La plume de travers : Michel Houellebecq, génie du pessimisme

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Étienne Gélinas : La plume de travers. Crédit : Sarah Gardner.

Je vous l’annonce d’emblée, cette chronique se veut la première d’un dyptique consacré à l’auteur Michel Houellebecq. J’aborderai aujourd’hui tous ses romans précédents sa dernière parution, avant de m’attaquer à Anéantir, sorti en tout début d’année 2022. Laissons place aux joies du pessimisme, un carton plein de gauloises à nos côtés!

Houellebecq ne se déplace jamais sans ses cigarettes. Crédit : LaPresse.ca

Une vie sans intérêt

Une des choses les plus passionnantes à propos de la vie de Houellebecq est justement qu’elle na rien d’intéressante. Délaissé par ses parents, informaticien au Ministère de l’agriculture avant de devenir écrivain, il est pourtant ardu de trouver dans sa biographie les germes de son œuvre future. C’est que malgré l’aspect autofictionnel de ses romans, Houellebecq ne traite pas tant de personnages que de sa société. D’ailleurs, ses protagonistes sont bien souvent aussi beige que leur auteur. Et lorsque j’affirme qu’il traite de sa société, je devrais plutôt dire de sa civilisation. Car c’est le déclin de la civilisation occidentale dans son entièreté qui ravage la créativité de l’auteur, et non un simple déclin français.

Misères sexuelles

On dit souvent que Houellebecq dresse le portrait de la misère affective et sexuelle de l’homme blanc occidental contemporain. Cette affirmation est vraie. Et cela, au temps où il est plus volontiers coutume de s’intéresser au cheminement des minorités, pourra en choquer certains.

Mais Houellebecq adresse cette question majeure dès son tout premier roman : Extension du domaine de la lutte (1994, Flammarion). Ici, on étend le domaine de la lutte des classes, du libéralisme économique, du domaine proprement financier et industriel, au domaine de l’amour et de la séduction. En effet, l’auteur soutient la thèse voulant que le libéralisme amoureux actuel se traduise également par un agrandissement des fossés affectifs et sexuels. Autrement dit, il fut une époque où chacun et chacune pouvait au moins se prévaloir d’un partenaire amoureux et sexuel, mais avec la libération sexuelle, certainEs multiplieront les conquêtes au dépend d’une grande partie de délaisséEs.

L’impossibilité d’une relation amoureuse en ces temps sera ensuite abordée dans son deuxième roman : Les particules élémentaires (1998, Flammarion), et la marchandisation sexuelle découlant de cette liberté sera abordée dans Plateforme (2001, Flammarion). Ayant suscité la polémique, ce roman se veut quelque peu une apologie du tourisme sexuel. Car à une époque où la sexualité se veut véritablement libérée, qu’est-ce qui nous empêche de la marchandiser?

Une plume dépressive

Comme je l’ai déjà mentionné, Houellebecq est un auteur pessimiste. Il a lui-même traversé une grave dépression et sait adresser la question avec justesse et brio. Son affirmation la plus intéressante à ce sujet est qu’il faut cesser de romantiser la dépression. Et quiconque s’est déjà trouvé dans une telle situation sait très bien que Michel Houellebecq a raison, car il n’y a rien dans cet état clinique qui permet la créativité et le reflet du désespoir magnifique hérité des poètes romantiques.

Ainsi, les protagonistes de Houellebecq sont habituellement des incapables. Pas qu’ils soient privés de tout talent, mais plutôt d’ambition, de volonté et de capacité à agir. En cela, ils sont des hommes de leur siècle, car ils se laissent porter par lui sans jamais réussir à contrecarrer son cours. Ces personnages parfois ennuyants (c’est le plus grand point faible des meilleurs romans de l’auteur) permettent à Houellebecq de parler surtout du monde clos et sans espoir dans lequel ceux-ci évoluent.

Un génie enfumé. Crédit : The Times.

Un auteur méconnu de science-fiction

On considère Houellebecq comme un auteur de « littérature blanche » ou classique. Mais un genre auquel on l’identifie moins, alors qu’il en est un grand lecteur, est la science-fiction. En effet, dès son second roman, l’on y voit aborer des thématiques propres à la « hard science-fiction », comme le clonage, les mutations génétiques etc. Et comme tout bon auteur de science-fiction, Houellebecq nous parle des dystopies d’un futur possible pour mieux mettre en évidence les travers de notre société actuelle, obsédé par le progrès techniques, au détriment du ressenti humain.

Nous pourrions ainsi considérer Les particules élémentaires (1998, Flammarion), La possibilité d’une île (2005, Flammarion), ou même Soumission (2015, Flammarion) et Sérotonine (2019, Flammarion) comme des œuvre de science-fiction. En fait, Soumission est plutôt une dystopie politique où un parti islamique modéré a pris le pouvoir en France, alors que Sérotonine fait surtout état d’une nouvelle médicamentation miraculeuse contre la dépression.

Si la science-fiction de Houellebecq s’éloigne des standards américains, ou des romans d’aventure français, c’est donc surtout son traitement détourné de la société actuelle qui le place, selon moi, dans cette catégorie.

Prix Goncourt

Vous aurez sans doute remarqué que j’ai laissé de côté la Carte et le territoire (2010, Flammarion), son roman qui lui valut pourtant le prix Goncourt cette année là. Simplement, car, selon moi, il s’agit de son plus faible ouvrage. Houellebecq était depuis longtemps pressenti pour ce prix, plutôt décerné pour l’ensemble de son œuvre que pour ce roman spécifique. Le roman est pourtant intéressant de par la présence directe de son auteur dans l’ouvrage. Mais je ne vous divulgâcherai rien. Cependant, son protagoniste est si beige qu’il en rend la lecture franchement désagréable.

Il manque également une pièce majeure à l’œuvre de Houellebecq : Anéantir, son plus récent ouvrage. Mais, comme je l’ai déjà dit, nous en parlerons la semaine prochaine.

 

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