Éditorial: Tolérance et discours irrationnel ⎯ Le prix de la critique

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En 2005, un philosophe américain a publié un minuscule essai poétiquement intitulé On Bullshit. Celui-ci traitait de la présence accrue du discours irrationnel dans l’espace public, un an avant le début du règne conservateur à Ottawa.

Coïncidence?

Oui et non. Loin de moi l’idée de prétendre savoir ce que lisent les stratèges de M. Harper. Ceci étant dit, parler de communication instrumentalisée porte rapidement à l’esprit les stratégies de désinformation préconisées par le parti bleu foncé.

Pour illustrer ce de quoi je parle, discutons un brin du fameux niqab scandaleusement présent sur la tête d’une candidate à la citoyenneté.

Le message conservateur à ce sujet était que la dame devait retirer son voile intégral afin de pouvoir participer à la cérémonie où elle prêterait allégeance à cette chère reine d’Angleterre. Juste avant le déclenchement des élections, une directive ministérielle avait été émise en ce sens.

Or, la directive en question étant battue d’avance par une loi, deux instances juridiques majeures l’ont annulée et ont encouragé le gouvernement à discuter de la question au parlement. La réponse du ministre concerné? «Nous faisons appel en cours suprêmes, afin de défendre les valeurs canadiennes.»

Depuis ce jour, on nous dit qu’il est impératif d’empêcher l’assermentation à visage découvert «pour le respect des valeurs canadiennes». Si l’idée ne semble pas si mauvaise pour certains, n’oublions pas que ce n’est pas de cela dont il est question ici.

Un peu, quand même, mais plus comme prétexte.

Qui avait entendu parler de cette histoire de directive ministérielle avant? Ce que l’on se fait dire depuis des semaines, c’est que la cour d’appel du Canada a donné le feu vert à l’assermentation le visage caché.

Peu importe notre opinion sur le niqab, reste que: 1.Ce sur quoi la cour d’appel a statué, c’est sur un ordre ministériel mal réalisé. 2.Il y avait, avant, la possibilité d’être assermenté en privé afin que la dame puisse être à l’aise de se découvrir. 3.Ça arrive à un moment où les conservateurs ont de la difficulté à se démarquer dans la campagne électorale.

En fait, ce à quoi on assiste ici est un exemple typique de wedge politique, c’est-à-dire d’une stratégie visant à créer de toutes pièces une controverse qui polarise l’opinion publique. M. Harper, sachant que les libéraux et les néodémocrates allaient plaider la tolérance, le premier ministre sortant pouvait ainsi se distinguer en adoptant la ligne dure.

Assez répugnant comme stratégie, peu importe notre position sur le niqab.

Pourquoi ça fonctionne? Parce que les gens ne critiquent pas, évidemment. Rares furent les acteurs publics qui ont démontré une réelle investigation de l’histoire avant de commenter. Par exemple, le NPD et les libéraux ont omis de dénoncer la tactique pour mieux se positionner «pour la tolérance». Et ne parlons pas de l’opportunisme du Bloc Québécois qui s’est fait ici l’allié des conservateurs, au lieu de ramener le débat vers quelque chose touchant aux intérêts québécois.

Cette histoire met en relief le défaut de pensée critique qui afflige nos concitoyens à l’heure actuelle, y compris la prétendue élite de notre société. Il m’apparait désolant de constater à quel point il est maintenant aisé de dire n’importe quoi impunément.

N’importe qui en âge de voter devrait être en mesure de déceler un raisonnement aussi fautif que ce dont je parle ici. N’importe qui devrait avoir le réflexe de se demander si c’est vraiment toute l’histoire, face à des faits du genre. C’est d’autant plus vrai quand il est question d’universitaires.

«Rares furent les acteurs publics qui ont démontré une réelle investigation de l’histoire avant de commenter.»

En effet, même si de telles stratégies partisanes regardent l’ensemble des citoyens, les gens les plus cultivés de la société devraient être les premiers à monter aux barricades pour dénoncer l’instrumentalisation des faits.

Or, nous apprenions récemment que notre université adorée allait, à compter de novembre, imposer un contrôle aux interventions publiques des enseignantes et enseignants.

Évidemment, la nouvelle directive exigeant de référer toute demande d’entrevue au service des communications semble plutôt logique pour qui garde en tête les tumultes des dernières années à la haute direction. Probablement que le but ici est d’unifier le message des représentants de l’UQTR afin d’éviter des mauvaises surprises sur la une du Nouvelliste.

Déplorons cependant la volonté de pensée unique qui ressort de cette idée. Peu importe l’instance, vouloir faire taire la critique à tout prix n’est jamais signe d’un milieu très sain.

De plus, il est évident qu’en bureaucratisant ainsi les prises de parole de nos enseignants sur la place publique, l’université et ceux-ci se coupent d’une visibilité importante. Finalement, c’est aussi toute la société qui en pâtit, étant donné que les experts non partisans ne peuvent ainsi plus apporter leur contribution à la délibération publique.

Les politiciens nous bullshitent et les intellectuels se font censurer. Tout semble ainsi concourir à rendre les gens plus imbéciles.

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