
Du 28 au 31 mars s’est déroulée la 31e édition du Salon du livre de Trois-Rivières au Centre des Congrès de l’Hôtel Delta. Le rassemblement de tous.tes ces acteurs.rices du monde littéraire, lors de ce plus important événement de ce genre entre Québec et Montréal, ne laisse pas deviner, pas son ambiance conviviale, l’ombre qui plane au-dessus d’eux.
Cette ombre prend la forme de la loi concernant le droit d’auteur, qui a toujours été vague, voire même floue. C’est pourquoi, en 2012, le gouvernement canadien sous Stephen Harper l‘avait amendée, avec l’intention de la préciser. À cette fin, des exceptions y ont été ajoutées. L’une d’entre elles concernait directement les étudiants.es: la reproduction à des fins d’éducation fait désormais partie de l’utilisation équitable d’un texte.
Ce n’est un secret pour personne que vivre de sa plume est une rareté au Québec. Toutefois, les amendements de 2012 sont loin d’avoir améliorés la situation, provoquant une baisse de 80% des redevances perçues par Access Copyright, l’organisme canadien récoltant auprès des établissements scolaires les redevances liées aux droits d’auteur.[1] « Les universités forment des créateurs.rices d’une main, et refusent de payer ces créateurs.rices dont elles utilisent le travail de l’autre », déplore Maître Annie Massicotte, conseillère juridique de Copibec, équivalent québécois d’Access Copyright.
« Les universités forment des créateurs d’une main, et refusent de payer ces créateurs dont elles utilisent le travail de l’autre » – Me Annie Massicotte.
La plupart des universités, après que les modifications à la loi aient été adoptées, avaient assuré qu’elles continueraient de payer ces redevances, qui ne représentent qu’environ dix dollars par étudiant.e, mais les chiffres parlent d’eux-mêmes quant à ce qu’il en a vraiment été. Cette loi est actuellement examinée par le gouvernement fédéral, qui songe à apporter de nouvelles modifications. Malgré cela, nous sommes en droit de se demander si ces modifications amélioront la situation ou ne serviront qu’à la rendre encore plus confuse ?
Parmi les auteurs.es interrogés.es, on espère le meilleur en redoutant le pire. Une partie du problème, c’est que la mentalité autour du droit d’auteur a beaucoup évolué ces dernières années. « Avec l’avènement de l’ère de l’informatique, tout le monde pense que tout appartient à tout le monde », soutient Tristan Demers, bédéiste jeunesse et animateur d’émissions jeunesses sur la chaîne Yoopa. Effectivement, les ventes de livres ont fortement diminué depuis que les ordinateurs se sont installés dans notre quotidien, et c’est pour M. Demers une situation à laquelle il faut s’adapter. En 2012, le gouvernement canadien amende la loi sur le droit d’auteur, avec l’intention de la préciser. Aujourd’hui, le gouvernement Trudeau se penche de nouveau sur la question.
Tristan Demers, bédéiste jeunesse et animateur d’émissions jeunesses sur la chaîne Yoopa, à son kiosque du Salon du livre. Crédit: Julien Boisvert. Normand Baillargeon, président d’honneur du 31e Salon du livre de Trois-Rivières, au kiosque de l’éditeur Poètes de brousse pour présenter son livre, L’esprit en marche. Crédit: Julien Boisvert.
Vivre de sa plume, pour lui, ce n’est plus simplement vivre des redevances des ouvrages que l’on publie, mais c’est également utiliser le livre comme produit dérivé. « Avant, c’était l’inverse. On écrivait un livre, et s’il avait du succès, on produisait des peluches, des jouets, des émissions télévisées. Désormais, pour qu’un livre se vende, il faut qu’il se base sur un produit existant comme une émission ou un jeu, dont la popularité soutient celle du livre », déclare M. Demers.
Par contre, pour les jeunes auteurs.es, ce n’est pas si clair. M. Demers déplore que la méconnaissance de la chaîne du livre et du milieu du livre soit répandue chez les auteurs.es qui y font leur entrée. Beaucoup d’entre eux.elles sont déçus.es par le pourcentage qu’ils.elles touchent sur leurs ventes. Ayant baissé ces dernières années, en raison de la hausse du coût des matériaux, ce pourcentage se situe aux alentours de 10%.
En 2012, le gouvernement canadien amende la loi sur le droit d’auteur, avec l’intention de la préciser. Aujourd’hui, le gouvernement Trudeau se penche de nouveau sur la question.
Pour Ariane Gélinas, chargée de cours à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et auteure de sept romans fantastiques, il est vrai que les créateurs.rices sont peu rémunérés.es « il y a les bibliothèques pour l’accès à l’information et aux œuvres, ce qui représente une alternative gratuite à l’achat de livres. Ces livres étant sujets aux droits de prêts publics, qui rapportent aux auteurs.es une certaine somme pour chaque occurrence d’un livre en bibliothèque, cela témoigne d’un certain respect envers les créateurs.rices », souligne-t-elle.
Ce n’est toutefois pas suffisant. Outre l’exception éducationnelle et les problèmes qu’elle a causé, la chaîne du livre elle-même devrait peut-être être remise en question, suggère Mme. Gélinas. « Il est vrai que les libraires, qui perçoivent le plus d’argent à la vente d’un livre, doivent payer des employés.es, un loyer et d’autres frais liés à l’entretien d’un commerce, et que les éditeurs.rices doivent faire face à l’augmentation des coûts de productions », reconnaît-elle cependant, rejoignant en ceci le propos de M. Demers.
Cependant, pour l’instant, la plupart des auteurs.es perçoivent moins de 3000$ annuellement pour leur dur labeur. « Les créateurs.rices ont pourtant besoin de fonds pour vivre, ils.elles ont besoin de manger comme tout le monde. Il faut une compensation pour les encourager à poursuivre la création », affirme Normand Baillargeon, ancien professeur en sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et président d’honneur du 31e Salon du livre de Trois-Rivières. « Les droits d’auteur sont une part importante des revenus d’un.e auteur.e, de sorte qu’il est assez injuste de la part des universités de ne pas payer », ajoute-t-il.
« Les créateurs.rices ont pourtant besoin de fonds pour vivre, ils ont besoin de manger comme tout le monde » – Normand Baillargeon.
S’il est vrai que ces droits d’auteurs sont un fardeau financier supplémentaire sur les épaules des étudiants.es, ce n’est pas non plus une somme exorbitante qui soit demandée pour les couvrir. Ceux.celles d’entre vous qui auront déjà procédé à leur inscription à la session prochaine auront peut-être constaté la somme de 11,25$ avec la mention « Copibec » juste à côté: il s’agit de la somme versée pour les droits de reproduction. Un petit prix à payer, afin de supporter les créateurs.rices québécois.es, que nous rejoindrons peut-être un jour.
[1]https://www.copibec.ca/fr/mobilisation?fbclid=IwAR3CfmipNBoPosufuIICuMfz9UX9dAnVOK4Han_LDoOn1r_rz1XgJ_BkSpA