À la lumière des projecteurs est une chronique sur le cinéma bimensuelle mêlant critique de films, analyse de courants et réflexions sur le 7ème art. Cette semaine, je vous présente le dernier long métrage du réalisateur Denys Arcand. Crédits: Camille Ollier.
Testament, sorti en 2023, n’est pas un incontournable du cinéma. Ce n’est pas ce genre de film bruyant, dont on va entendre parler dans tous les médias, sur toutes les chaînes ni dans tous les journaux. Et pourtant, c’est un film doux, qui écorche en passant des sujets brûlants d’actualité (la cancel culture, les questions du genre, le pardon auprès Premières Nations, la vieillesse et ses tabous, la tendance au health care à tout prix…).
Inspire…
Monsieur Jean-Michel Bouchard (Rémy Girard), et non Jean-Marc, comme on le méprend, est un homme de 70 ans. A-t-il bien vécu ? Il ne sait pas, en tout cas, il a vécu. Il vit dans une maison pour ainés, et continue de travailler deux jours par semaine aux Archives, grâce à une dérogation. Tout son être est neutre. Il se promène, marche dans les cimetières, il ne se force pas trop à faire de l’exercice. Il ne fait pas de folies. Ses seuls contacts, lui qui a toujours vécu seul, ce sont les autres résidents, la directrice Suzanne (Sophie Lorain), sa collègue de travail serbe (Katia Gorshkova) et une jeune femme qui vient le visiter une fois par semaine (Marie-Mai).
Toute sa vie, Monsieur Bouchard n’a pas fait de vagues. Même lorsqu’on lui attribue le Prix des aînés il ne s’impose pas pour signaler la méprise sur son identité. Il y a un certain mépris pour son âge, aussi. Un peu cynique, plein d’humour, l’esprit vif, il ne se reconnaît plus dans la société actuelle. Tout va vite, très voire trop vite à son goût. Il vit simplement, comme il l’a toujours fait, et le quotidien à la Maison des aînés n’a rien de très exaltant. Chaque jour, il salue sa voisine qui ne lui répond plus. Il croise un couple de résidents (Guylaine Tremblay et Denis Bouchard) qui prônent le manger-bio et le sport à outrance (jusqu’à l’inévitable…). La solitude qu’il a su apprécier au cours du temps qui a passé est devenue un fardeau, sans plus de famille, ses amis décédés. Il songe que bientôt à son tour, il ne sera plus. Alors, que lui reste-il ?
Sortant un peu de nulle part, des activistes en faveur du respect des Premières Nations s’installent devant la Maison des Aînés et exigent le retrait d’une murale représentant Jacques Cartier face à une caricature d’autochtones peu vêtus. D’abord une poignée, ils deviennent de plus en plus nombreux – et bruyants- devant la maison. La presse se joint à eux, et le problème s’enracine alors. La direction ne sait plus vers qui se tourner. La problématique remonte au parlement, auprès du ministère de la santé, puis du ministère de la culture. Comment solutionner la présence de cette grande fresque qui trône dans la maison ?
« Je m’ennuie du matin au soir, et la nuit aussi. »
Suzanne, interprétée par Sophie Lorain.
Expire…
Doté d’une distribution éclatante (Charlotte Aubin, Caroline Néron, Guillaume Lambert, Louis-José Houde, Gaston Lepage, Alex Rice), le réalisateur Denys Arcand signe avec Testament un film qui fait du bien. Au milieu du tumulte du quotidien, il nous donne une pause, un moment pour soi, pour se poser, respirer, et s’interroger. Vers où va-t-on ? Où en est-on, nous, comme humanité ? Que deviennent nos rêves ? Que devenons-nous ? Mais aussi, qu’allons-nous devenir ? Si les années qui passent peuvent créer bien de l’anxiété chez de nombreuses personnes, ce film saura réconcilier les plus récalcitrants aux bougies supplémentaires sur le gâteau de fête.
On appréciera le ton juste des répliques, chacune formulée comme un trait d’esprit que l’on voudrait noter pour se remémorer. De plus, il y a une tendresse dans le scénario, quel que soit l’âge du spectateur, il y a un lien qui nous rattache aux personnages. L’amour est présent partout, sans pour autant être visible. On le perçoit dans un regard, dans un geste de soutien empreint de retenue, dans une accolade sans arrière pensée. L’amour pour l’autre, pour son prochain, pur. Puissant.
Loin des clichés des maisons d’aînés monotones à l’odeur de renfermé, on y voit des personnes qui continuent de vivre, qui se remettent en question, non pas comme on ferait un point (final) sur sa vie, mais sur le temps qu’il nous reste, et comment l’apprécier, le vivre pleinement. La poursuite du bonheur semble perpétuelle, et comme le dit le personnage de Jean-Michel Bouchard : « on est toujours un peu malheureux non ? ». Et si, dans cette mélancolie, se trouvait là, tapie, la recette du bonheur et de la réalisation de soi ?