Éditorial : Le développement durable est désormais un concept qui ne veut plus rien dire

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Crédits : Camille Ollier.

Tout récemment, dans mon fil d’actualité, j’ai vu des articles qui relayaient que la Chambre de commerce et d’industries de Trois-Rivières avait remis son prix Radisson du développement durable (DD) à l’organisation du Grand Prix de Trois-Rivières (GP3R). Après un moment de stupéfaction, je suis allée vérifier s’il ne s’agissait pas d’une mauvaise blague. Et bien non, le GP3R a bel et bien reçu cet honneur. S’en est suivi une longue discussion avec moi-même à propos du développement durable, d’autant plus que plusieurs activistes autour de moi commencent à prôner la décroissance et dénoncent le capitalisme vert. Je me suis demandé si le DD (développement durable) avait réellement existé, et si oui, qu’est-ce qui le pousse à la dérive? Deux constats : le prix Radisson du DD ne veut plus rien dire et infirme les anciens lauréats ; le DD est multisémantique et son interprétation peut être influencée par des idéologies politiques.

Petit historique

Jusqu’aux années 60, on ne se penchait pas vraiment sur les questions reliées à l’environnement. Il y a quelques politiques, mais elles sont très sectorielles, c’est-à-dire relatives à un seul problème. On ne semblait pas savoir que les problèmes écologiques étaient systémiques. D’autant plus que l’industrialisation apportait une économie prolifique, on se demandait comment accroître l’économie plutôt que comment diminuer notre impact environnemental.

C’est plutôt dans les années 70 qu’on commence à prendre au sérieux les questionnements sur l’environnement et qu’on entreprend des débats. Le rapport de Meadow publié en 1972, « qui souligne que l’avenir de la planète et de l’espèce humaine est menacé par le maintien du rythme de croissance économique et démographique. Aux prévisions selon lesquelles notre planète ne serait plus habitable à l’avenir en raison de l’expansion industrielle se sont ajoutés les pronostics néo-malthusiens1 d’une explosion démographique dans les pays en développement. » Ce rapport, combiné à la conférence de Stockholm aussi en 1972, seront deux événements significatifs dans la compréhension des fondements institutionnels du concept de DD. C’est vers 1980 que le terme sustainable development arrive pour la première fois à l’ONU.

À l’échelle de la province, le gouvernement a commencé à intégrer progressivement les principes du DD dans ses politiques et ses initiatives vers 1985. Ce sont des organisations non gouvernementales et des groupes communautaires qui ont contribué à promouvoir le DD à travers divers projets et initiatives. En 1989, entre en vigueur le Protocole de Montréal. Il s’agit d’un accord international visant à protéger la couche d’ozone stratosphérique en éliminant progressivement la production et la consommation de substances qui appauvrissent la couche d’ozone.

Le concept de DD

Ce concept ne concerne pas uniquement l’aspect environnemental, mais aussi un « développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable. » Sans s’étendre sur les détails complexes de la théorie, ce qu’on peut dire, c’est que le DD est polysémantique, et que sa compréhension est propre à chaque personne. Dans le fond, qu’est-ce que cela veut réellement dire « développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable » ? Son interprétation diffère, j’ai l’impression, en fonction de ses orientations sociales et politiques. D’autant plus qu’il est impossible d’accorder parfaitement ces trois axes. Inévitablement, l’un penchera davantage dans la balance, selon les priorités avec des valeurs bien précises comme fondement.

Si on ne lisait que la théorie, on croirait que ce nouveau concept transformera le monde et nous sauvera tous. Mais il n’en est rien. Le concept de développement durable existe. Mais le développement, c’est-à-dire l’application de ce concept, n’existe plus. Il a existé un court laps de temps par les acteurs des groupes communautaires, des associations, des regroupements citoyens ainsi que dans certains soulèvements. Il n’a jamais existé ailleurs. Surtout pas au sein des gouvernements, beaucoup trop souvent ancrés dans une orientation libérale des marchés économiques.

Le paradoxe du DD

Le concept de DD n’a jamais voulu autant rien dire. Le DD, pour le Québec libéral, c’est du capitalisme vert. Le capitalisme vert vise à « harmoniser » les fondements du capitalisme avec les impératifs de durabilité environnementale. Je rappelle que ce système est basé sur la propriété privée des moyens de production et la recherche du profit. En résumé, c’est de créer des modèles économiques qui intègrent les préoccupations écologiques tout en préservant les mécanismes de marché propres au capitalisme. Wow, encore une fois, nous sommes sauvés ! Et non, ce n’est qu’un leurre.

Ce n’est pas de nouvelles voitures électriques dont nous avons besoin, c’est du transport collectif efficace, abordable et agréable à utiliser. Des solutions, il y a des centaines. Les experts, les citoyens et certains groupes d’élus en proposent constamment. Les gouvernements préfèrent simplement investir ailleurs. Plutôt que de donner de l’argent aux propriétaires d’habitation afin de mieux isoler leur maison et limiter leur dépense énergétique, ils subventionnent des mégas entreprises étrangères afin de venir s’installer au Québec.

