Je me souviens… Au pouvoir, citoyens!: «Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres.»

0
Publicité

Nourrissant les plus nobles idées sur la liberté, Étienne de La Boétie (1530-1563) a écrit en 1546 un essai qui ne défend pas de système politique en particulier, mais bâtit une très vive critique contre la tyrannie et la soumission. Près de cinq siècles plus tard, son œuvre est toujours pertinente et permet d’enrichir nos désirs pour l’année 2016.

Le Discours sur la servitude volontaire, aussi appelé Contr’un, est l’un des textes de philosophie politique les plus significatif de la Renaissance. Ce petit traité analyse les rapports maîtres-esclaves qui gouvernent le monde pour en déterminer l’origine, puis dénonce fortement la soumission du peuple et les abus de pouvoirs de l’État monarchique de son époque. Telle une leçon politique, d’éthique et de morale, La Boétie nous invite littéralement «à la révolte absolue contre toute oppression, toute exploitation, tout abus de force, toute corruption, toute mystification, bref, contre l’armature même du pouvoir.»

Pourquoi le peuple semble-t-il si «ensorcelé» et se laisse-t-il choir dans cette vie de servitude volontaire? Que deux hommes, et même dix, peuvent bien en craindre un, dit-il, mais que mille, un million ou mille villes ne se défendent pas contre un seul homme, tout cela semble bien pire que la crainte ou la lâcheté.

L’origine de la soumission

L’impulsion de l’obéissance est naturellement innée en chacun de nous, envers nos pères et mères. Alimenté par une éducation stricte (élément culturel), ce fondement naturel viendrait expliquer cet accord de dépendance, de captivité, comme «nous flattons le cheval dès sa naissance pour l’habituer à servir.»

L’auteur se demande alors quelle malchance ou quel sortilège a pu dénaturer l’homme à ce point pour l’empêcher de se souvenir de sa liberté originelle ou du simple désir de la reprendre. Si on offrait à un individu « tout neuf » une vie libre ou une vie d’esclavage, le choix ne serait pas difficile: tous préfèreraient obéir à la raison, à leurs instincts, plutôt qu’à toute forme de servitude. L’humain devrait donc par devoir, par instinct ou par solidarité pour les autres, se ressaisir et agir consciemment pour entièrement contrôler sa vie.

Il est incroyable de voir à quel point le peuple tombe si rapidement dans un oubli si profond de sa liberté. En fait, les gens se contentent de vivre comme ils sont nés et n’imaginent pas avoir d’autres droits que ceux qu’ils connaissent depuis qu’ils sont nés; ils prennent pour leur état de nature l’état de leur naissance et finissent par s’y plaire, comme par habitude.

L’essence de la liberté

En réalité, nous n’avons même pas besoin de combattre ou d’assassiner ce tyran en poste. Depuis longtemps, on croyait que le pouvoir était considéré comme une force qui allait de haut en bas, mais en réalité, sans la réponse par l’obéissance, le pouvoir n’est rien. Si le peuple ne consentirait point à sa servitude, le tyran se déferait lui-même, son pouvoir tomberait à néant. «Il ne s’agit pas de lui ôter quelque chose, mais de ne rien lui donner.»

La véritable faute ne repose donc pas sur le despote lui-même, mais plutôt sur le peuple qui, au lieu de cesser de le servir, se laisse malmener et bafouer ses droits. Comme s’il aimait mieux l’assurance de vivre misérablement que de risquer un espoir non-fondé. Or mieux vaut «gémir sur notre bonheur perdu que de se plaire en servitude».

Appel à la révolte!

L’auteur se posait la pertinente question à savoir pourquoi un seul peut gouverner un million, alors qu’il suffirait à ce million de dire non pour que le gouvernement disparaisse? Selon Étienne de La Boétie, le pouvoir (surtout politique) repose davantage sur la peur [comme le terrorisme ou la crise financière de nos jours], la bassesse, la complaisance, la flagornerie, l’humiliation de soi-même, l’indignité, l’aliénation des intermédiaires, des courtisans aux divers porteurs de voix en passant par les lieutenants et les gradés militaires.

Mieux vaut «gémir sur notre bonheur perdu que de se plaire en servitude».

Finalement, l’homme sert les autres parce qu’il est éduqué en ce sens, pour être contrôlé, assujetti, engloutit par l’ignorance que les chefs d’États inculquent à leur peuple. Les hommes servent volontairement parce qu’ils sont nés serfs et qu’ils sont élevés ainsi.

Certains affirmèrent que cette théorie d’une servitude volontaire, publiée en 1576, leur apparaissait comme paradoxale, voire scandaleuse, car elle n’apportait pas de solution immédiate. Or, c’était la première étape: prendre conscience de l’absence de fondements naturels de la domination d’un homme sur les autres ainsi que de l’absence de volonté de la part des tyrans pour réellement éduquer la population à devenir maître de leur vie. 

En cette nouvelle année, il est donc impératif d’exprimer avec fierté notre sentiment d’indignation. Comme disait l’écrivain Georges Bernanos: On ne subit pas l’avenir, on le fait. Alors cessons tous de croire que l’injustice et les inégalités sont des choses normales.

Ensemble, nous pouvons non seulement vaincre la peur et l’ignorance, mais faire de cette lucidité critique qui nous anime une vigilance tant collective que personnelle. Notre volonté générale, soutenue par la souveraineté populaire, doit tenter par tous les moyens de détruire ce qui consume notre liberté. De La Boétie croit que par l’entremise de la parole et de la communication ou l’échange de nos pensées, de nos idées, de nos désirs et volontés, l’homme devient responsable d’annihiler toute forme d’injustice, car il n’y a rien au monde de plus contraire à notre nature humaine: «nous sommes naturellement libres, puisque nous sommes tous égaux». Nés avec la liberté, nous sommes aussi tous nés avec la passion de la défendre. À nous d’être à la hauteur de nos vœux les plus chers d’émancipation.

Toujours sous le joug du capitalisme et de la société de surconsommation, qui est en train de détruire notre planète, la population d’aujourd’hui ne possède aucune raison valable de continuer à servir et à se faire exploiter en tant qu’«esclave salarié» disait Marx. Peut-être serait-il temps de mettre à jour le débat social sur les raisons qui fondent notre soumission totale à ces dirigeants qui croient savoir ce qui est vraiment bien pour nous, en investissant massivement dans l’armée et les guerres impérialistes plutôt que dans l’éducation…

Publicité

REPONDRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici