Sorti le 9 septembre dernier, le documentaire Je vous salue salope: la misogynie au temps du numérique, réalisé par Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist, m’a fait l’effet d’un coup-de-poing en pleine figure lorsque je suis allée le visionner en salle la semaine dernière.
En effet, Je vous salue salope, qui a tout pour rappeler les thrillers cinématographiques de ce monde, nous confronte avec une réalité avec laquelle nous n’entendons que trop peu parler dans la vie quotidienne, soit celle de la violence au féminin en ligne. Mettant en scène quatre « protagonistes », dans ce cas-ci quatre femmes ayant été victime de cyberharcèlement, le documentaire nous force à jeter un regard sur ce phénomène qui, par sa nature complexe, est trop souvent relégué aux oubliettes.
Victimes sacrificielles
Dans Je vous salue salope, le public suit l’histoire de quatre femmes qui reçoivent sous une base régulière des commentaires dégradants sur leur apparence, sur leur façon de réfléchir ainsi que des menaces de mort et de viol. Bitch par-ci et salope par-là, les interactions virtuelles dont elles sont la cible font écho aux insultes que l’on peut entendre dans les cours d’écoles secondaires de la province. Si ce lexique est si communément utilisé en ligne, c’est bien parce que son utilisation est fréquente dans la vie de tous les jours, voire normalisée.
Ainsi, les spectatrices et les spectateurs se retrouvent immerséEs dans le quotidien de Marion Seclin, youtubeuse française, Laura Boldrini, politicienne italienne, Kiah Morris, représentante de l’État du Vermont, et Laurence Gratton, enseignante québécoise. À travers cela est entremêlée l’histoire de Glenn Canning, père d’une adolescente américaine s’étant suicidée après que des images de son viol aient été publiées sur le net.
Si l’on ne va pas voir Je vous salue salope pour passer un moment de divertissement léger, c’est bien parce que le documentaire ne prend aucun détour pour montrer la violence et la radicalité des propos publiés en ligne au sujet des femmes. Ces quatre femmes, qui paient au nom de toutes les autres justement parce qu’elles sont femme, savent transmettre une histoire qui est universelle, une histoire qui n’est pas que la leur.
Les bas fonds de la misogynie
Si certaines scènes du documentaire n’étaient point étonnantes pour quiconque s’intéressent minimalement aux enjeux féministes contemporains, d’autres étaient presque incroyables en raison de l’extrémisme qu’elles exhibaient. Je pense, entre autres, au moment où Kiah Morris, seule femme noire de la Chambre des représentants du Vermont, et son mari expliquent qu’un membre d’un groupe néo-nazi antiféministe s’est infiltré dans leur demeure pour commettre ce qu’on devine être l’irréparable. Bien que Morris ait choisi de quitter son poste au Vermont pour protéger sa famille, ses mots continuent de résonner dans mon esprit: « Je refuse d’être réduite au silence ».
Et le gouvernement dans tout cela?
Même si le film met de l’avant les diverses démarches légales entreprises par ces quatre femmes, un arrière-goût d’injustice continue à nous hanter lorsque l’on quitte la salle de visionnement. Même après avoir reçu des milliers, voire des dizaines de milliers, de messages d’une violence inouïe, on comprend bien rapidement que ces dossiers, tout comme ceux ayant trait aux violences à caractère sexuel, sont d’un degré de complexité qui ne permet pas si facilement à la justice de les régler.
Parmi les quatre recours présentés sur le site web du documentaire, on compte le procès criminel, le procès civil, la médiation ainsi qu’un recours à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Or, il n’y a que très peu de mots pour exprimer ma déception face à notre système de justice qui, encore une fois, n’a pas su entendre la voix des victimes. Lorsqu’on jette un coup d’œil au cas de Laurence Gratton, qui connaissait une dizaine d’autre femmes qui étaient harcelées par le même homme, on réalise qu’il y a un grave problème au Québec et au Canada à ce niveau. Encore une fois, les femmes doivent se faire justice par elles-même, notamment grâce à des documentaires de la sorte, pour espérer que les autorités finissent par adopter des lois et des politiques permettant qu’un réel changement de culture se produise.
Je n’ai été aucunement payée pour le dire: Je vous salue salope est un documentaire qui devrait être présenté dans toutes les écoles du Québec ainsi que par toute personne doutant de l’importance et de la légitimité des luttes féministes au 21e siècle.