La zone grise: ce n’est pas aux femmes de se taire

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La zone grise est l’éditorial bimensuel du Zone Campus. Dans ce dernier, Laura Lafrance y partage ses opinions et pensées du moment, et ce, sur une variété de sujets. Portrait par Camille Limoges.

La semaine dernière, Mathieu Marion, professeur titulaire du département de philosophie de l’UQAM, publiait dans le journal Le Devoir une lettre qu’il a cosigné avec 387 citoyens et citoyennes préoccupéEs par l’état de la discussion publique au Québec. Adressant de front la hausse de la violence et de la haine dans les médias ainsi qu’en ligne, cette lettre, signée par de nombreuses personnalités, dont plusieurs femmes, qui ont été ciblées par ces comportements inacceptables, mérite d’être lue attentivement dans son entièreté puisqu’elle souligne avec efficacité l’un des plus grands ennemis de la pérennité du débat public québécois.

Si M. Marion fait autant référence aux chroniqueurs et chroniqueuses qu’aux « keyboard warriors » de ce monde, il mentionne qu’une grande partie de ces personnes qui utilisent leur tribune pour écrire avec fiel sont suivies par un nombre assez impressionnant d’internautes, « il suffit d’une seule chronique pour que déferlent alors dans les réseaux sociaux des propos violents sous la forme d’insultes misogynes, transphobes, racistes et de menaces à peine voilées, dont l’effet cumulatif ébranle fortement la personne ciblée, au point qu’elle remet en question sa prise de parole ou elle craint de perdre toute tribune. »

Cette avalanche de commentaires violents, que M. Marion compare au comportement « d’intimidateurs et intimidatrices dans une cour d’école », ciblerait de façon significativement plus importante les femmes et les personnes appartenant à des groupes minoritaires. C’est précisément cet aspect de la lettre ouverte dont j’aimerais parler, notamment parce qu’il vient toucher une corde sensible en moi, mais surtout parce qu’il touche à l’un des côtés de l’Internet dont personne n’est à l’abri.

Femme, tais-toi!

Si sur les plateformes virtuelles, plusieurs « trolls » se plaisent à nous répéter que les luttes féministes sont maintenant obsolètes et qu’elles contribuent uniquement à faire avancer le soi-disant agenda politique woke des médias et des universités, ceux-ci réussissent, sans qu’on ait besoin de le souligner, à mettre en évidence la vacuité de leurs propres paroles. Pourquoi? Parce que c’est bien souvent les mêmes individus, qui n’ont pas et n’auront jamais le courage de leurs convictions, qui viennent cibler, sous le couvert de l’anonymat ou d’une fausse identité, ces femmes qui, elles, osent exprimer des idées qui peuvent être dissidentes. Et ces « trolls » ce qu’ils essaient de faire, avec leurs commentaires fallacieux et peu argumentés, c’est de nous faire taire.

S’inspirant d’autrui pour se construire une vision réductrice et manichéenne du monde, ils ne peuvent supporter que les femmes s’expriment avec autant de liberté. Eux qui, pourtant, se disent porteurs des valeurs démocratiques et désireux de protéger la liberté d’expression, essaient justement de priver les femmes de cette dernière. La preuve? S’il y a plusieurs hommes qui expriment des idées ancrées dans des valeurs féministes incontestables, il reste que ceux-ci semblent moins sévèrement affectés par le cyberharcèlement que les femmes, comme Martine Delvaux ou Léa Clermont-Dion, qui partagent des propos similaires. Le problème, pour les « trolls », ne semble pas être les propos autant que les femmes qui les prononcent.

je préfère penser que c’est parce que notre voix de femme est puissante et dangereuse.

Nous ne nous tairons pas

Même s’ils viennent nous menacer, même s’ils tentent de nous faire peur, même s’ils continuent de nous associer à des étiquettes stéréotypées qui ne nous correspondent pas, nous ne nous tairons pas. Nous, les femmes ainsi que toutes les autres personnes que les adeptes de l’hégémonie et de la discrimination essaient d’écraser, continuerons d’écrire et de nous exprimer. Nous continuerons d’exister radicalement et sans compromis. Nos ancêtres se sont sacrifiées pour que nous puissions jouir de telles libertés et nous n’accepterons pas qu’elles l’aient fait en vain.

Si les femmes sont déjà libres, comme l’affirment plusieurs, pourquoi est-il si dangereux de s’exprimer publiquement lorsqu’on en est une? S’il serait raisonnable de dire que cela est dû au sexisme et à la misogynie qui existent toujours dans nos sociétés contemporaines, je préfère penser que c’est parce que notre voix de femme est puissante et dangereuse. Nos mots ont de l’impact et une portée inestimés. S’exprimer, en tant que femme, c’est déjà un geste politique. Nous continuerons de nous exprimer et de réclamer justice jusqu’à ce que nos mots changent le monde. Ne nous sous-estimez pas parce que nous sommes déjà en train de le faire.

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