Décoloniser le savoir et l’enseignement dans une perspective autochtone

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La colonisation touche tout le monde : soit nous appartenons à un peuple qui a colonisé, soit nous appartenons à un peuple qui a été colonisé, soit les deux. Des façons de penser colonisatrices nous habitent donc tous, et les remettre en question est donc notre affaire à tous. Mais comment aborder la question et quelles formes les solutions peuvent-elles prendre? On vous présente ici le mouvement de la décolonisation dans une perspective autochtone et ce qu’il propose pour bonifier l’expérience universitaire.

Les préoccupations quant à la décolonisation du savoir sont partout. Au Musée McCord, à Montréal, un comité de décolonisation a été mis sur pied. – Crédits photo : Musée McCord.

La décolonisation : un phénomène mondial et omniprésent

Les réflexions sur la nécessité de décoloniser l’université – autant le savoir qui y est transmis que l’enseignement qui y est donné – sont mondiales. Manon De Vevey, de l’Université de Lausanne, explique que le mouvement qu’est la décolonisation « tente de déconstruire ce système inégal [basé sur la hiérarchie des connaissances et l’influence massive de l’Occident] qui favorise amplement une construction occidentale au détriment des 84 % de la population mondiale restante. »

Donna Kahérakwas Goodleaf, directrice de la décolonisation des programmes d’études et de la pédagogie à l’Université Concordia (Montréal), a spécifié à ce sujet, à Radio-Canada : « Les domaines d’études universitaires adoptent, en général, une vision eurocentrée, souvent empreinte de biais inconscients et de perspectives coloniales. »

Le phénomène de la décolonisation consiste donc à mettre fin à la survalorisation des savoirs et façons de faire de l’Occident et à la dévalorisation des autres savoirs et façons de faire. Il s’agit d’enlever l’autorité, la mainmise de la culture blanche ou occidentale, et de faire de la place aux autres cultures. Étant donné l’histoire du Canada, colonisé au détriment des populations autochtones qui vivaient déjà sur le territoire, c’est surtout par rapport aux Premiers Peuples qu’on parle ici de décolonisation.

La science, version coloniale

Il existe des cas graves – et criminels – d’absence d’éthique à l’égard des Premiers Peuples au Canada. On peut penser notamment aux expériences médicales non consenties faites sur des enfants autochtones confinés dans des pensionnats. Ce sont des cas horribles dont il est essentiel de parler. Cela dit, même au-delà de ces cas abjects, on constate des manques d’éthique importants dans les études faites suivant la version coloniale de la science.

Émilie Hébert-Houle, spécialiste en éducation pour les dossiers Premiers Peuples au Département d’éducation de l’UQTR, explique que dans la version classique des sciences, des chercheurs – souvent, des hommes blancs – venaient porter un regard externe sur un milieu. « On pense entre autres à des anthropologues qui arrivaient, s’installaient et ne disaient pas nécessairement : “Je viens vous observer, je vais bâtir ma carrière sur ce que je prélève comme information qui vient de chez vous” », spécifie-t-elle.

Émilie Hébert-Houle, spécialiste en éducation, dossiers Premiers Peuples – Crédits photo : Twitter d’Émilie Hébert-Houle.

Il ne faut pas non plus oublier, comme le souligne Suzy Basile, que les récits, témoignages, rapports de mission, etc. provenant de façon unilatérale d’hommes blancs éduqués, au Canada, ont servi à la création de lois et de politiques comme la Loi sur les Indiens, une loi reconnue comme étant extrêmement discriminatoire à l’égard des Premiers Peuples.

Par ailleurs, si des scientifiques venaient étudier un animal, par exemple, ils ne demandaient pas à la communauté – qui pourtant en était experte – quand venir ou si elle consentait à l’utilisation de colliers. Certains pouvaient aussi abandonner des instruments sur place sur les arbres ou dans le sol, laissant ainsi dans leur sillage une certaine pollution.

Donc, aucune responsabilité face au territoire, aucune participation, aucune consultation, aucune transparence. Et aucune considération pour la valeur du savoir local.

Les vols de biens étaient également monnaie courante. Des archéologues pouvaient repartir avec des objets et les mettre dans des musées chez eux. Ces vols d’artéfacts précieux ont laissé des cicatrices importantes partout dans le monde. Le British Museum est un exemple bien connu de lieux où sont présentés des artéfacts « prélevés » à l’échelle mondiale sans consentement.

