Après avoir démontré (Oh! Quelle naïveté!), dans mon premier article, que la foi appartient à l’étape de l’enfance pour définir l’être humain, il me faut la remplacer. En effet, une des premières lois fondamentales de mon cerveau est la loi de substitution. Cela signifie que la seule manière de me débarrasser d’une idée, c’est de la changer par une autre. Par quoi remplacer la religion? Dès l’Antiquité, à l’homo credulus chaldéen (patrie d’Abraham, père des croyants) s’opposa l’homo sapiens des Grecs.
Sapience = savoir = connaissance = philosophie = science. Avec cette opposition, les Grecs ont défini l’être humain comme un «homo sapiens», c’est-à-dire celui qui sait, qui connait. Pour eux (et même pour nous), connaitre est quelque chose d’aussi naturel que de manger, ou baiser, et la nature y a attaché un plaisir conséquent. Quand un être humain (bébé, philosophe, scientifique) parvient à une meilleure compréhension de la nature, il ressent un grand plaisir. En fait, comme le disait Alison Gopnik, «l’explication est à la cognition ce que l’orgasme est à la reproduction: une expérience éminemment agréable qui marque l’heureux aboutissement d’un désir naturel.» L’acquisition de connaissances est non seulement un des très grands plaisirs de la vie, mais elle est également la première étape qui permet de changer la vie. Quel est le lien avec la philosophie? C’est qu’à l’origine, «sophia» (de philo… sophia) a tout simplement le sens de connaissance. Ce qui fait que la philo est une science (un savoir), la première et la mère de toutes les autres. Nous pouvons donc en conclure que le savoir est un pouvoir et que donner aux gens le savoir revient à leur conférer le pouvoir de disposer de leur propre vie.
Condensé d’histoire. Pour un peu, nous pourrions nous penser dans un conte de fées et conclure: «Ils connurent et ils vécurent heureux.» Mais, arrive le grand méchant loup de l’histoire (l’Église) qui dit, avec l’Ecclésiaste (un auteur le l’Ancien Testament): «Avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de chagrin, et celui qui augmente sa science augmente sa douleur.» Que s’est-il passé? En 313, par l’Édit de Milan, l’Église obtint la liberté religieuse de Constantin, et en 396, avec Théodose, le christianisme devint religion d’État. Au Moyen Âge, la culture appartenait, dans sa totalité, à l’Église. Durant cet âge des ténèbres, la lecture et l’écriture étaient l’apanage des gens d’Église: ce qui était lu, comme ce qui était écrit, restait à leur disposition presque exclusive. Les copistes des monastères rapportaient uniquement ce qui était conforme aux dogmes. Ce qui était contraire n’existait pas. La censure était presque totale.
Pseudo-philo. Et aujourd’hui? Sans absolutiser, les cours de philo dégoutent la plupart des étudiants (au cégep, bien sûr!), ennuient les adultes et suscitent la répulsion chez presque tout le monde. Pourquoi? Le mot grec «pseudo» rassemble dans le même fourre-tout: ruses, mensonges, erreurs, tromperies. N’est-ce pas ce que l’Église a fait de la philo en transformant ce qui devrait être le plus utile des outils de compréhension du monde en jeux, en jargon incompréhensible et, surtout, en «servante de la théologie»? En ce sens, les propagandistes chrétiens nous disent que la philo antique représente, avec le judéo-christianisme, le socle majeur sur lequel s’est formée la pensée occidentale… comme si la philo évoquait un domaine indépendant de la théologie. Le triomphe du christianisme (en particulier au Moyen Âge, mais en sommes-nous sortis?) a-t-il laissé des traces sur la philo? Oui: la philo s’étant développée dans l’ombre de la théologie, elle ne peut être qu’une théologie laïcisée. La philo a été embrigadée, déformée et dénaturée par le judéo-christianisme, au point d’être une caricature de philo. Non seulement l’Église a muselé la philo, mais la philo actuelle est un héritage foncièrement chrétien, donc complètement insignifiant, ou presque.
Preuve? Puis-je fournir une preuve de ce que j’avance? Il suffit d’ouvrir une «Histoire de la philo» pour en prendre conscience. Pour ma part, je me contenterai de poser la question: quels sont les pères de la philo traditionnelle? Socrate et Platon. Pourquoi? C’est l’Église qui a imposé ces pères parce qu’ils servaient ses intérêts à elle. Socrate, parce qu’il est, à l’image de Jésus, un modèle de «juste souffrant», un véritable saint laïc. Pourtant, c’est la profession de foi en l’ignorance qui faisait de Socrate le plus sage (connaissant) des hommes. Comme l’affirmait le dieu Apollon à travers sa Pythie: Est-ce une source crédible? Dans le cas de Platon, il disait: «Si nous devons jamais savoir purement quelque chose, il faut que nous nous séparions (de notre corps) et que nous considérions avec l’âme les choses elles-mêmes.» Cela a donné naissance à l’Idéalisme qui a orienté la philo dans un cul-de-sac pour les millénaires suivants. Comme le résumait Whitehead: «Toute la philo occidentale n’est qu’un ensemble de notes en bas de page de l’œuvre de Platon.» Comment cela est-il possible? Posons-nous la question: à partir de quel critère dit-on qu’un philosophe est un grand philosophe? Il lui faut être idéaliste, autrement dit suivre Platon, dont l’idée principale est que le monde matériel n’est qu’une illusion et que la réalité correspond au monde des Idées. Pouvons-nous cauchemarder une façon plus paralysante de concevoir la philo? CQFD.
L’être humain est-il un «homo sapiens»? Je le pense. La philo classique peut-elle l’aider dans l’acquisition de cette connaissance? J’en doute. Pour sa part, Pascal était d’avis que «la philo (traditionnelle) ne vaut pas une heure de peine». Et ne nous y trompons pas: comme en avait pris conscience Madame de Staël, «le système philosophique adopté dans un pays exerce une grande influence… c’est le moule universel… Ceux même qui n’ont point étudié ce système se conforment à sa disposition générale.» C’est qu’un être humain unidimensionnel (que ce soit au Moyen Âge: religion, ou aujourd’hui: économie) demande une pensée unidimensionnelle, et celui qui sort de cette pensée unidimensionnelle (du moule) est considéré comme un hérétique. Quand il s’agit de défendre leurs dogmes, les philosophes (économistes) agissent-ils différemment de la hiérarchie catholique? Pouvons-nous sortir de ce «sommeil dogmatique»? Pouvons-nous retrouver «une philo aussi indispensable à la conduite de notre vie que les yeux pour marcher» comme l’exprimait Descartes? Je l’espère. À suivre…