Éditorial : OnlyFans, un réel avancement pour les causes féministes ?

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Photo : Getty/LightRocket

Récemment, la vie a mis sur mon chemin une femme fort gentille. C’est une personne fortement éduquée, entreprenante et charismatique. C’est également une travailleuse du sexe. Elle possède aussi un compte sur la plateforme numérique OnlyFans (OF). Sincèrement, j’étais très heureuse de la rencontrer, depuis très longtemps j’avais des questionnements concernant cette plateforme, que je n’ai jamais visitée et qui me paraissait nébuleuse. Cette femme, après un petit éclat de rire, m’a souri et a accepté de répondre à mes questions. Nous avons discuté près d’une heure, entre deux tables dans un petit café de Shawinigan. Mes interrogations concernaient ses motivations ainsi que sa tolérance au fardeau de la vision négative de la société qui se pose sur les créatrices de contenu pour adulte. Après cette agréable rencontre, sur le chemin du retour dans ma voiture, j’ai écouté une entrevue menée par Sophie Durocher avec Hélène Boudreau ou « la fille de l’UQAM ». Celle-ci affirme qu’elle défend la cause féministe. C’est à ce moment qu’une nouvelle interrogation m’est survenue, est-ce que OF contribue vraiment à la libération de la femme ? Vous verrez que la réponse dépend de la définition qu’on donne au féminisme.

Afin de bien cerner la question

Je désire avant tout mettre les choses au point, je suis totalement indifférente aux femmes qui possèdent un compte OF, si elles peuvent gagner leur vie avec cela, et bien, c’est tant mieux. Après tout, il s’agit d’un métier comme un autre à mon sens. L’important dans la vie, c’est de faire ce qu’on a envie de faire.

La question qui est au cœur de ce texte concerne le féminisme et la plateforme de contenu pour adulte, rien d’autre. Je ne fais le procès de personne, et de toute façon, avec quelle autorité le ferais-je ? Je me demande simplement si je suis en accord avec Hélène Boudreau lorsqu’elle dit que le féminisme « c’est accepter tous les choix de la femme » et qu’avec son contenue elle se bat pour la cause des femmes. Je relance donc : peut-on considérer OF comme un avancement de la cause féministe ?

Avancement pour l’exploitation

On ne peut nier que OF possède des bienfaits concernant le respect des limites des travailleuses qui œuvrent dans le monde du sexe. En effet, les créatrices de contenus peuvent désormais décider de leurs limites, et ce, théoriquement sans aucune pression externe. Elles décident de ce qu’elles montrent, le nombre de publications et avec qui elles discutent. On leur offre désormais un espace sécuritaire. Cela est vraiment bien, si on compare aux travailleuses du sexe qui, en plus de n’avoir aucune assurance si elle se blessent, se retrouvent souvent dans des endroits non sécuritaires.

Il a été statué il y a longtemps que dans le monde de la pornographie ou du travail du sexe, les hommes, qui sont la plupart du temps les percepteurs principaux des capitaux occasionnés, forçaient ou incitaient très fortement les femmes à faire des choses avec lesquelles elles n’étaient pas à l’aise. D’ailleurs, Hélène Boudrault l’a également mentionné dans son entrevue, « ce sont les hommes qui ownaient la porn ».

Les femmes peuvent donc désormais faire beaucoup d’argent avec les abonnements qu’elles vendent. Par contre, je pense qu’il s’agit d’une fausse victoire, car au bout du compte, celui qui en ressort le plus gagnant reste le propriétaire de OF ainsi que ses actionnaires, majoritairement des hommes. Leonid Radvinsky, celui qui possède OF, a une valeur nette estimée à 2,1 milliards de dollars. C’est loin devant les millions que peuvent faire les quelques créatrices de contenu les plus riches en une année. Au bout du compte, les femmes font encore la grande majorité du travail et restent au bas de l’échelle.

Pornographie

Concernant la pornographie, deux perspectives féministes sont intéressantes. Celles-ci sont présentées dans la thèse Sex, Love, and OnlyFans : How the Gig of Economy Is Transforming Online Sex Work, de l’étudiante Aryana Safaee de l’Université de l’État de San Diego, présenté en 2021 pour l’obtention de son master en science politique. La première se nomme (selon ma propre traduction), le mouvement individuel féministe (individualistic feminist movement). L’autre se nomme la perspective féministe anti-porno (the anti-porn feminist perspective). Pour différencier les deux, je vais citer l’autrice : « the individualistic perspective focuses on the positive experience pornography can have for individual women, while the anti-porn feminists view it as more of a collective issue where the alleged sexual liberation of one person negatively impacts a whole gender. » En gros, l’un se penche plutôt sur l’aspect individuel et l’autre sur les répercussions sur le genre.

Il s’agit encore une fois d’une présentation peu précise et qui manque de nuances, mais nous pouvons tout de même nous faire une petite idée. Est-ce que l’aspect du développement individuel compte davantage que l’aspect utilitariste de la société, est-ce que le bien commun doit primer ? Concernant l’aspect individuel, la créatrice de contenu avec lequel j’ai discuté me parlait des self-made-women, qu’on pourrait traduire par « femme qui a réussi par ses propres moyens ». C’est une notion liée à l’idée d’autodétermination et la réussite individuelle grâce à l’effort personnel et à la persévérance.