Mème sur le British Museum. Traduction : Savez-vous pourquoi il y a des pyramides en Égypte? Parce qu’elles étaient trop lourdes pour être transportées jusqu’au British Museum. – Crédits image : Reddit.

Décoloniser le savoir

Une décolonisation des façons de pratiquer la science doit donc non seulement passer par un souci réel pour le territoire, mais aussi par des approches partenariales.

Avant de partir, il faut s’être demandé si ce qu’on cherche à étudier sert les intérêts de la communauté autochtone visée. Il est nécessaire de se mettre au service de la communauté. « Ce sont les chercheurs qui doivent s’adapter au milieu autochtone et non l’inverse », expliquent les chercheurs Hugo Asselin et Suzy Basile, qui se sont penchés sur la question.

Pour le séjour, il existe désormais des protocoles à suivre : « On s’annonce dans une communauté, on rencontre les gens et on propose des projets de recherche », explique Hébert-Houle. Il faut à présent coconstruire les savoirs avec les communautés et non avoir une optique seulement d’extraction de données, données dont les chercheurs se servent par la suite pour gagner de la renommée sans égards pour leur origine.

Dans une coconstruction du savoir, la communauté est impliquée à toutes les étapes d’une recherche : elle participe à la définition de la question à étudier, à la collecte de données et à l’analyse des résultats. Elle sera aussi reconnue lors de la diffusion de ceux-ci : des gens des communautés sont identifiés comme des co-auteurs et participent aux congrès où la recherche est présentée. La décolonisation du savoir implique donc une transformation des façons de faire dans tous les aspects du processus de la construction du savoir.

C’est en partie afin de favoriser ce dialogue qu’on a recruté, à l’UQTR, un aîné autochtone en résidence, Jacques Newashish, qui participe à diverses activités en classe et sur le terrain.

Jacques Newashish utilise le tambour dans le cadre d’une sortie sur le territoire dans les cours de didactique de la géographie et d’enjeux autochtones contemporains – Crédits photo : Émilie Hébert-Houle.

Décoloniser l’enseignement

Au Québec, comme ailleurs en Occident, le système scolaire est axé sur la performance de l’élève et de l’étudiant, avec un accent considérable sur les notes. On se concentre avant tout sur les accomplissements des individus. Les enseignements vont d’un point A à un point B, et on considère que ce qui a été vu a été acquis. Les élèves et étudiants sont encouragés à se mettre de l’avant pour « vaincre » leurs pairs. Il en va tout autrement de la vision autochtone.

Dans le monde autochtone en général, « la vision du monde est communautaire », souligne Hébert-Houle. Il ne s’agit donc pas de mettre les individus en compétition, mais de reconnaître les forces de chacun et de mettre l’accent sur ces forces pour « valoriser l’importance de l’individu dans son unicité » et bâtir la société ensemble. Traditionnellement, elle explique que « tout le monde participait à l’éducation du jeune, et l’éducation durait toute la vie ».

Ainsi, si notre école est faite pour créer de petits travailleurs, l’enseignement autochtone, lui, avait pour but de créer un sentiment d’appartenance et d’assurer la survie du groupe. L’enseignement abordait donc les valeurs, le vivre-ensemble, les savoirs techniques et une responsabilisation de l’individu pour assurer sa survie et celle des siens.

Émilie Hébert-Houle lors d’une activité sur le territoire en compagnie de Jacques Newashish, aîné atikamekw en résidence de l’UQTR – Crédits photo : Jade Dormoy-Boulanger.

Loin de mettre l’accent sur la discipline ou les récompenses, elle reposait plutôt sur la prévention des problèmes, la création de relation et la justice réparatrice. Selon Hébert-Houle, on a beaucoup à apprendre de ces concepts pour nos contacts en classe. Les nouveaux mouvements en éducation s’en inspirent grandement, mais n’indiqueraient pas cette inspiration. « On voit beaucoup de liens avec les perspectives autochtones, mais l’héritage autochtone n’est pas nommé, les gens ne savent pas », déplore-t-elle. « C’est aussi mon travail de rappeler cet héritage très humain. »

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