déformant ce qu’il y a de plus simples et de normal chez l’humain, la nudité, qu’il rattache inexorablement avec la sexualité et/ou la violence… Et des hypocrites comme ça, des personnes qui ont peur d’avoir peur, dérangent plein de gens en imposant leur fausse morale et ça, il y en a de plus en plus… Après on s’étonne que les enfants soient « fuckés » dans leurs têtes…

  3. Ton article est absolument courageux et remarquable, cher Sébastien. Il pointe du doigt le problème essentiel de notre société actuelle, New Auschwitz : la nature est obscène, la poésie est obscène, la pensée critique est obscène, le corps sexué est obscène, la sensation est obscène… mais tout ce qui permet de les oblitérer par la violence, le viol des consciences, l’exploitation à des fins mercantiles, tout ce qui hausse le degré de haine, tout ce qui favorise l’émotionnel est encouragé. L’éducation n’est pas la censure, mais comme dans « 1984 » de Orwell, aujourd’hui : « L’éducation c’est l’ignorance ; la paix, c’est la guerre », etc… Et cela n’est pas un hasard : le camp de concentration planétaire est en place, on commence à le remplir…

  4. Violence et pornographie sont plus bankable, c’est certain.

    Merci pour le courage que vous avez de diffuser de la poésie en feutrine, ainsi que de tendre sentiments. Il est révolutionnaire d’aimer… simplement. Belle résistance!

  5. Étant parent moi-même, je vais nuancer l’accusation portée ici… et je me permet de commenter sans avoir vu l’œuvre.

    Le problème n’est pas en tant que tel que de montrer des parties génitales, c’est que ici, si on en montre, ça devrait être pour une raison particulière.

    Si ce n’est pas le cas, en visant un public jeune qui n’est pas habitué à la nudité, on risque de nuire à l’histoire en montrant de telles images. Un enfant de huit ans ne suivra plus l’histoire, il ne va que guetter la prochaine apparition d’une paire de seins… Bref la nudité pourrait nuire au message véhiculé par l’œuvre au public ciblé, selon la culture.

    Je ne pense pas que la Corporation a eu tort de le présenter, loin de là. Cependant, le public présent aurait-il pu être averti au préalable qu’on y verrait des parties génitales, fussent-elles en tissu?

  6. Oh Willy n’est pas un film pour enfants, les prix gagnés par cet excellent petit film sont des prix dans des festivals pour adultes. Voilà le problème, pas la nudité. Ce n’est pas parce qu’un short film présente des marionnettes qu’il s’agit automatiquement d’un film pour enfants!

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