Avez-vous parfois l’impression de n’être qu’un chiffre, une valeur, une variable parmi tant d’autre?
On vit dans un monde de chiffres : on parle constamment de prix, de notes, de délais, de quantités, de calories et de pourcentage, bref de n’importe quelle bébelle sur laquelle on peut juxtaposer un beau gros signe de piasse bien juteux!
Un des endroits où l’on peut observer ce phénomène est bien l’environnement académique. Je ne tente pas ici d’embarquer sur le sujet de la gratuité scolaire, il s’agit complètement d’un autre débat. Je m’intéresse plutôt aux représentations sociales que nous nous sommes faites par rapport à notre système d’éducation si souvent critiqué.
Les chiffres en disent long sur nous…
Dès la maternelle on est catégorisé par des nombres : le petit Jérémie socialise bien avec ses camarades, ce qui lui vaut trois beaux soleils, mais il a mordu un ami, la semaine dernière, alors on lui rajoute un gros nuage gris. Sa qualité de découpage sur papier cartonné vaut au moins deux soleils. Par contre, il dépasse toujours les foutues lignes quand il colore, alors Jérémie ne vaut qu’un soleil, deux rayons et des poussières…
Les catégories ne font que se spécifier en vieillissant. Les soleils et les nuages se transforment en lettres de A à E, puis en pourcentages, pour finir en côte Z. Plus on vieillit, plus ces chiffres ont une incidence sur nos vies.
Tout se fait par rapport à nos résultats : l’accès à certains cours et aux stages demande une note minimale, les sessions à l’étranger ne sont accessibles qu’aux étudiants performant à tant de pourcent. Bref, on ne va pas bien loin sans une cote digne de ce nom!
Les étudiants se retrouvent avec une pression énorme et on les compare par rapport à leurs performances. La compétition entre eux est féroce. Chacun doit se démarquer, et si ce n’est pas sur papier, alors ça doit être par le nombre d’expériences ou d’années dans le domaine. Tous les coups sont permis. Ça peut parfois ressembler aux gladiateurs qu’on lançait dans les arènes dans le temps des Romains : «Et que le meilleur gagne!»
Le système finlandais
Selon les dires, le système d’éducation numéro un au monde serait celui de la Finlande. Sa grande particularité réside dans le fait qu’il n’y a pratiquement pas d’évaluations. En résumé, les petits Finlandais ne commencent pas l’école avant l’âge de 7 ans et ils n’ont aucune évaluation durant les six premières années de leur cheminement scolaire. Ils ont plutôt beaucoup de soutien de la part des enseignants et les groupes sont moins nombreux. En fait, il n’existe qu’un seul test standardisé et c’est seulement à l’âge de 16 ans qu’ils le passent.
Ce qui nous intéresse, nous, petits Occidentaux, c’est tout de suite les résultats. On veut des chiffres! Qu’est-ce-que ça donne en pourcentage tout ça? Ont-ils de meilleurs résultats que nous? Si oui, de combien? Preuve que nous ne pouvons nier : nous sommes le reflet de notre société…
Alors en voici, en voilà: il semblerait que la différence entre les élèves ayant les meilleures notes et les élèves ayant les plus faibles serait la plus petite au monde. De plus, 93% des jeunes Finlandais complètent leurs études secondaires et 66% entament des études supérieures. Les étudiants finlandais arriveraient, depuis 2001, dans les premières positions des classements internationaux en science, lecture et mathématiques.
Un tel système ne serait pas possible dans une société comme la nôtre, simplement à cause de nos représentations sociales. Étant donné nos couleurs capitalistes, nous avons collectivement associé tout à la performance : c’est avec un nombre qu’on obtient un diplôme, et avec un diplôme qu’on obtient «une vie». Que ce soit bien ou non, c’est comme ça que ça fonctionne ici, c’est comme ça qu’on différencie les riches des pauvres, les bons des mauvais, ceux qui ont de la valeur de ceux qui n’en ont pas.
Prestige
Notre société ne jure que par la performance. Nous sommes pris avec nos étiquettes tout au long de notre vie. À l’école, tu n’es qu’une note sur cent, et sur le marché du travail, ce qui nous intéresse, c’est combien tu rapportes, alors tu n’es qu’un signe de piasse, précédé par bien des zéros on l’espère.
Nous sommes tentés de choisir un domaine qui est valorisé par la société, un domaine qui permet d’avoir un gros char, des bijoux et de la reconnaissance de nos semblables, car c’est la représentation sociale que nous nous sommes faite de la réussite. Mais devons-nous laisser les chiffres mener notre vie? N’importe quelle note, nombre de soleils ou de nuages, cote ou salaire ne vaut pas le bonheur de faire ce qu’on aime dans la vie. La performance à laquelle on voue tant d’énergie n’est peut-être pas l’élément fondamental de la réussite comme nous le croyons. Il faudrait peut-être arrêter de tout vouloir mettre sur dix pour une fois… après tout, nous ne sommes pas des chiffres.