La plume de travers : Josée Yvon, poétesse explosive!

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Crédit : René Picard, Archives La Presse.

C’est la toute récente republication des recueils poétiques de Josée Yvon qui me fit découvrir cette autrice.  « Essaye ça, tu devrais aimer. C’était de la bombe dans les années 70-80. De la bonne poésie trash! », me conseilla un ami, dans une librairie. Son recueil Danseuses-mamelouk venait tout juste d’être réédité aux Herbes Rouges. À savoir si cette poésie est trash, nous en reparlerons. Mais ce qui est certain, c’est qu’elle me fit l’effet d’une bombe. 

Pour cette chronique, je n’ai pas envie de simplement enchaîner les anecdotes sur Josée Yvon elle-même. Bien sûr, il y a les années de jeune prodige, puis la déchéance. Elle consomme alcool, drogues et amours avec la même avidité. Sa rencontre avec le poète Denis Vanier est également fondatrice. Ils signeront en effet plusieurs écrits collaboratifs, comme Koréphilie en 1981. Non, pour cette chronique, je souhaite m’attaquer à l’œuvre et à son style. Car, de toute façon, nous retrouverons tous ces éléments directement dans le texte.

Chez Yvon, on jouit dans la merde et le sang, un sourire grinçant aux lèvres.

Un narratif insaisissable

À prime abord, ce qui peut rebuter le lectorat à l’approche de cet autrice, est l’incompréhensibilité de ses textes. Non que les mots et les vers ne communiquent aucun récit. Loin s’en faut, car plupart des recueils de Yvon sont des récits justement. Pensons, par exemple, à La chienne de l’hôtel Tropicana ou à Maîtresses-Cherokees. Le vers narratif laisse cependant place à un ressenti, une atmosphère ambiante, plutôt qu’une histoire qui coule aisément.

Ainsi, on peut lire plusieurs pages de Yvon, sans savoir véritablement de quoi il en retourne. Le unes se font poignardées, les autres jouissent ou fument, sans indication précise de temps, de lieu ou de personnage. Mais si l’on souhaite vraiment un narratif limpide, aussi bien lire un roman! C’est que les récits de Yvon nous entraînent directement dans l’action, retranscrivant celle-ci par le style. En effet, sans nécessairement être surréaliste, la poésie de Yvon est surréelle. C’est-à-dire que l’action décrite est invraisemblable. Par exemple, la protagoniste de Maitresses-Cherokees se fait tuée par sa propre fille dès le début du récit. Celle-ci danse ensuite autour du cadavre et s’affaire à ses bricolages, le tout devant témoins.

« La petite donna pour presser le ciel, / ajuste son matériel de géographie, / elle a caché dans sa main le poignard, / couru et d’un seul geste enfoncé la lame dure, / raide au bas des reins de sa mère évasive sur la dactylo. » – Maîtresses-cherokees, josée yvon

Plutôt que d’être une succession de scénettes, l’œuvre de Yvon se compose d’une séries d’état d’âme. Ceux-ci sont cependant retranscrits dans la chair bouillante des protagonistes. Sérieusement, quel autre style pourrait-on demander pour retranscrire les nuits d’exagération sordide auxquelles se livres les personnages dans ces livres?

Une poésie trash, vraiment?

Je ne vais pas vous mentir, les écrits de Yvon ne font pas dans la dentelle. Disons que je ne les ferais pas lire à ma grand-mère. Mais de là à affirmer qu’ils sont trash, il y a une marge. Pour moi, il y a deux façons d’être trash. Premièrement, en proposant une ou plusieurs scène qui vont beaucoup plus loin que le reste de l’œuvre, pour faire démarcation et choquer le lecteur inhabitué. Deuxièmement, si l’œuvre entière n’est qu’une longue surenchère, allant toujours plus loin, pour choquer son lectorat. Dans les deux cas, il y a une notion de dégoût, absente chez Yvon.

 

« les chattes étaient toutes enceintes en avril, / comme
un goût de peau douce /
dans les bras de sa blonde Diane, Ginette vient fort, /
raide et chaud. /
Ginette pleure quand une fille la crosse : / c’est une
belle image de cinéma. /
friction et kérosène, / la sueur goûte bon. » – La chienne de l’hôtel tropicana, josée yvon

Non, je ne dirais pas que les écrits de Josée Yvon font dans le trash. Ils choquent, certes, mais sans jamais provoquer le dégoût. C’est que les situations elle-même sont indécentes, malsaines, mais jamais oppressantes. Car chez Yvon, l’on s’attache aux personnages. Ils ne vont jamais nous dégoûter et toujours nous émouvoir. Rien ne choque vraiment dans leurs habitudes dépravés, car, justement, il s’agit là de leur quotidien. Le quotidien d’une bande  marginalisée qui fait tout pour survivre et voler un peu de plaisir dans ce bas monde. Chez Yvon, on jouit dans la merde et le sang, un sourire grinçant aux lèvres.

Travesties, lesbiennes et éclopées

Crédit : Le Devoir

Dès 1976, avec son recueil Filles-commandos bandées, Yvon annonce les années 1980. En effet, ces années seront marquées par un courant poétique québécois fortement influencé par la beat generation. Les personnages de Yvon sont toutes et tous des marginaux, artistes sans véritablement l’être, qui souhaitent se libérer peu importe le prix à payer. Elle réclame d’ailleurs son propre travail comme étant influencé par la poésie lesbienne et révolutionnaire américaine. L’autrice met en scène des transgenres, des travesties, des danseuses nues, des toxicomanes et des homosexuels. Une jolie ribambelle d’exclues qui cherchent à faire taire leurs malheurs à grand coup de lampées de bière. Elle réclame d’ailleurs son propre travail comme étant influencé par la poésie lesbienne et révolutionnaire américaine.

Le plus beau chez Yvon est que cette marginalité finit par avoir un goût d’ordinaire. Les problèmes, les déchéances et les abus de ces groupes témoignent d’un malaise plus généralisé au sein de la société québécoise de l’époque. En effet, personne n’arrive à trouver sa place dans ses récits, un peu comme un Québec post Révolution tranquille, mais préréférendaire.

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