Joan Watson au lieu de John en acolyte de Sherlock Holmes dans Elementary? Une agente 007 pour remplacer James Bond? Un remake de Ghostbusters 100% féminin? Et pourquoi pas Gandalf en femme dans Le Seigneur des Anneaux, tant qu’on y est? Pourquoi vouloir absolument changer le genre des personnages de fiction?
Une actrice propose un Gandalf féminin
J’ai environ un an de retard sur l’actualité, notamment pour les raisons que vous savez, mais l’idée d’un Gandalf féminin a effectivement été évoquée en octobre 2019. L’actrice Robyn Malcolm exprimait la possibilité de voir le célèbre magicien sous les traits d’une femme, dans la future série Amazon adaptant l’univers de J.R.R. Tolkien.
Pour mettre les choses au clair tout de suite : les chances que cela se produise sont, au mieux, proches de zéro. Tout d’abord, Robyn Malcolm (qui a joué un petit rôle dans Le Seigneur des Anneaux : Les Deux Tours) ne fait pas partie de l’équipe chargée de réaliser la série, et n’a donc pas de pouvoir décisionnel. Tout au plus peut-elle suggérer l’idée aux showrunners… ou exprimer son opinion sur le sujet.
Ensuite, parmi les quelques informations que l’on sait au sujet de la série Amazon, il y a le fait que l’intrigue se déroulera pendant le Second Âge de la Terre du Milieu, soit bien avant l’arrivée de Gandalf dans le monde dépeint par Tolkien. Une information qui semble avoir échappé autant à Robyn Malcolm qu’aux sites de nouvelles qui ont relayé sa déclaration… Ainsi, sauf modification majeure (auquel cas Gandalf en femme risque de ne pas être le détail le plus gênant), il est fort improbable de voir apparaître le personnage dans la série.
Mais, juste pour l’exercice, imaginons quelques instants que cette information soit avérée.
Gandalf en femme, ça donnerait quoi?
Je dois avouer que lorsque j’ai vu passer l’information l’année dernière, mon premier réflexe a été de grimacer. J’ai beau être une fervente FémiNazgûl, j’éprouve parfois des difficultés à répandre le Mal en Terre du Milieu féminiser certains personnages iconiques. Et après quelques secondes, je me suis demandée : «Mais pourquoi ça me gêne, au fait?»
Pour quelle raison Gandalf devrait-il être un homme? D’ailleurs, puisqu’on en parle, Gandalf est-il un homme? Eh bien, techniquement, non, puisqu’il s’agit d’un Maia, un esprit mineur de la Terre du Milieu, capable de changer de forme et a priori dépourvu de genre. Considérons néanmoins, avec notre angle de réflexion tout à fait anachronique, qu’il s’identifie au genre masculin. Le fait que Gandalf soit un homme a-t-il une importance dans l’histoire? Pas vraiment…
En fait, pour la quasi-totalité des personnages de Tolkien, je n’ai pas l’impression que le genre soit véritablement important. Dans Le Seigneur des Anneaux, la question n’est pertinente que pour Éowyn, qui s’indigne que sa condition de femme ne lui permette pas de combattre à la guerre. Par contre, pour les autres personnages, le genre ne change pas grand-chose. Gandalf pourrait très bien être une femme sans que l’histoire n’en soit altérée. Alors pourquoi une telle crispation?
L’intérêt (ou non) du gender swap
Gandalf n’est qu’un exemple parmi d’autres : la simple idée (qu’elle soit exécutée ou non) de changer le genre d’un personnage plus ou moins connu du grand public suffit souvent à provoquer des réactions… disons, au mieux, sceptiques. Notons d’ailleurs que les détracteurs (et peut-être quelques détractrices) du gender swap lui reprochent d’être presque toujours à sens unique, du masculin vers le féminin. Mais c’est normal et assumé, car ce phénomène vise à compenser la sous-représentation, avérée, des femmes dans la fiction.
Toutefois, on peut légitimement se demander si le gender swap est la manière la plus pertinente de procéder. Pourquoi, par exemple, ne pas donner un rôle plus important à un personnage féminin qui existe déjà dans le canon? C’est ce qu’a fait Peter Jackson avec Arwen dans la trilogie du Seigneur des Anneaux. Ou alors, on peut créer de nouveaux personnages féminins? On obtient Tauriel dans Le Hobbit.
On voit toutefois les problèmes que peuvent poser ces deux solutions. Sans doute était-ce pertinent d’expliciter un peu plus la romance entre Arwen et Aragorn, mais il reste que le développement du personnage d’Arwen ne dépend quasiment que de cet aspect. Quant à Tauriel… ai-je vraiment besoin de rappeler le problème? Ainsi, lorsque les scénaristes manquent de matériel source, la première idée qui leur vient pour développer un personnage féminin est souvent… une histoire d’amour. Au moins, le gender swap permet d’éviter cet écueil. Tant qu’à choisir, j’aimerais mieux voir Gandalf en femme vivre plein d’aventures badass en Terre du Milieu, plutôt que Tauriel coincée dans un insupportable triangle amoureux entre un elfe et un nain.
Le gros problème du gender swap
Il reste que le phénomène du gender swap est loin de faire l’unanimité, même parmi les féministes. Certaines personnes y voient une paresse de la part des studios, qui préfèrent faire des remakes de remakes de remakes de remakes plutôt que de se risquer à proposer quelque chose de nouveau. D’autres y voient carrément une visée marketing, une volonté de faire le buzz sans trop se mouiller. Après tout, c’est bien plus vendeur d’annoncer un 007 féminin que de lancer une nouvelle franchise sur une agente 008, n’est-ce pas?
Et à mon sens, cette dernière critique est fondée. Si je n’en étais pas déjà convaincue, il m’aurait suffit de googler «Gandalf femme» ou «female Gandalf» pour m’en rendre compte. Finalement, qu’est-ce que cette «nouvelle» (j’aurais dû dire «rumeur») a changé pour la représentation des femmes? Les sites qui ont relayé l’information ont obtenu leurs clics. On a allumé les projecteurs sur la série Amazon. Les commentaires ont pu lâcher leur fiel sur les FémiNazgûls dans mon genre qui voudraient soi-disant massacrer l’œuvre de Tolkien (j’oublie à chaque fois de ne jamais lire les commentaires). Mais tout ça se base sur du vent, puisqu’on n’aura pas de Gandalf femme.
J’ai un gros problème lorsque je constate que l’enjeu de la représentation des femmes est utilisé par les entreprises un argument marketing, surtout quand en plus, ça ne s’accompagne même pas d’avancée concrète. Dans ce cas-là, tout ce qu’il nous reste, ce sont les effets pervers : le fait que cet enjeu soit considéré comme une mode. On mérite mieux que ça. Bien mieux.
Malgré tout, je ne rejette toutefois pas totalement le gender swap, qui reste un exercice très intéressant pour remettre en question un certain nombre de codes genrés (ou pour faire des fanarts sur Pinterest). Et pour achever cette chronique sur une note plus légère, je dois avouer que je n’aurais pas d’objection contre un Gandalf féminin joué par Ian McKellen. Celui-ci a d’ailleurs déclaré qu’il avait toujours rêvé d’obtenir le rôle de Juliette (oui, celle de Roméo et Juliette). Alors bon… un Gandalf femme, c’est clairement à sa portée.