Il existe présentement 19 partis politiques au Québec, et le PLQ est le plus vieux. Or, le manque total de vision du gouvernement Couillard nous invite à relire l’histoire de ce parti qui aura dirigé le Québec, entre 1867 et octobre 2018, pendant près d’un siècle.
Louis-Joseph Papineau, chef depuis 1815 du Parti Canadien (qui deviendra le Parti Patriote en 1826), est à l’origine du parti «rouge» après l’échec foudroyant et terriblement tragique des Rébellions de 1837-38, puis l’Acte d’union (1840) qui fusionne dans une seule entité politique l’Ontario et le Québec d’alors.
Les patriotes modérés se joignent au Parti Réformiste de Louis-Hippolyte LaFontaine – grand défenseur du français dans le parlement du Canada-Uni – alors que les radicaux appuient Antoine-Aimé Dorion, chef des rouges. Ce dernier participe notamment, en 1849, à la branche radicale du Parti Libéral qui se sépare du parti, s’allie à la bourgeoisie anglophone de Montréal, et prône carrément l’annexion aux États-Unis en invoquant la nécessaire rupture du lien colonial, avec ou sans l’accord de Londres.
Près des idées républicaines de Papineau, inspiré par les penseurs des Lumières, on appelle à cette époque ces libéraux démocratiques les «séparatistes». De plus, comme plusieurs autres, Dorion s’opposera vigoureusement au projet de fédération canadienne dès 1864, considéré comme un piège pour assujettir davantage les Canadiens-français.
Après l’obtention par les parlementaires canadiens du gouvernement responsable (1848), et l’incendie du Parlement de Montréal en avril 1849 (perte des archives de la Nouvelle-France), le manque d’alternatives pousse les radicaux, le groupe libéral et les autres rouges à s’unir enfin, en 1867, avec le Parti Libéral d’Henri-Gustave Joly de Lotbinière.
Cependant, il faudra attendre Honoré Mercier pour que le Parti Libéral, devenu National, prenne le pouvoir (1886-91). Ayant pris conscience de la division entre libéraux (rouges) et conservateurs (bleus), il répétait souvent «cessons nos luttes fratricides et unissons-nous». La pendaison scandaleuse du leader métis Louis Riel le 16 novembre 1885, mettant fin à tous les rêves d’un développement de la nation canadienne-française dans le centre et l’ouest du Canada, sera le point tournant d’une union désirée depuis 15 ans.
En plus de défendre les droits des Canadiens-français, lutter contre l’analphabétisme, puis faire la promotion de la colonisation et de l’industrialisation pour éviter l’exil massif des ouvriers, il va également réconcilier le clergé avec le Parti Libéral, diabolisé à outrance depuis près d’un demi-siècle. En effet, encore en 1864, le pape Pie IX publiait le syllabus qui condamnait les «erreurs modernes» comme la laïcité, l’anticléricalisme, la liberté de pensée, le socialisme puis le libéralisme. À ce sujet, il faut absolument lire sur l’histoire de l’Institut Canadien qui fut ostracisé pendant plusieurs décennies par les Ultramontains.
Dans l’opposition, Mercier défendait l’instruction publique obligatoire, mais une fois au pouvoir, il laisse tomber tous ses projets de réforme. Il sera d’ailleurs nommé «comte Palatin» par Léon XIII, une distinction honorifique du Vatican, preuve que le Parti Libéral n’est plus un danger pour l’Église catholique. En Normandie, lors d’un voyage en 2011, j’ai même vu un vitrail à son effigie sous le titre de «Premier ministre du Canada»! Honoré Mercier sera aussi reconnu comme l’un des plus grands orateurs de son époque.
Malheureusement, le pouvoir fédéral majoritairement anglophone et orangiste décida de faire tomber le Premier ministre grâce à de supposées malversations de sa part pour la construction du chemin de fer de la Baie des chaleurs. Discrédité, traîné devant les tribunaux à deux reprises, il fut blanchi de toutes les accusations qu’on portait contre lui, mais la bataille l’épuisa et le ruina complètement. Il mourut deux ans plus tard, en 1894.
