
Christian Mistral. À la fin des années 80, ce nom était sur toutes les lèvres. Les cercles littéraires étaient époustouflés, le lectorat comme hypnotisé. La critique semblait dévote et les jeunes plumes avaient trouvés leur maître à écrire. Propulsé son succès hâtif – il n’avait que 23 ans lors de la parution de Vamp en 1988 -, il rencontra pourtant un mur. Il faut dire qu’il a perdu de son lustre. L’œuvre demeure, mais le personnage du poète tourmenté – et tourmenteur – n’a plus la cote. Dans cette chronique, je tenterai de faire lumière sur cette œuvre. Toutefois, il m’est impossible de ne pas considérer l’ombre portée sur elle par son auteur même.
Un montre littéraire attesté
Pour la courte biographie, Christian Mistral, né Paul-André Boucher est né le 3 novembre 1964, à Montréal. Il décèdera au courant du même mois, dans la même ville, en l’an 2020. L’homme, tout comme ses livres, semblent recouvert d’une chape humide et glauque d’hiver indécis. Il connait le succès dès ses 23 ans avec la publication de Vamp, son premier roman, en 1988. Il en publiera plusieurs autres, notamment Vautour, en 1990 et Valium, en 2000. De plus, il sera parolier pour nombre d’artistes, tel que Dan Bigras, Luce Dufault ou Isabelle Boulay.
Tu fais le fou, je fais la foire
On plonge au fond de la bouteille
Tout est vrai tant qu’il reste à boire
Et qu’on éclipse le sommeilLes soirs de scotch m’enchantent
Je sais pas si je te l’ai dit
L’ivresse est caressante
Suave et chaude comme un nid– Extrait de Les soirs de scotch, chanson interprétée par Luce Dufault, écrite par Christian Mistral.
Les écrits de Mistral sont de l’autofiction avant la lettre. À tout le moins, au Québec, avant la popularisation de genre et du terme. J’oserais cependant reprocher à Mistral l’intégration superficielle de sa vie dans son œuvre. Certes, il fait quelques mention de son fils, qu’il eut en bas âge et qui fut élevé par sa grand-mère. Également, il traite dans divers écrits de son beau-père, qu’il semble considérer comme son père, sans jamais se l’avouer. Mais il effleure à peine les crimes qui le mèneront au pénitencier. Pourtant, cela ne peut être omis par un auteur aussi médiatisé que Christian Mistral.
Un toxicomane au comportement violent
Ainsi, avant de creuser plus avant le style de Mistral, je m’en voudrais de ne pas mentionner ses bévues judiciaires. En effet, il fut accusé et emprisonné au début des années 1990 pour violence conjugale. Certes, Mistral écrivit par la suite un recueil de poésie intitulé Y’a pas de poésie en prison. Cependant, son œuvre romanesque tait cette partie de sa vie. Assez surprenant, si l’on en croit la journaliste littéraire Chantal Guy, qui dit avoir surtout appris de Mistral qu’il faut pouvoir écrire à propos de tout.
On croirait véritablement lire le Kerouac des pauvres, si je puis dire. Le style est là – et quel style. Une plume vigoureuse, vivace, agile, qui a la cadence d’une dactylo anglaise tout en ayant, parfois, la finesses des grands auteurs français. Mais Mistral est jeune et a la rédaction arrogante.
Pour le témoignage entier de celle-ci au sujet de l’auteur, c’est par ici. Notez qu’elle s’exprime également sur les comportements violents de celui-ci.
Le plus choquant survient à la lecture de son roman Valium, publié seulement quelques années après son incarcération. C’est que la trame narrative découle grandement de la liaison du narrateur et d’une jeune femme nommé Marie Raspberry. Pour faire court, Mistral rencontre celle-ci au Salon du livre de Montréal, suite à la publication de son premier roman. Le roman fait état d’une relation épistolaire enflammé. En effet, l’on y montre une femme éprise follement de Mistral. Mais plus grave encore, une jeune autrice à l’admiration sans borne pour cet auteur récemment publié.
La véritable Marie-Raspberry
Dans le roman, elle le quitte simplement pour retourner vivre avec son époux légitime, hors du pays. L’auteur ne fait aucunement mention de ses comportements abusifs. Certes, il avoua tout au long de ses lignes avoir des problèmes avec la consommation d’alcool et un personnalité bouillante et colérique. Pourtant, le témoignage de la véritable Marie Raspeberry va beaucoup plus loin…
« Cela a duré deux heures. Deux heures de violence inouïe. Une éternité de terreur. C’est cela, la violence faite aux femmes par les hommes. C’est cette horreur, cette souffrance qu’on dissimule, qu’on désincarne derrière des effets littéraires comme le romantisme noir ou les déchéances privées. », témoigne l’autrice Marie-Françoise Taggart, la véritable Marie Raspberry. De plus, elle affirme avoir été passé sous silence par le milieu littéraire, avoir été boudé par celui-ci suite à ses allégations. C’est la véritable raison de son exil hors du pays. Alors que Mistral ne fait qu’écrire : Quant à Marie-Raspeberry, je n’ai pas su la retenir. […] La littérature l’avait déçue. »
Bien maigre témoignage pour le lectorat sachant alors très bien de qui il s’agissait en vérité.
Déception de contenu
Tout de même, nous pourrions détester l’homme tout en adulant l’œuvre. Je ne vous referai pas tout un débat à la Contre Sainte-Beuve, mais je croyais pouvoir apprécier les livres en les séparant de leur auteur. Pourtant, ce plat superficiel fait surface dès son premier roman. On croirait véritablement lire le Kerouac des pauvres, si je puis dire. Le style est là – et quel style. Une plume vigoureuse, vivace, agile, qui a la cadence d’une dactylo anglaise tout en ayant, parfois, la finesses des grands auteurs français. Mais Mistral est jeune et a la rédaction arrogante. Justement, il se perd trop souvent dans des démonstrations de style pompeuse et étouffante. J’avoue avoir lu plusieurs pages sans rien y comprendre.
Et il se perd également dans sa narration. Vamp ne fait que suivre les jeunes années du narrateur, alors qu’il est un écrivain sans le sous. Le fil conducteur de l’histoire semble être placé dans le personnage flamboyant de Blue Jean, qui est à Mistral ce que qu’était Neal Cassidy à Jack Kerouac. Mais celui-ci disparait bien assez tôt. Il n’en ressort un roman décousu et plat.