Le Québec une page à la fois: «Naufrage» de Biz

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Judith Éthier. Photo: Mathieu Plante
Judith Éthier. Photo: Mathieu Plante

Incompréhension. Étonnement. Douleur. Absorption totale dans l’histoire. Absence de mots pour décrire le sentiment ressenti après la lecture. C’est une véritable claque au visage. L’auteur atteint de hauts sommets de réussite littéraire avec ce roman-choc où le bonheur cohabite avec l’horreur et où la chute est fatale autant pour le personnage que pour le lecteur. Je n’aurais pas pu donner de meilleur titre à ma chronique que celui que porte déjà le roman.

C’est un naufrage d’abord professionnel et collectif, avant d’être personnel et solitaire. Mais c’est un naufrage ressenti jusque dans ses moindres recoins par le lecteur. Le point de vue, la narration, la description des événements et des sentiments des personnages, tout est construit de manière à ce que nous ressentions bien la douleur de celui qui ne contrôle désormais plus rien.

Incompréhension. Étonnement. Douleur. Absorption totale dans l’histoire. Absence de mots pour décrire le sentiment ressenti après la lecture. C’est une véritable claque au visage.

La chute, c’est celle du personnage principal, Frédérick Limoges. Il a trente-neuf ans et travail dans un ministère dans le département des analyses et statistiques. Mais voilà qu’on le relègue soudainement au département des Archives, au sous-sol, là où la lumière du soleil ne se rend plus depuis longtemps, là où la valorisation de l’individu n’a plus sa place. Il dégringole littéralement. C’est donc à travers ses yeux à lui que nous voyons son monde se désagréger.

Biz, «Naufrage», Leméac, Montréal, 2016, 132 pages.
Biz, «Naufrage», Leméac, Montréal, 2016, 132 pages.

Le bonheur avant le malheur

Heureusement pour lui, en dehors de son travail, Frédérick forme un couple parfaitement heureux avec Marieke Van Verden, quarante-deux ans. Ils vivent une vie tranquille et pleine d’amour, de joie, de passion et de rires. Leur fils Nestor, un an, est un petit rayon de soleil dans leur vie, une boule d’énergie et d’amour. Une merveille pour les deux parents comblés qui le désiraient depuis si longtemps.

Mais la tension monte tranquillement au travail, alors que Frédérick se sent devenir complètement inutile, coincé au sous-sol des archives avec ses collègues qui ne font même plus semblant de travailler. C’est l’aliénation qui commence, «un scandale intime, honteux, qui engendre une révolution personnelle» (quatrième de couverture). Comment peut-il arriver à trouver une quelconque utilité à son travail, à son implication au sein de la société, si même après une semaine il n’a toujours pas de code pour ouvrir son ordinateur?

Au moment où il se décide à agir, à dénoncer cette situation de paresse des fonctionnaires et d’ineptie du gouvernement, le point de chute du roman survient. À partir de ce moment-là, plus rien ne fonctionne. La culpabilité, la douleur et l’horreur, tout est décrit avec une écriture si poignante que l’on se sent tomber avec le personnage. C’est terriblement dur.

Une qualité littéraire malgré tout

Mais où est la beauté dans tout ça, me direz-vous? Dans la description des choses, dans l’écriture même. Biz a un plume magnifique et précise. Il touche là où ça fait mal, mais de manière à nous faire réfléchir sur notre propre situation et sur celle de la société d’aujourd’hui. Il nous force à reconnaître qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Comme un miroir, Biz dévoile la noirceur des gens qui se croient capables de juger et d’accuser les autres à distance, protégés derrière leurs écrans d’ordinateur ou derrière leur micro de radio. Il explore à la fois la culpabilité du personnage, la compassion, le pardon des uns, le jugement des autres. Ce jugement qui est aujourd’hui devenu beaucoup trop facile à exprimer.

La culpabilité, la douleur et l’horreur, tout est décrit avec une écriture si poignante que l’on se sent tomber avec le personnage. C’est terriblement dur.

Une œuvre majeure

Selon les dires de plusieurs, c’est sans doute l’œuvre la plus réussie et la plus percutante de l’auteur. Quatrième roman de Biz, auteur à succès et grand artiste de la scène québécoise, il est de plus en plus connu et reconnu pour la qualité de sa plume. Il a un côté poétique et revendicateur que l’on voyait déjà poindre dans les textes des chansons de son groupe Loco Locass.

Biz a toujours tenté d’explorer les moindres recoins de la nature humaine, dans chacune de ses œuvres, que ce soit dans ses chansons, à travers le rap, ou dans ses romans. S’inspirant ici d’un fait divers ayant grandement ébranlé la grande ville de Montréal il y a quelques années, l’auteur tente d’explorer l’envers de la médaille, celle que l’on voit moins et dont on ne parle pas. Le côté de l’accusé, de celui qui commet la faute sans l’avoir voulu, celui qui ressent plus que quiconque le remord, la culpabilité et la douleur. Celui qu’on accuse sans connaître.

Biz a toujours tenté d’explorer les moindres recoins de la nature humaine, dans chacune de ses œuvres, que ce soit dans ses chansons, à travers le rap, ou dans ses romans.

Est-il possible de pardonner l’impardonnable? Est-il possible d’oublier ce que l’on a tant désiré? C’est la grande question à laquelle l’écrivain a voulu répondre à travers son roman puissant et révélateur.

Sébastien Fréchette (de son vrai nom) a commencé sa carrière littéraire dès 2010 avec son roman Dérives, paru chez Leméac. Suivra en 2011 La Chute de Sparte, Mort-terrain en 2014, Naufrage en 2016 et La Chaleur des mammifères en 2017. Ce dernier fait notamment grandement référence à l’UQTR (université que l’auteur a d’ailleurs fréquentée), tout en étant un plaidoyer en faveur de l’éducation, en rapport avec la grève étudiante de 2012.

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