L’élection provinciale de 1897 prolonge le mandat au pouvoir du Parti Libéral de Félix-Gabriel Marchand – qui tente de créer, sans succès à cause du refus obstiné de l’Église, le premier ministère de l’Éducation – jusqu’en 1936. Quarante années consécutives! À cette époque, le PLQ est une succursale du Parti Libéral du Canada (PLC) de Wilfrid Laurier.
Marchand fait un seul mandat, succédé par Napoléon Parent, beaucoup moins ambitieux. Lomer Gouin, Premier ministre pendant 15 ans (1905-1920) et Louis-Alexandre Taschereau (1920-1936), n’appartiennent pas du tout à l’école réformiste du parti et n’envisagent aucune réforme sérieuse du système d’éducation. La domination de l’Église sur l’enseignement sera donc assurée pendant encore au moins 30 ans. Par contre, il faut applaudir l’adoption d’une loi rendant l’âge minimum pour travailler à 16 ans (1910).
Que s’est-il passé en 50 ans pour que l’héritage progressiste de Lesage soit dilapidé ?
Le PLQ fut finalement délogé par un gouvernement qui se voulait moins corrompu, mais qui atteindra des sommets en patronage, en brutalité policière et en mesures totalitaires tantôt antisyndicales, tantôt anti-communistes, soit celui de l’Union Nationale de Maurice Duplessis et sa fameuse Loi du Cadenas (1937). Ce parti fut créé par une fusion du Parti conservateur et de dissidents libéraux dans les années 1930, l’Action Libérale Nationale.
Lors de la Deuxième Guerre mondiale, un bref gouvernement libéral d’Adélard Godbout (1939-1944), grand-oncle du cinéaste contemporain, va laisser sa trace: droit de vote des femmes en 1940 (le Québec est la dernière province à l’accorder, en France, les femmes devront attendre la fin de la guerre), instruction obligatoire (1942) et balbutiements de la nationalisation de l’hydroélectricité par la création d’Hydro-Québec (1944). Toutefois, malgré l’opposition croissante et virulente de la population québécoise à un second effort de guerre et à l’imposition par le fédéral du service militaire obligatoire (conscription), Godbout souscrivit sans équivoque à la participation du Canada à ce conflit mondial.
Le 22 juin 1960, le Parti Libéral dirigé par le très crinqué Jean Lesage met fin au règne tyrannique de 16 ans du régime Duplessis. Le programme du PLQ (rédigé par George-Émile Lapalme, ancien chef du parti) est clair: réforme de la loi électorale, promotion de la langue française et de la culture québécoise, instruction gratuite à tous les niveaux (!), expansion d’Hydro-Québec, intervention de l’État dans le développement économique.
Que s’est-il passé en 50 ans pour que cet héritage complètement progressiste soit dilapidé et remplacé par la soif de profit, les PPP, les enveloppes brunes, les contrats de performance dans les relations humaines, les liens suspects entre les grands financiers du PLQ (Parti Lobbying), la mafia italienne et l’industrie de la corruption… construction!?
Est-ce que le Premier ministre du Québec en poste osera enfin se donner comme mission de lutter avec courage et efficacité pour ouvrir un avenir radieux et paisible à son peuple?
Aime-t-il vraiment le Québec profondément comme Honoré Mercier, un libéral sincère qui déclarait il y a plus d’un siècle: «Je vais travailler pour faire instruire le peuple. […] Je vous offre de devenir un grand peuple, respecté et connu parmi les nations libres.»
Si Honoré Mercier a réussi à redonner de l’espoir et à faire entrevoir des jours meilleurs, quels sont maintenant les projets collectifs que le Premier ministre Couillard souhaite pour le Québec? Est-ce qu’il entrevoit l’avenir uniquement dans la signature controversée d’une Constitution (elle-même controversée) rapatriée dans des circonstances douteuses?
Les prochains mois seront déterminants pour le PLQ de Philippe Couillard et pour tous les députés libéraux qui appuient sans rechigner les manœuvres d’austérité. Le Mc Trio de docteurs à la tête de l’État devra faire ses preuves. Autrement, si le manque de vision et d’idéal était un crime en Occident, j’en connais plusieurs qui seraient en prison…
[…] Une première version de cet article est paru dans le Zone Campus, journal universitaire de l’UQTR (janvier et février 2015) : zonecampus.ca/?p=6617 et zonecampus.ca/?p=6799 […]