Dans les lunettes du frisé: Blues du livre

Publicité

En ce moment, j’ai l’impression d’être à plusieurs endroits en même temps. Partout, et nulle part en même temps. Présent physiquement, absent intellectuellement, je tape cet article sur la route. Je jongle avec plusieurs nouveaux albums tant attendus: Kintsugi, le nouvel opus de Death Cab for Cutie, Les grandes artères, le plus récent de Louis-Jean Cormier, et Little mourning de la nouvelle formation Milk and Bone. Mais je n’arrive pas à me faire une idée. Est-ce que j’aime ces nouveaux albums?  Peut-être. Je ne sais pas.

Je surfe tout simplement sur les mélodies en ce printemps qui ne vient pas, et en cet hiver qui ne fait que s’allonger. La musique retentit dans mes écouteurs, et la Jeep s’enfonce dans le noir de la tempête avec moi en son bord et quelques souvenirs que je traine et qui finiront tôt ou tard par se jeter sur ce document Word. Les Canadiens ont perdu 5-4 en tir de barrage. Les voix féminines de Milk and Bone m’enveloppent. La guitare électrique de Death Cab me transporte. La Montagne russe de Louis-Jean Cormier me réconforte.

Et la tempête du mois d’avril fait des siennes. Les étudiants peinent à faire lever leur mouvement contre l’austérité. Un policier avec des autocollants syndicaux sur son uniforme circonscrit des étudiants qui manifestent. Une jeune manifestante se fait pointer un gun dans la face dans la plus grande indifférence publique. Attendez, c’est faux, je modifie. Une jeune manifestante se fait tirer dans la face dans la plus grande indifférence publique. Voilà, c’est mieux. Le nouveau ministre de l’Éducation (pour qui j’avais un éclair de sympathie) mentionne aux universités qu’elles peuvent, et même devraient, expulser quelques étudiants qui tentent de faire respecter le vote de grève en guise d’exemples. Le même ministre s’excuse le lendemain, disant qu’il ne pensait pas ces mots prononcés la veille, qu’il s’était enfargé dans ses phrases. Entretemps, sur la route, je ne vois plus rien. Les hautes sont allumées, et la neige, folle, virevoltante, couvre le pare-brise. Tout est blanc. Ça m’aveugle.

Mais je tape quand même, et encore ces quelques lignes. Je vaque à mes occupations, la tête baissée regardant mon petit bonheur personnel, individuel. Je m’encabane dans mes désirs, ça m’apaise, me tranquillise. Je me rappelle une photo: en Allemagne, des policiers «décasqués», des étudiants groupés, tous en chœur, marchent dans la rue, pacifiquement, ensemble.

*

Il faut Oser la parole, nous dit la 28e édition du salon du livre de Trois-Rivières qui se tenait à l’Hôtel Delta du 26 au 29 mars dernier. Oser parler de ce qui dérange. La littérature dérange. Les livres dérangent, encore aujourd’hui en 2015, polémique Bolduc à l’appui. Parler, s’exprimer, dire ce que nous sommes, l’ultime quête partagée par l’industrie du livre toute rassemblée au centre-ville de Trois-Rivières, le temps d’une fin de semaine.

Le salon cette année présentait une nouveauté fort intéressante: un écrivain en résidence. Pour la première édition de cette résidence, le comité organisateur a opté pour le poète et doctorant de l’UQTR Sébastien Dulude, fort de son nouveau recueil publié en mars Ouvert l’hiver. Le poète n’a pas chômé durant son séjour, on le voyait littéralement partout au Salon du livre entre séances d’autographes et lectures poétiques.

Le débat reprend de plus belle. Les livres, toujours les livres. Les jeunes lisent-ils assez? Les uns disent que non, disent que oui, d’autres disent que c’est une question inutile.

Je ne sais pas si vous vous en souvenez, au mois d’aout dernier, M. l’ancien ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, avait lâché cette phrase sidérante: «Les enfants ne mourront pas s’ils n’ont pas de livres». (J’y reviens assez souvent à cette foutue phrase parce que je ne peux jamais concevoir ni accepter que le plus haut symbole de l’éducation québécoise puisse avoir dit une telle insignifiance digne d’une autre époque. Un médecin en plus! En tout cas.) Et bien cette semaine, un article du Devoir a révélé que les sommes, qui ont commencé cette autre polémique Bolduc du mois d’aout, allouées par le gouvernement ont été utilisées à d’autres fins que l’achat de livres par les écoles.

Le débat reprend de plus belle. Les livres, toujours les livres. Les jeunes lisent-ils assez? Les uns disent que non, disent que oui, d’autres disent que c’est une question inutile. Et je dis qu’ils lisent, mais pas les bonnes choses. Quand je me promène dans les écoles secondaires, et que je vois des étudiants de cinquième secondaire avec un bouquin de La Courte Échelle entre les mains, ça me laisse pantois. La question ne devrait pas être «Les jeunes lisent-ils assez?», mais plutôt «Que lisent les jeunes?».

Des évènements comme le Salon du livre, même s’il met l’accent sur la marchandisation du savoir littéraire, sont nécessaires pour la société. Je suis fort probablement un peu trop idéaliste, mais j’ose espérer qu’un seul adolescent se soit procuré un recueil comme celui de Dulude pour découvrir la magie des mots.

REPONDRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici