Cette question me parait aujourd’hui vétuste, et elle mériterait d’être remplacée par quelque chose de beaucoup moins précis, et sans connotation d’univocité. La culture du travail au Québec, ou plutôt la perception des nouvelles générations envers celle-ci, a beaucoup changé. Il semble irréfutable qu’on assiste à une crise de génération, une friction entre la hiérarchie et l’autonomie. Une génération sans cesse pressée par son individuation et qui ne désire plus être définie par son gagne-pain. Une génération triste qui travaille pour acheter des manières de s’éloigner de la vraie réalité. Et au final, une génération qui désire s’élever, qui voit la vie comme une perpétuelle occasion de développement.
Une question précoce
Alors que j’étais une adolescente angoissée, mes enseignantes nous demandaient ce qu’on voulait « faire dans la vie ». Cette question insidieuse signifiait pour moi : dans quel travail veux-tu te caser ? Sans blague, cette question a toujours été une source d’anxiété inépuisable. Avec du recul, ce qui m’irritait était probablement la pression de faire un choix. J’avais l’impression de devoir prendre une décision irrévocable. Rassurez-vous, aujourd’hui j’ai accepté d’être en crise existentielle, et ce, jusqu’à ce que mes neurones se déconnectent.
Auparavant, je travaillais dans les écoles primaires. Il m’arrivait d’entendre des enseignantes ou des intervenantes demander aux plus vieux ce qu’ils voulaient faire plus tard. Sans être mal intentionnées, elles ont généré des regards égarés, le même regard que moi j’avais. Pour certains enfants, la réponse vient très rapidement et n’implique pas une très grande réflexion. Pour d’autres, c’est une pousse qu’on y dépose, et celle-ci grandira et infligera des préoccupations jusqu’à l’âge adulte.
On ne devrait plus demander aux préadolescents et aux adolescents quel métier ou quel emploi ils veulent occuper, mais leur demander qu’elles sont tes passions ? Quels sont tes intérêts ? As-tu toujours eu cet intérêt ? Parce que oui, les intérêts peuvent évoluer dans le temps, et c’est normal, surtout avant la trentaine, on change nous aussi, c’est simplement logique que nos passions aussi.
C’est là-dessus qu’on devrait miser, sur ce qui les rend heureux plutôt que sur ce quoi ils sont doués (et tant mieux si les deux vont de pair). On reconnait de plus en plus l’importance de prendre soin de sa santé mentale, alors il serait cohérent de leur monter la corrélation entre un travail à peu près plaisant et un facteur de protection en défaveur de la détresse psychologique. Heureusement, les temps changent, et non sans grande réticence, les jeunes adultes amènent leur couleur dans la culture du travail au Québec.
Relation horizontale
La nouvelle génération des jeunes travailleurs n’est pas différente des autres générations au même moment, toutes veulent défier l’autorité. Seulement, la nouvelle génération semble avoir plus de latitude puisqu’elle n’a pas à nourrir une femme et 5 enfants. Les offres emplois moins techniques sont très nombreuses, et j’ai l’impression que tranquillement on repense la notion de hiérarchie.
La fidélité envers un employeur n’est plus très prisée, surtout dans les grandes entreprises. Il n’en faut pas beaucoup, soit de meilleurs conditions ou salaire, pour qu’un travailleur se retrouve un nouveau salarié dans la cour du concurrent. Est-ce une mauvaise chose ? Bien entendu, cela comporte des effets néfastes, mais cela aussi des effets positifs, on force, justement avec la pénurie de main d’ouvre, les dirigeants à offrir des conditions alléchantes ; on assiste à un retour, surtout avec les entreprises en économie sociale, des assurances collectives ou des fonds de retraite.
J’ai la vive impression que, pour l’instant – il est difficile de dire pour l’avenir, nous pouvons choisir notre type d’autorité. Certains travailleurs semblent préférer des postures d’autorité, de faits ou d’expérience, qui est une posture que se rapproche plus de l’autorité traditionnelle, c’est-à-dire gravir les échelons une année à la fois. Ainsi, ces personnes vont accepter d’effectuer une tâche demandée par son supérieur parce qu’il ouvre au sien de la compagnie depuis plus longtemps que lui.
Pour d’autres, c’est davantage l’autorité de compétence. Les supérieurs de cette personne vont lui demander de faire une tache et celle-ci acceptera, car elle considère que ceux-ci ont su prouver avoir les aptitudes nécessaires pour justifier cette demande. La nuance est très grande, la deuxième catégorie (cette présentation est très binaire, elle nécessiterait d’être plus développé et nuancé) est peut-être moins mécanique, ce qui les pousse à agir est plus intrinsèque.
Autonomie et confiance
L’une des raisons qui me poussent à croire que la deuxième catégorie est moins automatique est justement parce qu’il est autonymique. Ces personnes veulent être des individus et veulent des tâches en fonction de leurs compétences. Elles veulent la confiance de leur employeur, elles comprennent que tous ne peuvent avoir les mêmes qualités, et veulent justement être reconnus pour celles-ci.
J’ai également l’impression qu’elles préfèrent les relations horizontales. Elles possèdent la conscience qu’une certaine autorité est nécessaire, mais que chaque membre de l’équipe possède sa propre expertise et que chacun peut se faire confiance et agir en complémentarité.
Pour revenir à la question
Tout bien considéré, il est important, d’une part, de penser dans quel domaine général nous voudrions évoluer, sans penser à un métier précis, et d’autre part, se demander, en ce moment, quel type d’environnement nous convient le mieux. J’insiste sur le moment présent, car on ne doit pas oublier que nous sommes en constante évolution. Il se peut que dans dix ans vous soyez dans un autre état d’esprit ou dans une autre situation. Il n’y a jamais rien de coulé dans le béton.
Je vous lance donc cette réflexion si, vous aussi, vous vous trouvez dans une crise existentielle : est-ce qu’en ce moment j’ai envie de me lancer dans un projet ou j’ai simplement envie de travailler et de vivre dans mes moments de répit ?