Éditorial : TERF vs féministes intersectionnelles, portrait d’un débat féministe actuel

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Nous voici quelques jours après la journée internationale des droits des femmes, ou de la femme, peu importe votre position. Je ne crois pas avoir besoin d’expliciter longuement les débats entourant les théories de genres. Même si vous n’êtes pas un lecteur quotidien ou aguerri des plateformes d’informations, il y a sans doute des vidéos entourant cette querelle idéologique qui se sont faufilés dans votre fil d’actualité sur les réseaux sociaux. Bien que nous ne parvenions pas à définir de manière univoque qu’est-ce qu’une femme, cette profonde et confrontante réflexion nous pousse à d’autres réflexions encore plus profondes et confrontante. Et non, on ne s’en sort jamais. Étant une fervente lectrice des journaux français, de plus en plus de féministes, par exemple Dora Moutot ou Marguerite Stern bien présente sur les réseaux sociaux, prennent la parole afin de lutter contre l’idéologie transgenre. Ces femmes, et celles qui pensent de même qu’elles, sont qualifiées de TERF, soit trans-exclusionary radical feminist (« féministe radicale excluant les personnes trans »). On assiste donc aujourd’hui à un autre débat qui divise le mouvement féministe. Ce groupe conservateur s’inscrit généralement dans un courant féministe universaliste. Contrairement à l’intersectionnalité, qui prend en compte les différentes discriminations que peuvent subir les femmes, les TERF considèrent que la femme se définit avant tout d’un point de vue uniquement biologique. Mais alors, quels sont les arguments des deux partis ?

Déclaration

Avant tout chose, comme dans toutes mes chroniques, je désire mettre cartes sur table. Afin de vous mettre en contexte, je me retrouve vachement plus dans le mouvement intersectionnel. Celui-ci semble être également le plus prépondérant, à mon sens, au Québec. À ma connaissance, seul le regroupement PDF (Protection des droits des femmes) milite ouvertement contre le genre, prônant plutôt le sexe. De plus, il est important de garder en tête que, comme dans n’importe quel débat, surtout féministe, rien n’est dichotomique. Il y a d’énormes nuances dans ce continuum, mais pour des fins pratiques, je me concentre uniquement sur deux idées. Dans la réalité, plusieurs de ces idées peuvent s’entremêler. Vous voilà maintenant avertis.

De plus, si vous n’êtes pas familier avec les terminologies des théories du genre, lorsque je parle du sexe, je fais référence au sexe biologique, c’est-à-dire celui qu’on nous a assigné à notre naissance, par un médecin, selon une analyse visuelle de nos organes génitaux. Ensuite, lorsque je parle de genre, je fais référence à l’identité de genre. En gros, et comme le définit Justice Canada, c’est « l’expérience intérieure et personnelle que chaque personne a de son genre ». Nous voilà maintenant sur la même longueur d’onde.

Pour le sexe

Comme j’ai mentionné plus haut, les TERF sont généralement des féministes universalistes. Elles considèrent que la femme se définit avant tout d’un point de vue biologique. Pour elles, l’expérience féminine est partagée par toutes les femmes, indépendamment de leur identité de genre ou de leur origine. Elles ne reconnaissent donc pas l’aspect social du genre. Être une femme ne serait donc pas un état de pensée, mais plutôt une condition physiologique. On est très loin du « on ne nait pas femme, on le devient ».

De ce fait, elle ne reconnaît pas le genre à proprement dit, qui lui, comporte une approche biologique, psychologique et sociale. Le genre, contrairement au sexe biologique, se construit et n’est pas nécessairement stable dans le temps. Les TERF excluent les personnes transgenres, car elles estiment qu’elles invisibilisent les femmes en incluant des individus assignés hommes à la naissance.
Les arguments souvent évoqués afin de justifier cette exclusion tournent souvent autour… de la crainte; de la peur en fait. Certaines pensent, par exemple, que les problèmes spécifiques aux femmes biologiques risquent d’être relégués au second plan si l’attention se concentre sur les questions transgenres. Les enjeux cruciaux potentiellement invisibilisés pourraient être l’égalité salariale, la violence conjugale ou encore les féminicides. La journaliste canadienne Meghan Murphy soutient que « l’identité de genre invisibilise le patriarcat », à titre d’illustration.

La plupart de ces groupes sont aussi contre certains espaces qui pourraient devenir mixtes ou qui pourraient, à l’avenir, accueillir certaines personnes trans, comme les vestiaires, les prisons, et bien entendu, les toilettes. C’est d’ailleurs l’un des principaux combats de PDF Québec. Sur leur site, il est clairement indiqué qu’elles craignent pour la sécurité des femmes. On peut lire dans la présentation de leur comité qui se penche sur les réflexions de genre que « ce comité discutera, entre autres, de l’importance de préserver les lieux non mixtes pour les femmes, de ne pas invisibiliser la violence masculine envers les femmes et de garder les sports féminins pour les femmes ».

Le principal reproche dirigé envers les TERF est alors, sans grande surprise, son manque d’inclusion. D’autant plus que plusieurs acteurs conservateurs ou de droite reprennent ses arguments. Aux États-Unis, il n’est plus rare de voir des politiciens républicains s’associer avec ce mouvement.

