
Il y a quelques semaines, Alexandre Dostie nous accordait une entrevue pour parler de son court-métrage Je finirai en prison, présentement disponible sur le web par le biais de la Fabrique culturelle et du festival REGARD (voir ici). Le réalisateur originaire de Beauce nous raconte sa vision du cinéma, ses ambitions et sa vision de la vie culturelle québécoise.
Zone Campus : Pour Je finirai en prison, tu as fait des journées de 16h à 18h et parcouru 800 kilomètres. Tu devais faire ça en automne, mais finalement, ça s’est fait en hiver. Est-ce que c’est le genre d’expérience que tu aimerais refaire ?
Alexandre Dostie : Mon producteur [Hany Ouichou, qui a produit notamment Les Barbares de la Malbaie] aimerait mieux faire de quoi comme Mutants (NDLR : son premier film qui a été tourné en été) […] C’est sûr que c’est «taxant» de faire ça en hiver avec des chars, des cascades, des effects. Au bout du compte, ce n’est ni moi ni lui qui décide. C’est l’idée en fait, c’est l’idée du film, c’est le scénario. Moi, je ne choisis pas vraiment ça !
ZC : Comment ça s’est passé, la direction d’une équipe aussi expérimentée?
AD : Tout le monde sur le set est super expérimenté [comme Vincent Biron qui a fait de la photo pour Denis Côté et a lui-même réalisé des longs-métrages]. En fait, c’était presque moi le moins expérimenté de la gang ! L’idée, c’est qu’on est tous au service du film. Au moment où on tourne le film, il y a tellement d’heures et de jours de préparation. C’est tellement un travail colossal en amont que rendu sur le set, tout le monde a compris c’était quoi son rôle. Ultimement le rôle de tout le monde, c’est de servir le film aux meilleurs de ses skills pis des ses capacités.
ZC : Je crois que pour Mutants, tu as eu deux journées et demie, trois journées de préparation avec les acteurs. Tu as eu combien de temps pour Je finirai en prison ?
AD : Il n’y a pas eu tant de travail de répétition avec les acteurs. J’ai eu un après-midi avec Émile [Schneider] et Martine [Francke] parce que je voulais qu’ils se rencontrent dans un contexte de jeu. Alors ensemble, on a discuté un peu de l’histoire, des personnages, de leur dynamique. On a visité quelques scènes qui étaient un petit peu plus complexes, où il y avait des questions. On a fait après ça un après-midi de lecture avec tous les acteurs autours d’une table où on lisait le scénario. Moi je répondais à toutes les questions qu’ils pouvaient avoir. C’est beaucoup plus un travail autour de la compréhension et du scénario, de l’histoire qu’on raconte. Et des rôles de chacun dans cette petite mythologie-là qu’on créé.
ZC : Le personnage de Maureen (jouée par M. Francke) passe par toute une gamme d’émotions en seulement 20 minutes. Est-ce que c’était difficile, conduire un personnage qui passe d’un extrême à l’autre constamment pendant 20 minutes, et ce, sans avoir l’air caricatural ?
AD : C’était un grand défi. Effectivement sur papier, quand tu regardes ça, tu fais comme «Wow, ça passe ou ça casse!». Ça se peut que tu ne sois pas capable de le lander ou que ça soit pas crédible dans la progression des événements. Mais tsé, j’ai écrit 23 versions de ce scénario-là. Le travail avec les acteurs, c’est un travail qui s’est fait sur le fond. Ma proposition sur le scénario est assez construite. Après, je me nourris du input des acteurs. L’eau au moulin que Martine a emmenée, qu’Émile a emmené, que Guy [Thauvette] a emmené, c’est une autre étape d’écriture, disons, qui permet de rendre ça encore plus crédible et qui rend mon scénario encore plus étanche, mais ça passait par la compréhension du scénario par les acteurs, leur intégration du personnage.
«J’ai écrit 23 versions de ce scénario-là.»
-Alexandre Dostie
ZC : Ton film, tu le décris comme un néo-western et un thriller. Toutefois, voulais-tu quand même passer des messages sociaux ? Par exemple, le fils de Maureen entretient une relation homosexuelle avec une personne de peau noire (joués respectivement par Joseph Delorey et Christian Lohez) ou les propos sur les femmes tenus par Ti-Bé (joué par Guy Thauvette).
