L’auteur Christian Guay-Poliquin n’a que trois roman a son actif. Pourtant, il semble l’une des plumes les plus célébrées de la génération littéraire actuelle. Et ce, non seulement au Québec, mais partout dans le monde. En effet, la consécration est venue avec son deuxième roman Le poids de la neige (2016), récipiendaire de prix prestigieux comme celui du Gouverneur général et traduit dans plus de dix pays. Avant le succès retentissent, nous nous intéresserons dans cette chronique à son premier roman, Le fil des kilomètres (2013), préfigurant déjà la trilogie à laquelle est venu s’ajouter Les ombres filantes l’an dernier.
Une fuite en avant
Le fil des kilomètres suit l’histoire, sur quelques jours à peine, d’un narrateur qui traversera un pays entier d’Ouest en Est pour retrouver son père malade. Celui-ci ne veut jamais, malgré l’épuisement qui le guette, s’arrêter, ralentir ou prendre une pause. Il ne se dirige pas vers l’Est autant qu’il semble fuir l’Ouest et ses illusions brisées.
On dévore cette œuvre en quelques jours, voir quelques heures, non seulement, car l’on veut en connaître le dénouement; mais essentiellement, car le style effréné nous transporte sur une route à 100 mille à l’heure, comme le narrateur lui-même!
Une des spécificités du roman est que les personnages n’y sont jamais nommés. Les lieux non plus. Ainsi, l’on comprend bien que le narrateur quitte une région pétrolifère (l’Alberta) pour se rendre dans un village minier de l’est (toujours impossible à déterminer, mais il semble très, très éloigné). De plus, la Métropole, qui semble préfigurer la ville de Toronto, ne constitue pas un point d’attache pour les personnages, mais plutôt une antithèse de ce qu’ils recherchent. Je m’explique.
Saveurs d’Apocalypse
L’action du roman se déroule alors que l’électricité manque au pays depuis plusieurs jours, voir semaines, selon les endroits. L’Est est affecté depuis plus longtemps que l’Ouest et le chaos et la violence règne dans les grandes villes. C’est pourquoi l’idée d’une passagère du narrateur de se rendre dans la Métropole de l’Est semble dangereuse et absurde. D’ailleurs, de nombreuses confrontation auront lieu mettant les différents personnages en péril.
Pourtant, le narrateur est empressé de parcourir le chemin, car, non seulement il n’a pas vu son père depuis presque 10 ans, mais celui-ci est gravement atteint d’Alzheimer. Il se demande même s’il sera reconnu à son arrivée. Tout le sel du roman, à mon humble avis, réside dans cette relation père-fils impossible.
Le problème du père
L’on dit souvent que l’art québécois a cela de particulier qu’il s’intéresse énormément aux relation père-fils difficiles. Pensons à C.R.A.Z.Y. ou Gas Bar Blues. Le fil des kilomètres n’y fait pas exception. En effet, le père représente toute la quête d’identification du narrateur. Car, si celui-ci s’est perdu lors de son exil et d’une rupture amoureuse toujours amère, il espère pouvoir renouer avec ce qu’il est vraiment en retournant à ses racines.
Sans vouloir rien divulgâcher, disons que la fin témoigne de la fatalité du sort échue au jeune fils québécois. Également, si un sous-texte freudien pouvait être perçu tout au long du roman, l’acte final rend le tout bien plus explicite. L’on prend pourtant pitié de ce récit ou un jeune homme serait prêt à tout pour une figure paternelle pourtant absente.
Une absence de personnage
L’on pourrait reprocher au roman, outre son manque de localisation explicite, son manque de personnages situés. En effet, aucun de ceux-ci ne possède un nom, une histoire bien définie ou des caractéristiques permettant de s’en rapprocher ou, au contraire, de s’en éloigner.
Mais cela semble une réponse bien facile. Car, si ces absences de caractéristiques peuvent élever le roman au niveau d’œuvre universelle, force est de constater que cela n’a rien de nécessaire.
Aisément, pourtant, l’identification se fait à ces coquilles vides perpétrant des actions dans un monde tout aussi absent. Mais cela semble une réponse bien facile. Car, si ces absences de caractéristiques peuvent élever le roman au niveau d’œuvre universelle, force est de constater que cela n’a rien de nécessaire. Je crois plutôt qu’il est de la force des plus grands romancier de faire d’une aventure située, une péripétie universellement assimilable.
Un style impeccable
Malgré tout ce que l’on peut lui reprocher, Le fil des kilomètres est une œuvre forte de par son simple style. La plume de Poliquin est fouillée, incisive et poétique. Sans jamais se vautrer dans un trop plein de miel et d’émotion, il réussit toujours, par ses réflexions, à faire planer au-dessus d’action banales l’étincelle du génie.
On dévore cette œuvre en quelques jours, voir quelques heures, non seulement, car l’on veut en connaître le dénouement; mais essentiellement, car le style effréné nous transporte sur une route à 100 mille à l’heure, comme le narrateur lui-même!
Une lecture obligatoire pour les amoureuses et amoureux de littérature québécoise contemporaine.