Pour le genre

En contrepartie, le mouvement féministe intersectionnel est beaucoup plus inclusif. En revanche, il est également beaucoup plus complexe. À bien y penser, c’est plutôt logique, car il prend en compte beaucoup d’autres éléments autres que le sexe. Afin de bien vulgariser cette approche, je cite Sirma Bilge, professeure au département de sociologie de l’Université de Montréal dans son article Théorisations féministes de l’intersectionnalité : « L’intersectionnalité renvoie à une théorie transdisciplinaire visant à appréhender la complexité des identités et des inégalités sociales par une approche intégrée. »

En termes simplifiés, cette approche considère les différentes formes d’oppression et de discrimination que certaines femmes. On utilise des variables comme la sexualité, la race, l’identité de genre, la capacité et l’âge. Cela aide à créer une égalité plus inclusive et adaptée à tout le monde. C’est également une approche qu’on intègre de plus en plus dans les techniques d’intervention.

Être féministe sans être humaniste ?

Bien qu’il me semble impossible d’être un humaniste pur, il me semble encore plus difficile à concevoir qu’on puisse qualifier de féministe et exclure une partie de la population, aussi petite qu’elle soit. À titre indicatif, la population trans est estimée à moins d’un tiers de 1% de la population totale (recensement 2021). Il est important de mentionner que PDF Québec n’est pas, à mon sens, totalement transphobe ou homophobe, ce groupe est plutôt discriminant. « PDF Québec est rassuré quant au respect des droits des personnes LGBT : il est important de combattre la stigmatisation et la discrimination contre les personnes non binaires et trans », peut-on lire dans un article de L’Autjournal rédigé par des membres de PDF.

Concernant la question des toilettes et des vestiaires, je me demande sincèrement comment elle justifie cette discrimination. Elles clament la sécurité, mais elles oublient que la ségrégation des toilettes n’est pas seulement une question de sécurité. « Créer des espaces distincts pour les hommes et pour les femmes alimente l’idée qu’il existerait un critère clair de démarcation entre ces individus. […] ces normes renforcent l’idée que la réduction de l’humanité à ces deux seules catégories serait possible . »1 Je le répète, nous ne sommes pas capables de définir qu’est-ce qu’une femme, même en tentant de relevé des donnés biologique, comme le taux de testostérone par exemple. Certaines femmes produisent plus de testostérone que certains hommes.

Finalement, l’argument de la sécurité n’est pas non plus suffisant selon moi. Les agressions sexuelles, ce n’est pas une question de lieu. Celles-ci ne se produisent pas uniquement dans les toilettes, mais bien partout où peut se retrouver une femme. Une femme peut autant se faire agresser dans un endroit public, bondé de gens, que dans sa résidence. D’ailleurs, comme le soutien Institut national de santé publique du Québec, « Plus de la moitié des agressions sexuelles commises sur des adultes sont perpétrées dans une résidence ou une propriété privée » et « Plus de 8 victimes sur 10 connaissent leur agresseur sexuel. » L’argument pour la prévention des agressions sexuelles est alors ridicule.

Sources :

https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/plainte-contre-dora-moutot-le-transgenrisme-aura-t-il-la-peau-de-la-liberte-dexpression

https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/05/a-nantes-la-venue-de-marguerite-stern-a-un-colloque-annulee-apres-des-menaces_6168322_3224.html

https://www.lefigaro.fr/nantes/nantes-la-venue-de-marguerite-stern-feministe-engagee-contre-l-ideologie-transgenre-cree-des-remous-20230404

https://www.lefigaro.fr/vox/medias/eugenie-bastie-sauver-la-difference-des-sexes-20221212

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/572956/pour-un-feminisme-intersectionnel

https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/572180/pour-un-feminisme-universaliste?utm_source=recirculation&utm_medium=hyperlien&utm_campaign=corps_texte

https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2020-2-page-5.htm?casa_token=cgjYPLxze4cAAAAA:DFDL1LbyMtZSbPe0E8gSnmRHHey7QRP-2XCVTaRwKozdcgDsOl_Ss8F7XYs87k9PJr4foLOW8A

https://www.erudit.org/en/journals/ps/2017-v36-ps03063/1039828ar/abstract/

https://www.margueritestern.com/

https://www.femelliste.com/

https://www.erudit.org/fr/revues/nps/2014-v26-n2-nps01770/1029259ar/

https://journals.openedition.org/cedref/827

https://www.cairn.info/revue-diogene-2009-1-page-70.html

https://www.cairn.info/revue-l-observatoire-2020-2-page-40.htm?casa_token=uDQLLTuKZgsAAAAA:LW8Wpw_HR9yhbUSWGuNcea2Vjl8dIg1WNsYImXBVBPO7oTCcwA3VK-TsCYdY56JVcjnJohLovg

https://site.pdfquebec.org/fr

https://www.advocate.com/commentary/2019/4/02/how-conservatives-are-using-feminism-fight-against-lgbtq-equality

https://feministoclic.olf.site/lidentite-de-genre-invisibilise-patriarcat-meghan-murphy/

https://www.cairn.info/revue-techniques-et-culture-2022-1-page-74.htm?tap=omugvt600vkji&wt.mc_id=crn-tap-a-673659

  1. https://www-cairn-info.biblioproxy.uqtr.ca/revue-techniques-et-culture-2022-1-page-74.htm ↩︎

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