Il existe mille et une raisons de faire du sport. En fait, il y a probablement autant de raisons qu’il existe d’individus. Que ce soit pour garder la forme, contrôler sa masse corporelle ou triompher dans le cadre de compétitions, il n’y a aucune limite à ce qui peut motiver quelqu’un à profiter de cette drogue addictive aux effets cumulatifs. Consommée avec assiduité, cette drogue, qui n’en est pas une au sens strict du terme, ouvre un univers de possibilités, d’occasions et de bienfaits.
Ce n’est pas pour rien que le sport, sous ses formes les plus diverses, est au centre de toutes les cultures. Ce sont ses valeurs universelles de courage, de dépassement et de persévérance qui lui donnent cette place de choix dans le cœur de l’humanité. Rien n’est plus fédérateur que le sport, pas même (surtout pas en fait) l’argent. Il nous rappelle que, malgré nos différences et nos différends, nous partageons tous cette capacité unique de nous dépasser et de transcender, même momentanément, notre statut de mortel. Pour cela, et pour bien d’autres raisons, nous pouvons non seulement considérer le sport comme une ode à la vie et à ce qu’elle a de mieux à nous offrir, mais également, et surtout, comme un gigantesque doigt d’honneur à la mort. Nous ne sommes jamais plus en vie que lorsqu’on bouge.
Cette prémisse, toute simple et plutôt sexy, peut nous mener à croire, plus ou moins à tort, que le sport et la mort sont tout aussi diamétralement opposés et incompatibles que le sont l’obscurité et la lumière, le blanc et le noir ou encore le bien et le mal. Autrement dit, elle nous amène à croire dur comme fer que la mort ne peut s’inviter dans le sport, qu’elle y est en quelque sorte persona non grata.
Jamais on ne penserait qu’elle vienne briser à la fois l’amitié et les rêves olympiques qu’Éric Lamaze, cavalier canadien médaillé d’or dans sa discipline aux Jeux Olympique 2008, partageait avec sa fidèle monture Hickstead lorsque celle-ci est décédée le mois dernier en pleine compétition des suites d’une rupture de l’aorte.
Jamais on ne penserait qu’elle puisse faucher, par l’intermédiaire d’une dispute de famille aux détails flous, un joueur de baseball néerlandais de 24 ans à l’orée de sa jeune mais néanmoins prometteuse carrière dans la prestigieuse Major League Baseball américaine.
Et jamais on ne penserait qu’elle puisse assombrir un événement aussi populaire et rassembleur que le Marathon de Montréal en venant chercher un de ses courageux et expérimentés participants. Et pourtant, en regard de ces événements, nous comprenons que la mort est imprévisible et profondément injuste. Elle frappe n’importe où, n’importe quand et, surtout, ne s’embarrasse pas de ces inventions tout à fait humaines que sont la logique et la rationalité. S’il y a une chose que nous ne pouvons contrôler, c’est bien celle-là.
Lorsque la mort vient entacher la chose sportive, il s’en trouve toujours pour clamer haut et fort que l’une est la conséquence de l’autre. Autrement dit, il s’en trouve toujours pour soulever le fait que, peut-être, la réalité aurait été tout autre si l’athlète ne s’était pas adonné à son sport. Dans le même souffle, ces mêmes individus avancent l’hypothèse qu’en intervenant à la source en changeant les règles du jeu, on règlerait le problème. Cette croyance est d’autant plus forte lorsque l’événement nous est familier, lorsqu’il se déroule littéralement dans notre cour arrière, comme c’est le cas pour le Marathon de Montréal.
La mort frappe n’importe où, n’importe quand et, surtout, ne s’embarrasse pas de ces inventions tout à fait humaines que sont la logique et la rationalité.
Bien qu’elle soit compréhensible (personne ne veut avoir de cadavres dans sa cour), cette conviction à l’effet que l’on peut changer le cours normal des événements en est une non seulement utopique, mais également très dangereuse. L’adopter reviendrait, à mon avis, à s’avouer vaincu. Ce serait, je pense, un tort incroyable à faire vis-à-vis la mémoire des trépassés. Nous rejetterions littéralement ce qui les a passionnés, ce qui les a menés à se dépasser et à devenir des modèles pour nous tous et surtout ce qui leur a probablement procuré la plus grande dose de plaisir et de vitalité. Bref, en nous privant de faire du sport, nous cracherions sur leur héritage.
Il est fort probable que vous le saviez et l’attendiez impatiemment, mais bientôt une nouvelle année s’entamera. Ce moment correspondra pour plusieurs à un retour à la case départ où, imprégnés par l’esprit du temps des Fêtes et la bonne humeur qui y est associé, nous prendrons de grandes résolutions. Malheureusement, il arrive bien souvent que, plongé dans le rythme effréné de nos vies, celles-ci prennent littéralement le bord. Dans certains cas, ce scénario est même inévitable.
Cette année, je vous propose la trame suivante en lieu et place de ces promesses irréalistes : prenez le temps de vous accorder une pause pour simplement prendre conscience de vos propres limites en tant qu’êtres humains soumis aux aléas de l’existence. Autrement dit, apprenez à voir votre propre mort au quotidien comme une partie intégrante de notre vie et non comme ce qu’elle n’est pas, une finalité.