Je pense que les hommes d’affaires ont bien compris cette notion, et, d’ailleurs, vont présenter leur plateforme avec ce type d’argument. Ils vont manipuler les créatrices de contenu en disant qu’elles peuvent être responsables de leur succès, et dans une société individualiste et capitaliste, cet argument est plus qu’alléchant. Encore une fois, il s’agit d’une fausse conception du pourvoir qu’on les femmes sur elles-mêmes, cela reste une emprise pour le moins subtile.

Photo : Canva

Fausses croyances

On accuse souvent les femmes sur cette plateforme d’une sorte d’aversion pour l’effort. Je pense très sincèrement que cela s’avère faux. La compétition est féroce, celles-ci doivent mettre beaucoup d’efforts afin de se renouveler, de publier souvent du contenu ou encore de répondre à toutes les demandes privées. Contrairement à ce que certains peuvent penser, ces femmes ne font pas que prendre leurs fesses en photos, mais travaillent parfois de longues heures, presque tous les jours de la semaine.

Aussi, plusieurs semblent penser que toutes les femmes sur la plateforme font beaucoup d’argent. Encore une fois, c’est faux. On nomme souvent Lysandre Nadeau qui a fait plus de 110 000 dollars lors du premier mois après son inscription sur OF. Elle ne représente en aucun cas la majorité des femmes. « En général, un compte OF n’est pas synonyme de popularité et de richesse. Le créateur moyen gagnerait 180 $ US par mois et ne compterait que 21 abonnements. Le tiers des revenus sont générés par 1% des créateur.trice.s (les plus populaires). Une répartition de la richesse un peu comme dans la vraie vie… »

Et la cause féministe dans tout ça?

Je reviens à l’exemple de départ, celui d’Hélène Boudreau. Reprenons alors ses paroles : « c’est accepter tous les choix de la femme. » Je considère que cela est le résultat de longues luttes féministe, c’est-à-dire de permettre aux femmes de faire n’importe quel métier. Je suis totalement d’accord que le féminisme, c’est effectivement d’accepter tous les choix de la femme. Cependant, pour moi, faire évoluer la cause féministe, c’est d’apporter un changement de société, un nouveau regard sur les mœurs ou encore une réflexion collective. 

Je n’ai absolument rien contre le fait qu’elle pratique ce métier, c’est effectivement un métier comme un autre. Le but n’est pas de faire son procès, car elle n’est pas la seule à tenir ce discours. Au contraire, je la trouve courageuse, elle refuse rarement des demandes d’entrevue, il faut du cran pour se pointer à chaque fois, malgré la critique, et surtout, pour continuer à chanter la même chanson. Par contre, scander de faire avancer la cause féministe, c’est cela qui me chicote. Pour moi, un exemple concret, en lien avec le contexte, serait de parvenir à légaliser le travail du sexe, ou encore, qu’elles aient la totalité des revenus qui sont reliés à leur contenu. Au bout du compte, elle est une femme d’affaires, mais pas une féministe. Elle peut l’être dans l’âme, cela ne fait aucun doute, mais pas dans la pratique.

La réflexion, ou plutôt le débat qu’elle lance ne fait encore que contribuer à l’instrumentalisation du corps. Elle-même le dit lors de l’entrevue (oui, beaucoup de choses se sont dites dans cette entrevue) : « mon corps, c’est mon outil de travail ». Quel modèle pour les jeunes hommes ? Le corps de la femme est encore un objet de séduction, simplement reliées à la sexualité. Elles continuent d’envoyer un message inconscient aux jeunes hommes. Quel modèle pour les jeunes filles ? Un travail très précaire et d’ailleurs, comme l’ont démontré les youtubeurs Mathieu Cyr, au Québec, ainsi que Crazy Sally, en France, beaucoup de mineurs se retrouvent sur la plateforme. Tout comme les dirigeants de Pornhub, les dirigeants de OF se foutent de savoir si des mineurs s’y trouvent, mais veulent seulement savoir combien peuvent-ils les monétiser. On met un prix également sur un corps, une entité humaine propre qui devrait justement être inestimable.

Bref, je me réjouis des femmes qui réussissent à vivre de leurs publications, elles sont courageuses et audacieuses. Elles savent porter un lourd regard, mais décident de poursuivre et d’atteindre leur but d’enrichissement. Elles ont le droit de faire ce qu’elles font et surtout, elles ont le droit au respect. En revanche, je ne pense pas qu’elle puisse le justifier avec la cause féministe, elles restent en bas de l’échelle, cela reste une forme d’exploitation. Elles contribuent à objectiver le corps et surtout, à mettre une valeur marchande dessus. Marx se retournerait dans sa tombe. Il n’y a rien de mal à vouloir être riche, et l’histoire nous a largement démontré que pour y parvenir, il fallait souvent se départir de certaines valeurs, suffit de savoir lesquelles. Au final, dans cet article, je cible principalement les femmes, mais assurément que les hommes qui s’en mettent plein les poches font également partie de cette réflexion.

En terminant, j’aimerais remercier la créatrice de contenu pour adulte que j’ai rencontré, elle a été plus que généreuse de me partager une partie de sa vie. Ce fut une discussion très enrichissante.

illustration : Canva

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