Chronique d’une citoyenne du monde: Lettre à une inconnue

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Photo: Mathieu Plante
Photo: Mathieu Plante

Investir dans des livres de cuisine alors qu’on devrait investir dans des ouvrages de science: telle était l’indignation d’une personne qui m’est absolument inconnue, mais dont les échos de conversation vinrent me troubler au plus profond de mon âme.

Voici le contexte: je savourais tranquillement mon café, le regard perdu dans cet amas de neige et rêvassant des étendues de sable doré que mes pieds avaient frôlé il y a juste un mois. Soudain, une bizarre conversation est venue m’arracher à ma douce rêverie. Une personne qui, semble-t-il, devait commander des livres pour une institution, se plaignait de devoir choisir des livres de cuisine. Son argument était que l’art culinaire n’était pas digne d’un tel investissement, et qu’on ferait mieux de dépenser l’argent des contribuables ailleurs.

J’étais mitigée entre surprise et sidération. Je croyais qu’on avait dépassé cet âge d’élitisme culturel où les connaissances ont un rang. Je pensais que les arts étaient égaux et que l’on se devait d’encourager toute forme de création sans discrimination ni jugement. Vœux pieux: il existerait toujours sur cette terre des gens pour qui il n’y a que la science, pure ou appliquée, qui mérite de figurer sur les rangs d’une bibliothèque.

C’est à se demander pourquoi nous devrions investir dans l’art culinaire. Depuis quand le fait de préparer à manger nécessite-t-il du talent? Après tout il ne s’agit que d’un geste pour répondre au premier besoin fondamental dans la pyramide de Maslow. Détrompez-vous, chère inconnue: manger ou faire à manger relève beaucoup plus du besoin physiologique.

Visuelle, olfactive, gustative, sensationnelle et auditive: l’expérience de l’art culinaire est par excellence la stimulation ultime du corps humain.

Il s’agit d’une expérience sociale à part entière. Voyez-vous, l’art culinaire ne se résume pas au simple fait de cuisiner. Il englobe tous les principes appliqués à la cuisine: le choix d’ingrédients particuliers, l’harmonie entre les saveurs, les méthodes de cuisson, l’art de dresser la table, le choix méticuleux des ustensiles… c’est une entreprise laborieuse qui dépasse le désir d’impressionner ses convives.

L’aspect social de l’art culinaire est renforcé par un aspect culturel. De plus en plus de compétitions sont créées chaque année pour permettre aux maitres pâtissiers, aux sommeliers et aux chefs cuisiniers d’exposer leurs talents. Ces dernières années, même les amateurs de cuisine ont accès à ces compétitions prestigieuses. MasterChef Canada, MasterChef USA, Hell’s Kitchen, Le Meilleur Pâtissier, Un Souper Presque Parfait, etc., sont toutes des émissions qui témoignent de l’importance grandissante que cet art acquiert d’année en année.

Vous avez suivi sans doute l’une ou l’autre de ces émissions, chère inconnue, ou au moins entre-aperçu l’une d’elles dans un moment de zapping. Mais vous l’ignoriez sans doute, sinon vous ne l’auriez pas dénigré ainsi, que l’art culinaire n’est pas fils du 20e siècle. L’art de manger remonte à l’Antiquité. Loin de moi l’idée de vous faire une leçon d’histoire! Je ne fais que vous proposer une rapide plongée dans l’épopée de l’art culinaire.

Du pain rudimentaire à la cuisine moléculaire se cache l’histoire humaine de l’art culinaire.

Il serait cliché de dire que l’humain se nourrit depuis la Nuit des temps. Tout a commencé avec le premier Homme qui utilisait le feu pour faire cuire ses aliments, consommait autre chose que des restes de charognes ou taillait des ustensiles dans la pierre. Il a entamé le long processus qui a fait de l’art culinaire ce qu’il est de nos jours.

Plusieurs écrits et gravures de l’Antiquité égyptienne ont révélé plus d’une vingtaine de sortes de pain, de formes et de compositions diverses. L’Antiquité romaine quant à elle a su porter son art culinaire à des sommets. Avec des ingrédients venus de toutes les régions d’influence de l’Empire, le miel, le pigeon, le garum (sauce à base de poisson) ont égayé les tables des riches. Manger n’était plus un besoin naturel, mais désormais un indicateur de rang social.

Plus tard au Moyen-Âge, cuisiner est devenu un art, et plusieurs livres ont vu le jour. Citons-ci le Viandier de Guillaume Tirel (1310-1395), qui a été l’un des auteurs cuisiniers les plus connus d’Europe au Moyen-Âge et à la Renaissance. Avec des ustensiles en or et des plats de plus en plus sophistiqués est apparue une nouvelle tradition: celle des banquets royaux et aristocratiques.

Avec les croisades, l’Occident connaissait une première révolution alimentaire. Les épices et fruits d’orient ont été introduits dans la fine cuisine européenne. L’apport des croisades n’était pas seulement en aliments, mais aussi en matériel de cuisine ce qui a permis une sophistication des modes de cuisson. La route de la soie et la route des épices ont ensuite ouvert la voie vers les ingrédients extatiques de l’Asie. Le mariage de tous ces composants a fait fleurir l’art culinaire.

La Renaissance a multiplié les livres. La découverte du Nouveau Monde a apporté sur les tables des produits inconnus jusqu’alors, dont le maïs et le chocolat. Le 18e siècle a enfin vu l’apparition des métiers et corporations de la bouche. Dorénavant, le boucher s’occupe de la viande, le tripier des abats, le traiteur des ragouts. Ce fut le début des professions de l’art culinaire.

Je ne pense pas que l’art de manger relève d’une vulgaire satisfaction d’un besoin élémentaire. Voyez-vous, chère inconnue, du pain rudimentaire à la technique hautement subtile de la cuisine moléculaire se cache toute l’histoire humaine derrière l’art culinaire.

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