AD : Je trouve qu’on est à une époque où tout devient rapidement politique et porteur d’un grand message. Je n’avais pas du tout cette approche-là en écrivant le film. J’avais le goût d’écrire un film trippant, badass. J’avais le goût d’une montagne russe d’émotions. Souvent, dans un court-métrage, on va se concentrer sur un moment, on va l’exploiter sur la durée du film et on va rentrer dedans. C’est souvent des films plus slows, qui prennent plus leur temps pour présenter les choses. Moi, j’avais le goût d’aller à l’inverse. J’avais le goût que ça brasse, j’avais le goût qu’on soit comme un peu pris par cette histoire-là, qu’on se réveille au générique et qu’on fasse «WTF!». Mais après, je vis dans l’époque dans laquelle on vit. Évidemment je ne suis pas imperméable à ce qu’il se passe. Ça s’immisce dans mon scénario et dans mes personnages. Je ne fais pas de film pour passer des messages. Je fais des films pour faire tripper le monde. Conter des histoires.
ZC : Il y a une différence technique entre Mutants et Je finirai en prison. Par exemple, il y a beaucoup de plans rapprochés dans le premier. Dans l’autre film, il y a plus de plans élargis, plus d’effets de profondeur. Est-ce que c’était volontaire ?
AD : C’était complètement pensé dès le début. Moi je n’ai pas fait d’école de cinéma. Les films que je tourne, c’est comme mon école. Je ne me laisse pas ben ben de place à l’échec. C’est tellement long faire un film. C’est tellement de sacrifices qu’à chaque fois, c’est un all in, et à chaque fois, je veux me prouver quelque chose à moi-même qui me donnerait le droit de faire un autre film. Pour Mutants, je n’en avais jamais vraiment fait. Je me suis concentré sur, un, écrire un scénario et, deux, comment j’allais le transposer à l’écran. Pour la transposition à l’écran de Mutants, je ne voulais pas, vu que je ne connaissais rien, m’encombrer de gros dispositifs au tournage. Je ne voulais pas avoir à cadrer mes shots et que ça soit long. Alors on était à l’épaule. On était très mobile. Ça me permettait de changer rapidement d’idée si jamais j’avais un autre flash.

Là [pour Je finirai en prison], j’avais le goût de relever la barre, de tourner ça différemment. Très tôt, j’en avais parlé avec mon directeur photo. On était comme, «ça serait hot si le film se déroulait entièrement à l’extérieur. Ça serait cool de donner la place au territoire, ce territoire-là se déployer dans sa grandeur versus les personnages qui sont tout petits et qui sont pognés dans leur marde». On va avoir plan sur trépied, on va avoir le temps de cadrer les scènes. La technique a remontré d’un cran. Il y a une ride de dolly shot [technique du travelling qui permet de déplacer la caméra sur rails] sur 40 pieds quand Maureen retourne chez elle. C’était des nouveaux défis et moi j’avais le goût d’apprendre ça.
«J’avais le goût que ça brasse, j’avais le goût qu’on soit comme un peu pris par cette histoire-là, qu’on se réveille au générique et qu’on fasse « WTF! »».
-A. Dostie
ZC : Par exemple, la scène de la collision a été sans doute compliquée à faire.
AD : Pour la scène de collision, c’est un mélange de six prises différents tournés sur trois jours […] J’étais avec Stéphane Lafleur [pour le montage]. Il n’a pas l’habitude de tourner des films «d’action». Il a vraiment appris et trippé de son bord. Il est ultra-talentueux. C’est beaucoup d’ingéniosité, beaucoup de travail […]. Une fois que la vision est claire dans ta tête, tu peux utiliser pleins de ruses pour arriver à tes fins.
ZC : Est-ce qu’avec le fait d’avoir une publiciste anglophone, pour ton projet de long métrage, te permet d’avoir plus de budget pour te concentrer sur l’aspect créatif? Faut-il quand même que tu fasses des demandes de financement qui sont interminables ?
AD : Pour l’instant, je suis plus à l’aise que jamais pour mon projet de long métrage. Pour Je finirai en prison, il a fallu que tout soit financé par le Conseil des Arts et des lettres du Québec et par la Société de développement des entreprises culturelles. On est passé par le même processus que tout le monde. On a appliqué pour du financement et on l’a eu. Pour le long-métrage que je prépare, Shape, il y a une boîte de production de longs-métrages qui m’a approché et qui m’a dit «As-tu un projet?». Je leur en ai présenté un, et «Tiens-là de l’argent pour écrire!» […] J’étais content ! J’ai reçu un premier chèque. Je n’avais pas fait de demande. Rien. C’était juste du monde qui fait «ton idée est bonne…». Ça finit par payer. Mais il n’y a jamais de garantie. Là, je suis ultra full gratitude. Mais tout reste à faire. Je dois l’écrire, ce long-métrage-là. Il va falloir le financer. Si je le fais au Québec ou au Canada, il va falloir passer par les institutions, on n’aura pas le choix […].
