Je vous donne un aperçu du dialogue entre mon Moi et mon Je quand j’ai pensé rédiger une chronique sur la mort. Moi: «Quoi? Tu ne penses pas sérieusement leur parler de la mort à une étape de leur vie où les jeunes se sentent immortels, invincibles?» Je: «Allez, ne sois pas bête! Je te cite Épicure: « Quand on est jeune, il ne faut pas hésiter à s’adonner à la philo ». Quant à Montaigne, à la suite de Platon, il précisera: « Philosopher, c’est apprendre à mourir ».»
Est-ce juste? Puis-je apprendre quelque chose que je ne ferai qu’une seule fois? Ne serait-il pas plus pertinent d’apprendre que je suis mortel… de façon à apprendre à vivre?
Où allons-nous?
La mort répond à la troisième des grandes questions (après «d’où venons-nous?» et «qui sommes-nous?»). Et j’admets que c’est un sujet angoissant pour bien des gens. Pourtant, c’est un sujet essentiel… car pour accepter la vie, je dois accepter la mort : elle fait partie de la vie.
La plupart des gens s’efforcent de ne pas penser à la mort. Je tâcherai, en tant qu’être humain, en tant que philosophe, de penser la mort… non pas par quelque goût morbide, mais pour m’éveiller à la préciosité de la vie.
Refus de la mort?
Supposons que je demande à un actuaire, «sur 100 chances, combien en ai-je de mourir?», que pensez-vous qu’il me répondra? 1, 50, 100? Pour sa part, John Maynard Keynes avait coutume de dire: «À long terme, nous sommes tous morts».
Quel est le prix à payer pour nier la mort? Si je ne peux accepter la mort, je serai incapable d’accepter la vie.
Comment, alors, comprendre que la première attitude des gens, face à la mort, en soit une de refus? Pensons à la cryogénisation, la réincarnation, la résurrection: ne signifient-elles pas que l’un des traits les plus universels des humains est le refus de regarder la mort en face? L’inconvénient majeur de ce refus? C’est vraisemblablement ainsi qu’a commencé la religion: à la vue du premier cadavre. Et le culte des morts, lui, a probablement été la cause de la «naissance de l’âme».
Dès que l’être humain a pris conscience de sa mort, il a essayé de comprendre pourquoi. La vérité lui a paru irrecevable parce qu’il ne voulait pas mourir bêtement comme les animaux. Et il a imaginé tout un tas de fables surnaturelles pour se consoler.
Quel est le prix à payer pour nier la mort? Il se résume en peu de mots: si je ne peux accepter la mort, je serai incapable d’accepter la vie (en particulier dans sa dimension sexuelle).
Qu’est-ce que la mort?
Dans notre civilisation, on a fait de la mort un tabou… probablement pour nous maintenir angoissés artificiellement. Peut-elle être un sujet de réflexion? Sans l’ombre d’un doute! Tout ce qui fait partie de la condition humaine m’intéresse.
Alors, qu’est-ce que la mort? C’est la cessation définitive de mes fonctions vitales, un point final à ma vie. Elle est la vérité à laquelle je dois faire face quand j’abandonne les contes de fées des petits enfants. Contre la mort, ni les remèdes du médecin ni l’argent des banquiers ne peuvent rien.
Mais la mort n’a rien de tragique quand elle n’est pas un jugement dernier. Elle n’est qu’une étape dans ma vie, la dernière. D’ailleurs, la mort m’aide à prendre le temps au sérieux. Elle me dit: «Jour après jour, tu dépenses ta vie. Attention! Ta provision s’épuise. Profite de la vie!».
Absurdité? Ou joie de vivre?
Nous naissons, vivons, mourons. Telle est la synthèse de notre vie. Une personne lucide, ayant pris conscience de l’inévitabilité de sa mort, non seulement lointaine, mais comme une menace planant continuellement au-dessus de sa tête, comme une possibilité pouvant s’actualiser à tout moment, peut, dans un moment de découragement, se poser la question: pourquoi vivre si je sais que je mourrai?
En fait, on nous a tellement habitués, pendant 2000 ans de christianisme, à penser en termes d’éternité, que la croyance en une vie après la mort est présente dans toutes les mentalités. À tel point que si la possibilité d’une vie future disparaît, on considère sa vie comme une absurdité. Il est temps de réviser cette malheureuse façon de concevoir l’existence et de comprendre que la vie, non seulement a sa valeur, mais que c’est la seule qui compte… puisque c’est la seule que nous aurons.
J’ignore ce qu’il en est pour vous. Ce que je sais, c’est que la plupart des gens rejettent l’idée de la mort. Quant à moi, je m’exerce plutôt à ne pas l’oublier. Nulle autre pratique ne donne à la vie une telle intensité. C’est la certitude de la mort qui me fait aimer ce goût de me sentir vivre. Il me suffit d’imaginer ma mort pour me sentir transporté par le simple bonheur de vivre. Essayez! Vous verrez.