État des lieux de ma vingtaine : mamie-sère du monde

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Lorsque je vais souper chez ma grand-mère, sans cesse les sempiternelles questions : alors les résultats des examens ? Et la santé ? Et les ami.e.s ? Les amours ? Je réponds que oui, tout va bien, tout le monde va bien. Je réponds que oui, et je mens comme les milliers d’autres étudiant.e.s avant moi.

Ma mamie me pose les mauvaises questions. Pourtant, elle parle des bons thèmes, ceux qui brûlent de l’intérieur. Règle des trois E : études, environnement, entourage.

Études : la machine sisyphéenne

Oui mamie, mes résultats aux examens sont bons, mais je ne sais pas si ces études sont faites pour moi. J’étudie et j’étudie sans cesse, j’apprends par cœur ce qu’on me demande d’apprendre par cœur, je l’oublie aussitôt, je lis des livres que je dois ensuite remobiliser, remâcher la parole des autres pour dire ce que je veux exprimer parce qu’ils le disent mieux que moi, je tente d’obtenir mon diplôme alors que parfois je suis assise face à mon bureau et je me demande si ce bout de papier me servira à aller où je veux aller, à être utile au monde qui m’entoure.

Ce que je retiens de mes années de secondaire et d’université, ce sont les rires de mes ami.e.s et les sorties que l’on faisait, la guitare que je jouais pour eux et les blagues qu’on échangeait, les moments de confession et les moments de crise. Je me rappelle telle professeure que j’adorais, tel autre que je haïssais. Ce sont les passions qui m’animaient, elles qui m’animent, et tu me dis que pour être heureuse, je dois tendre tout entière vers ce bout de papier ?

Où je veux aller, tu me demandes mamie ? Je n’en sais rien.

Environnement : le cri de l’impuissance

Oui mamie, je suis en forme, mais regarde la forme du monde. Je sais bien que ce ne sont pas des questions que tu te posais, à mon âge, mais aujourd’hui on se les pose. Ça t’embête que je sois devenue végétarienne, tu ne sais plus quoi me faire à manger quand je viens te voir, mais cette petite action, ce petit choix que j’ai pris cette année, c’est le plus grand pas que je puisse réaliser pour que, moi aussi, je devienne grand-mère. C’est bien ridicule.

Je t’embête pour que tu tries tes déchets et que tu consommes un peu moins, pourtant je me sens comme une fourmi face à un bloc de ciment à soulever. Même si toi aussi, petite fourmi à lunettes, viens m’aider à soulever le ciment, même si je ramène mes ami.e.s, est-ce qu’on réussira vraiment à le faire bouger, ne serait-ce qu’un peu ? La planète brûle et on la regarde s’enflammer.

Ce que je peux faire, tu me demandes mamie ? Je n’en sais rien.

Entourage : soutien dans la tempête

Oui mamie, mes ami.e.s vont bien, plus ou moins, physiquement sans doute, mais moralement, ils sont comme moi. On se regarde dans les yeux et on pleure à l’intérieur. On passe des soirées entières à discuter politique, climat, société, mais il est quatre heures du matin passés et rien n’a changé, rien n’a bougé, même nous, nous sommes toujours assis sur le même canapé de cet appart étudiant que l’on paye beaucoup trop cher.

Si tu savais les questions qu’ils se posent tous, moi y compris. Peut-être que tu me diras que ce sont des questions futiles, mais elles nous tracassent : Pourquoi on m’a demandé ce que je portais moi, alors c’est lui qui m’a agressée ? Pourquoi les gens refusent de m’appeler par ce nouveau nom que j’ai choisi, alors que ça me rend plus heureuse ? Pourquoi c’est moi qu’on accuse d’être un mauvais enfant parce que j’ai décidé de couper les ponts avec ma mère, alors que c’est elle qui était supposée me traiter toujours avec amour ? Pourquoi tout le monde autour de moi va mal ? Pourquoi, pourquoi, je peux continuer longtemps, les sempiternels pourquoi et jamais de réponse à leur crier.

Comment je peux les aider, tu me demandes mamie ? Je n’en sais rien.

Tu me trouves sans doute ingrate. J’ai un toit sur la tête, une famille qui m’entoure, pas de problème de santé, la chance d’avoir accès à l’éducation, un pays sans guerre, de la nourriture dans mon assiette. Moi aussi, je me sens ingrate. Je ne crie pas mon mal-être parce que je me sens illégitime. Du haut de ta tour de sagesse, tu me dis de profiter de mes belles années, qu’elles sont les meilleures et que je regretterai ensuite. Mamie, si ce sont celles-ci, mes belles années, je crains les autres.

Voilà, mamie, tu sais tout.

Comment ? Tu n’as pas entendu ? Je parlais trop bas ? Excuse-moi. C’était quoi, ta question, déjà ?

Oui mamie, je vais bien.

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