Au Québec, les habitudes de consommation de cinéma ont beaucoup changé avec le temps. Il y a moins de monde en salle. En même temps, il y a une partie de moi qui trouve qu’on est un peu responsable de notre malheur (là je parle pour les réalisateurs et les producteurs). Je trouve qu’on a peut-être un peu endormi notre public. Il y a plein de bons films, mais il y a beaucoup d’osties de films plates aussi !
ZC : Si Netflix t’approchait pour financer ton film, dirais-tu oui ?
AD : J’ai à dire oui !
ZD : Si ton long métrage est financé par une grosse compagnie, est-ce que tu vas avoir peur de perdre ta liberté artistique ?
AD : L’idée est que je sois assez intelligent pour que le projet soit assez attirant pour que je fasse passer ce que je veux, que les choses se fassent selon ma vision […]. Quand c’est une commande et qu’on te dit : «Heille, viens nous réaliser le prochain Spider-Man!», c’est le studio qui est aux commandes. Mais quand c’est le studio qui vient chercher ta vision créative, c’est toi qui lead.
«L’idée est que je sois assez intelligent pour que le projet soit assez attirant»
-A. Dostie
ZC : Est-ce que faire un film à la Éric Rohmer, où deux personnes se parlent longuement dans un bar par exemple, c’est quelque chose qui t’intéresserait quand même ?
AD : Pourquoi pas ! C’est une vocation pour moi [la réalisation]. Il y a des idées qui se présentent […]. Quand je réalise que [mes fantômes] veulent pas partir et que je suis pris avec, il faut que je les exorcise, que je fasse des films [rires] !
ZC : Pourquoi cette fascination pour la Beauce dans tes films ?
AD : Je viens de là. On dirait que mes plus vieux fantômes, ils viennent de là […]. J’ai passé dix-huit ans de ma vie là-bas et j’y retourne à chaque année. L’inspiration vient de là. J’ai fait deux court-métrages là-bas. Il y a des retombées dans ces régions. La Beauce, ce n’est pas tant une région qui est visitée par le cinéma. [Pour mon premier long métrage], j’ai vraiment le goût de l’emmener en Beauce.
ZC : Quand tu as présenté Mutants, dont l’histoire tourne autour d’une équipe d’adolescents qui jouent au baseball, aux producteurs, quelle a été leur réaction ?
AD : Si c’était juste ça mon pitch, je ne l’aurais pas eu, le cash ! C’était tellement de la peau faire un bon pitch. C’est basé sur un bon scénario. Après, tu développes un genre d’argumentaire ultra profond sur le film que tu veux faire. Je ne parlais pas juste de kids qui jouaient au baseball, mais je parlais d’identité, de la puberté comme genre de vecteur de transformation… Ça devient rapidement très deep. T’emmènes beaucoup d’eau au moulin. Je le vendais comme un teen movie. Mais ce n’est pas parce que c’est dans un genre pop que tu ne peux pas développer un genre de support théorique full intéressant. C’est la culture pop qui shape la société dans laquelle on vit. Veut, veut pas, il y a de la substance, même quand ça semble un peu divertissant. Par ailleurs, j’écris de la poésie. La poésie est dans ce lieu-là en ce moment… Ce n’est pas underground comme c’était. Ce n’est pas full pop. On est vraiment entre les deux. Ça filtre à travers la culture populaire.
C’est la culture pop qui shape la société dans laquelle on vit.
-A Dostie
ZC : Est-ce que la génération des milléniaux est plus ouverte selon toi ? Est-ce qu’elle assume plus les différentes formes de culture selon toi ?
AD : On est tellement bombardé de tous les côtés de beaucoup d’offres. Je pense qu’à une autre époque, il y a quarante ans, être original, ou faire naître son individualité, c’était plus simple quand tu habitais dans un village. Il n’y a pas 75 dudes qui vont tripper sur la poésie ou sur Led Zeppelin […]. En surface, on est plus complexe. Dans le fond des choses, je ne sais pas.
ZC : Pour finir l’entrevue, voici la question météorologique! Dans Je finirai en prison, c’est nuageux, sauf dans deux scènes-clés pour Maureen… Est-ce que tu as essayé de travailler techniquement là-dessus ou c’est le pur hasard ?
AD : C’est la pure bonté de la volonté des dieux du cinéma ! Le set s’est couvert de neige trois jours avant qu’on arrive. Ce n’était pas supposé être ça. Ça s’est avéré une bonne chose. À la fin du film, on est passé de -26 à 0 en une journée. La crew était en t-shirt. Ça donnait un break. Les cameramen-opérateurs qui essaient de faire le focus, c’est de la peau en ostie [quand il fait très froid]…