Du 6 au 8 octobre derniers, au Gesù – Centre de créativité de Montréal, se sont tenus les premiers États généraux sur les commémorations, organisé par le Mouvement national des Québécoises et des Québécois (MNQ). Comme j’ai eu la chance d’assister à ces séances, voici mon retour sur cet évènement qui donne le ton «pour la suite du monde».
Une quarantaine de conférenciers étaient réunis devant plus de 200 spécialistes d’histoire et de partenaires liés au milieu commémoratif, du simple citoyen à Luc Fortin, ministre de la Culture et des Communications du Québec. Le défi consistait à dresser un état des lieux, à insister sur la concertation d’initiatives en partenariat, et à réfléchir sur les axes prioritaires.
En plus de 21 partenaires financiers, on retrouvait aussi des muséologues, des directeurs, des conservateurs muséaux, des historiens, des diplomates français, des professeurs de sociologie, des chercheurs universitaires, des philanthropes, des membres de la Commission de toponymie du Québec et des organismes tels que la Cinémathèque québécoise, la Fédération Histoire-Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, la Fondation Lionel-Groulx, l’Institut de recherche sur le Québec, et même l’Institut du patrimoine funéraire du Québec!
Un constat alarmant
Même si «Je me souviens» est inscrit sur l’hôtel du parlement de l’Assemblée nationale du Québec depuis les années 1880, et sur les plaques de voiture du Québec depuis 1978 (merci Lise Payette!) en remplacement de «La belle province», l’absence d’une véritable politique de commémoration au sein de l’État québécois fait mal. Cette désorganisation témoigne de notre malaise à affirmer notre identité, mais aussi de l’insuffisance de notre société à dédier des moyens pour honorer son passé, dont l’héritage de la Nouvelle-France (1534-1763).
Le problème est qu’aucun organisme au Québec n’a la coordination de la commémoration comme mission principale. Cette improvisation et l’absence d’un calendrier précis sont des freins à l’appropriation citoyenne de la mémoire, qui contribue aussi à façonner l’identité. En effet, la société civile doit devenir la vigile de la mémoire et ne pas manquer à ce devoir.
Pourquoi commémorer
Ancrée dans la pratique médiévale du pèlerinage par le culte des monuments (églises, cimetières, reliques), la commémoration est d’abord d’ordre religieux. Au 19e siècle, elle devient plus laïque, et vise l’édification de l’État-nation. L’histoire est donc la gardienne de notre mémoire, et permet un certain enracinement dans un passé, une culture et des valeurs.
Afin de perpétuer la collectivité, il est important de la ressouder autour de savoirs communs ou d’icônes mises en commun. Cela permet aussi, d’après l’expression de notre premier historien national François-Xavier Garneau (1809-1866), de se réconcilier avec soi-même.
Toute société a besoin de reconnaissance et d’une mémoire commune, c’est-à-dire d’avoir le sentiment de partager un objectif commun. Que ce soit le souvenir du sacrifice ou celui de la résilience, la mémoire collective favorise un dialogue sur le passé, un partage d’émotions qui permet d’entrevoir l’avenir pour une communauté ou une société donnée.
De plus, le partage de lieux communs permet une définition commune de soi. Au-delà du plaisir rassurant d’être ensemble, la mémoire peut aussi déboucher sur des mouvements de transformation sociale, devenant ainsi des moteurs de revendications et d’affirmations.
Toutefois, «Histoire» et «commémoration» sont deux modes différents d’accès au passé. Le premier vise une version la plus rigoureuse possible, alors que la deuxième tombe davantage dans la sacralisation du passé, par l’adhésion à une foi liée à une vision précise.
Les universitaires ont un rôle à jouer dans la diffusion de notre héritage.
Or, comme les commémorations sont indispensables, à cause de leur rôle de ciment social, nous devons aussi faire attention à la manipulation des souvenirs et du sentiment national. Il y a un danger dans la commercialisation du culturel et de sa «festivalisation», comme ce fut le cas en septembre 2009, lors du 250e anniversaire de la bataille des Plaines d’Abraham.
Quoi faire
Tout d’abord, il faut prendre conscience de l’importance du patrimoine culturel immatériel (musique, chansons, danses, arts du spectacle, pratiques sociales, rituels et évènements festifs, etc.). L’UNESCO a déjà une convention à cet égard (2003), mais le Canada ne l’a jamais signé. Si le Québec était un pays indépendant, il aurait pu le faire depuis longtemps.
Il reste aussi à établir comment opérer la collaboration entre les partenaires indépendants, les diverses institutions muséologiques et les services d’archivage ou de tourisme de l’État québécois. Faut-il constituer une table de concertation afin de réaliser une synergie de coordination, créer un organisme étatique, ou simplement un forum? À quand la conception d’un conseil du patrimoine culturel, ou bien d’un musée des arts vivants? Tout est possible.
Depuis l’instauration en 2011 de la loi québécoise sur le patrimoine culturel (entrée en vigueur en 2012), environ 63 personnages, 15 évènements et trois lieux ont été classés pour leur caractère historique par le gouvernement du Québec: de Madame Bolduc à Félix Leclerc, en passant par l’arrivée des 763 «Filles du Roy» et du Régiment Carignan-Salière dans les années 1660, sous l’impulsion de l’intendant Talon. C’est bien, mais c’est très peu.
À la suite de ces féconds États généraux, des recommandations seront émises à l’intention du ministère de la Culture et des Communications, afin que l’on puisse bientôt établir une véritable politique nationale de commémoration. Nos cinq siècles d’histoire depuis Cartier et toute l’aventure française en Amérique méritent d’avoir la reconnaissance adéquate et un rayonnement à sa hauteur.
Il est important de valoriser notre grande aventure historique d’insoumis et de résistants. Et les universitaires ont un rôle à jouer dans la diffusion de notre héritage et la construction d’un récit identitaire cohérent, respectueux et rassembleur. À nous d’honorer notre devise!
PS: En passant, il est possible de revoir les conférences.
Lire aussi ce rapport de l’IRQ (2011):