
Dans le cadre de sa fin de maîtrise par cumul en arts, Cyndie Lemay présente son oeuvre Vestige à l’Atelier Silex. Durant le mois de novembre, l’artiste a occupé le lieu sous forme de résidence. En raison de la fermeture des musées, des galeries et des centres d’exposition, l’oeuvre est accessible sur visite seulement. Elle utilise l’art comme résilience.
Durant les deux dernières années, l’artiste s’est attardée à l’idée de l’expérience. Le titre de sa recherche est «L’expérience du déplacement et de la résilience, un parcours constitutif en installation photographique». Elle utilise la photographie, mais son parcours professionnel l’a amenée à l’envisager autrement. Depuis dix ans, elle travaille en sculpture auprès de l’artiste Roger Gaudreau. Elle s’est alors intéressée au 3D, ce qui l’a amené à lier photographie, sculpture et installation.
La photographie comme objet
Cyndie Lemay souhaite «ramener la photographie à son objet, à sa matérialité», c’est pourquoi elle traite la photographie comme objet. L’oeuvre installation Vestige contient différents types de photographies : une photographie projetée au mur et des photos-origamis au sol. D’une part, même s’il s’agit d’une projection, l’image est tout de suite ramenée dans une tridimensionnalité. La sculpture, au centre, crée de l’ombre à l’image projetée. D’autre part, elle a fait des photographies des objets avec les photos-origamis. Les photographies imprimées sur papier ne sont pas présentées au mur comme nous avons l’habitude de les voir. Elles sont présentées au sol, puis les papiers sont pliés en origami.
Elle transforme ainsi un objet, c’est-à-dire la photographie, à un autre, c’est-à-dire la sculpture. «Tandis que le cliché est pour les photographes une fin, c’est au contraire pour les artistes un matériau artistique à manipuler, découper, coller, assembler» (Rouillé, 2005, p. 438 citée dans 2020, p. 4). C’est précisément dans cette optique qu’elle envisage la photographie comme objet.
L’installation: (re)produire l’expérience
Par le biais de ses photographies et sculptures, elle souhaite donner naissance à une expérience. Elle part de ses expériences personnelles pour créer, puis elle cherche à les retransmettre aux spectateurs et spectatrices. Son matériau de base est son vécu, elle part ainsi d’expériences qui l’ont marqué pour créer quelque chose de grand. «Le deuil de mes enfants [Alexy et Gaëlle] est le point de départ», dit-elle. Suite à ces événements tragiques, l’artiste a été un long moment sans créer ; un jour, tout a redémarré progressivement. L’art, «ça part de l’idée de faire du sens», et permet de «faire la paix avec mes tragédies, puis en faire quelque chose de beau, pour que ça n’ait pas été vain». «L’art, ça peut être ça», dit-elle à propos de la résilience.
Elle s’est alors demandé comment il pouvait être possible de faire vivre une expérience aux spectateurs et spectatrices. Pour ce faire, dans le cas de Vestige, elle nous apporte en «nature». La nature, «c’est ce qui m’a sauvé», dit-elle. En entrant dans le lieu, on se sent tout de suite ailleurs. Nous savons que nous sommes toujours dans un lieu d’exposition, mais nous nous sentons transposéEs dans un autre contexte. En parcourant l’installation, on a l’impression d’être en randonnée. Notre regard, comme notre corps, se promène entre les objets (image projetée, photos-origamis et tipi de bois). Comme en nature, notre regard «n’est pas plat, il a du relief». De ce fait, le spectateur ou la spectatrice participe à une expérience et existe à travers l’oeuvre. En circulant dans la salle, l’oeuvre s’active. Le public «s’investit dans l’oeuvre», puis lui donne un sens nouveau. En fonction du bagage de chacunE, l’expérience vécue diffère. Un lien d’intimité s’instaure ainsi entre celle ou celui qui la regarde et l’oeuvre elle-même.
La place du corps dans l’expérience
Ses recherches se basent sur les écrits de John Dewey en termes d’expérience. Elle s’intéresse aux expériences vécues, puis à ce qu’elles font à notre mémoire et à notre corps. Elle cite Merleau-Ponty (1945) à ce propos : le «corps est la texture commune de tous les objets et il est, au moins à l’égard du monde perçu, l’instrument général de [notre] “compréhension”» (p. 272 citée dans 2020, p. 13). Les expériences «nous marquent corporellement, elles marquent notre mémoire».En quittant la salle, quelque chose se crée: un souvenir. L’oeuvre est vécue corporellement, son caractère immersif fait qu’elle s’imprègne en nous.
L’oeuvre n’est pas accessible au grand public, mais l’Atelier Silex et Cyndie Lemay nous assurent qu’un coup la pandémie terminée, elles travailleront fort pour remonter l’installation et la présenter.
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Référence bibliographique
Lemay, C. (2020). L’expérience du déplacement et de la résilience, un parcours constitutif en installation photographique [essai, document en préparation]. Département de philosophie et des arts, Université du Québec à Trois-Rivières.