Photo : Resilience.org

Le dossier Northvolt

Il a d’excellents exemples qui viennent confirmer que le développement durable est un concept qui ne veut plus rien dire. Premier exemple, en Montérégie : la construction de l’usine Northvolt. C’est une compagnie suédoise spécialisée dans la fabrication de batteries lithium-ion pour les véhicules électriques et les systèmes de stockage d’énergie. Ils désirent construire une méga-usine à McMasterville et Saint-Basile-le-Grand. « Northvolt réalise actuellement les travaux de destruction de milieux humides et du couvert végétal », peut-on lire dans un article du Devoir.

Le gouvernement provincial a donné près de 436 millions en subvention et le fédéral a donné près de 400 millions. Je ne compte pas là-dedans les prêts accordés. Près de 836 millions d’argent public ont été donnés, comme ça, à une entreprise étrangère. Je suis d’avis que cet argent aurait pu être investi autrement, par exemple dans le transport collectif. Créer des voitures avec aucune empreinte écologique, ça n’existe pas.

Photo : courtoisie www.change.org/p/non-à-northvolt-à-mc-masterville

De plus, Northvolt a annoncé qu’il désirait acheter du cobalt en Afrique centrale, notamment au Congo. On sait depuis longtemps que la population africaine n’en retire aucun bénéfice, contrairement aux compagnies minières étrangères. En effet, on peut lire dans une étude de 2020 publiée par l’organisme CongoMines que « les inégalités économiques ciblent, quant à elles, au plan macro-économique, le peu de participation de l’exploitation minière au budget de l’État du fait des avantages fiscaux faramineux octroyés aux exploitants miniers et au plan micro-économique la perte des moyens de subsistance des communautés, le partage inéquitable des revenus entre les acteurs des chaines de valeur de l’exploitation minière, etc. »

Et on ne parle même pas des conséquences sociales: « tandis qu’au plan social, les conséquences des délocalisations des populations appelées à se déplacer pour laisser la place à l’industrie minière mais aussi la marginalisation des femmes et les problèmes des jeunes qui doivent abandonner une activité de subsistance et devenir alors la proie des groupes armés. » Je comprend difficilement comment, le gouvernement et son client (Northvolt), peuvent justifier ce projet en évoquant le développement durable.

Je souligne les tartuferies hors du commun de la part de nos élu.e.s. Par exemple, quand notre ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie canadien François-Philippe Champagne demande aux Canadiens de « regarder l’objectif final qui est de transformer l’industrie québécoise vers une industrie plus verte, qui va être soucieuse de l’environnement et qui entre dans l’économie du 21e siècle. » Ou encore quand notre ministre québécois de l’Environnement Benoit Charette dit à Paul Arcand au début du mois dans son émission: « j’ai des objectifs à atteindre d’ici 2030 pour la décarbonation de l’économie. Et c’est un projet qui va nous aider à les atteindre ». Bravo messieurs, faut être habile quand même.

30 ans plus tard

Comme je l’ai mentionné plus haut, cela fait plus de 30 ans qu’on parle de développement durable au Québec. Les choses n’ont toujours pas changées, malgré les mises en garde des experts. Le gouvernement n’a jamais pris ses responsabilités. Il dit agir en fonction des intérêts de la population, mais au final nuit grandement à celle-ci. Le plus absurde là-dedans, c’est qu’il le fait avec une hypocrisie et un mépris hors norme envers sa propre population. S’il veillait vraiment au bien-être et à la santé des québécois, ce projet, et tous les autres du même type, n’auraient jamais aboutis.

Mais comme le souligne Éric Pineault, membre de la Chaire de recherche UQAM sur la transition écologique de l’Institut des sciences de l’environnement, cette stratégie semble typiquement québécoise : « c’est une logique de développement qu’on connaît bien au Québec : utilisation de notre énergie peu onéreuse pour attirer des multinationales afin qu’elles installent leurs unités ayant des procédés industriels énergivores. » La question qui reste : vais-je voir un jour un Québec plus vert ? À voir.

Sources :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2043516/hydro-quebec-energie-fitzgibbon

https://www.ledevoir.com/environnement/809334/northvolt-ne-reduira-pas-ges-quebec?utm_source=recirculation&utm_medium=hyperlien&utm_campaign=boite_extra

https://www.ledevoir.com/environnement/809465/francois-legault-presente-northvolt-comme-grande-fierte

https://www.environnement.gouv.qc.ca/developpement/evol-concept.htm

https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/00380261221121232

https://www.ledevoir.com/environnement/806248/northvolt-depose-demande-construction-giga-usine

https://moodle.polymtl.ca/pluginfile.php/413972/mod_page/content/70/Historique%20Developpement%20Durable_2002.pdf

https://www.futura-sciences.com/planete/definitions/developpement-durable-catastrophe-baie-minamata-6751/

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2053296/gala-radisson-grand-prix-environnement

https://www.economie.gouv.fr/facileco/robert-thomas-malthus#:~:text=Il%20est%20simple%20%3A%20%C2%AB%20la%20population,bouches%20%C3%A0%20nourrir%20se%20multiplient.

  1. « La croissance démographique dépasse le rythme de production des ressources nécessaires à la subsistance. » ↩︎
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