Le 14 mars 2012, l’AGE UQTR votait en faveur d’une grève générale illimitée (GGI) pour la première fois de son histoire depuis sa fondation le 19 mars 1975. Retour sur cet épisode important de notre histoire québécoise récente.
Tout d’abord, il ne faut pas oublier que le Printemps érable fut précédé du mouvement Occupy Wall Street, né tout juste avant l’hiver (plus précisément en octobre 2011 à Francfort) et qui ne s’est jamais véritablement endormi. La révolte étudiante des «carrés rouges» (issu du slogan «carrément dans le rouge» de la grève étudiante de 2005) s’est construite pendant plusieurs années avant d’éclater au grand jour en 2012. En fait, cette grève s’inscrivait dans la lutte visant à contrer la hausse des droits de scolarité de 75% imposée par le Parti libéral de Jean Charest.
Avec ses 9 700 membres, l’AGE UQTR était le plus important groupe jeunesse de la Mauricie et du Centre-du-Québec. Sur les 2146 étudiants ayant exprimé leur droit de vote: 1097 ont voté pour (51,12%), 1049 contre (48,88%), rejoignant ainsi les 155 000 étudiants déjà en grève. En bref, la GGI de l’AGE UQTR n’aura duré qu’une semaine et c’est par un vote électronique que 3717 (59%) membres se sont prononcés pour l’arrêt de la grève générale illimitée, contre 2414 (38%) pour sa poursuite, et 189 (3%) se sont abstenus. Le taux de participation se chiffrait à 65%.
Puis, comme certaines écoles secondaires et plusieurs cégeps, quelques associations étudiantes de l’UQTR ont décidé elles-mêmes de continuer leur propre GGI par solidarité avec le mouvement national.
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Les revendications étudiantes étaient fortes et très légitimes. Rappelons qu’au début de la Révolution tranquille en 1960 – avant même le rapport Parent (1964) duquel naquirent le Ministère de l’Éducation, les cégeps et tout le réseau des Universités du Québec sous l’Union nationale (1966-1969) – la «solution libérale» était simple: «1- Considérer l’instruction, à tous les degrés, comme problème familial et responsabilité provinciale. 2- La gratuité scolaire totale – de la petite école à l’université inclusivement – pourvu que l’étudiant ait le talent et la volonté requis. 3- Gratuité des manuels scolaires dans toutes les écoles publiques. 4- Allocations de soutien couvrant logement, pension et vêtement – selon les besoins de l’étudiant.» (Publicité du Parti libéral du Québec, le «Parti de la Sécurité», parue dans Le Devoir du 7 juin 1960)!
Lors du Printemps érable, l’appui de la population était solide et massivement en faveur des étudiants. Le rôle des médias sociaux s’est aussi montré très révélateur dans sa puissance à organiser des manifestations. Il faut voir à ce sujet le film Carré rouge sur fond noir! Pendant ce temps, et cela a été démontré dans une étude parue en novembre 2012 et réalisée par le Centre d’études sur les médias (CEM) de l’Université Laval, une large couverture médiatique biaisée jubilait plutôt sur la violence de cas pourtant anecdotiques. En effet, j’ai manifesté avec l’AGE UQTR à Trois-Rivières, à Québec, plusieurs fois à Montréal et même à Sherbrooke et je n’ai jamais vu un seul incident de violence, hormis la destruction de pancartes électorales!
Il vaudrait bien mieux que la société civile se mobilise pour des enjeux comme le combat contre la pauvreté et l’analphabétisme ou encore pour la réforme du scrutin!
Toutefois, plusieurs documentaires disponibles gratuitement sur Internet comme Dérives dénoncent avec vigueur cette violence issue de la répression policière et la stupide juridicisation du droit de manifester par le gouvernement libéral, qui n’a pas su gérer la crise adéquatement.
Au final, une mobilisation aussi intense des jeunes Québécois n’avait pas été vue depuis la grève étudiante de 2005 (encore une fois contre le gouvernement Charest), mais surtout depuis le référendum du 30 octobre 1995 sur l’indépendance du Québec que plusieurs personnes qualifient de «volé» (80 circonscriptions sur 125 ont dit OUI, 63,2% chez les francophones).
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Désormais, l’union des étudiants a dépéri. Heureusement, la plupart sont mobilisés et politisés plus que jamais, mais ils sont aussi divisés sur les projets de société à combattre ou à appuyer. Je pense ici à l’ASSÉ qui, grâce à l’appui de Québec solidaire, vient de lancer une offensive contre la fameuse Charte de la laïcité, que j’ai déjà largement défendue dans ces pages.
Sérieusement, je crois que la gauche «multiculturaliste» nuit de plus en plus à l’application de notre laïcité étatique et fait carrément fausse route sur son plan d’action. À mon avis, il vaudrait bien mieux que la société civile se mobilise pour des enjeux plus valables comme le combat contre la pauvreté et l’analphabétisme (entre 28% et 49% de la population) ou encore pour l’urgente réforme du scrutin! Dans une société ultra-capitaliste où les particuliers paient davantage d’impôts alors que les entreprises et les corporations de moins en moins (49,2% du total en 1950 au Canada et seulement 11,4% en 1993), il est clair que certaines choses ne tournent pas rond et que la véritable justice sociale n’a pas encore été appliquée.
L’erreur fondamentale consiste peut-être à croire que c’est à l’intérieur du cadre fédéral canadien que nous pourrons nous émanciper et changer les choses en profondeur. Notre affirmation nationale doit donc prendre de l’ampleur alors que l’application responsable de la Charte de la laïcité parachèvera enfin la Révolution tranquille amorcée par Jean Lesage. En attendant le résultat des prochaines élections, il serait fâcheux de voir la gauche québécoise se tromper de cheval de bataille.
Extra !!! Après le 4e paragraphe…
Voici d’ailleurs la liste des associations qui fait état des lieux au 26 avril 2012, soit l’apogée du mouvement de grève des associations départementales, alors que 13 associations représentant plus de 2002 membres (plus de 20% de l’AGE UQTR) ont continué de voter en faveur de la grève : Études Québécoises (AEEQ), Philosophie (AEDP), Pratique Sage-Femme (AESFQ), Doctorat en psychologie (AECSP), Psychologie (AEP), Psychoéducation (AEPE), Géographie (AEG), Arts (APARTS), Histoire (AEH), Bio-Éco (RESEB), Cycles supérieurs en Loisirs, culture et tourisme (AECSLCT), Enseignement secondaire (BES), Cycles supérieurs en lettres (ACSEL). Quant à l’association demeurée le plus longtemps en grève, le prix va à l’Association des étudiants en études québécoises (43 membres) du 14 mars à la rentrée de septembre 2012! 🙂