Aujourd’hui, en me promenant sur les médias sociaux, je suis tombée sur un témoignage particulièrement troublant d’une jeune femme qui raconte avoir été renvoyée de son emploi à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) en raison de sa participation à une vidéo d’un rappeur où elle y remuerait ses fesses en effectuant une danse twerk. Tandis que ces propos entretiennent des idées racistes et sexistes sur ce type de danse, ceux-ci soulèvent les façons perverses dont les femmes ne sont jamais à l’abri du sexisme.
L’ancienne intervenante de la DPJ, qu’il est possible de retrouver sur l’alias de contenu_de_qualite sur les plateformes de Tik Tok et d’Instagram, explique courageusement, dans une vidéo d’une durée de huit minutes, les nombreux jugements et les situations d’harcèlement sexuel qu’elle aurait vécus dans le cadre de son emploi. Sa danse twerk aurait été la goutte qui fait déborder le vase, et ce, même si son visage demeure caché. Bien qu’il nous soit impossible de vérifier la véracité des informations émises par l’ancienne intervenante, il reste que ses paroles ne sont pas difficiles à croire. Dans une société où le corps des femmes est encore monitoré, surveillé et soupesé de mille et une façons, il n’y a malheureusement rien d’invraisemblable à cette histoire.
Être un parfait modèle éthique
L’ancienne intervenante mentionne dans son témoignage que son employeur lui aurait reproché que cette vidéo mette en scène « des comportements totalement incompatibles avec [son] rôle d’intervenante ». Or, un employeur peut-il contraindre ses employéEs à adopter des comportements professionnels en tout temps, et ce, même lorsqu’ils et elles ne sont pas en fonction? Je suis consciente qu’il existe une nuance entre avoir des agissements dans notre vie privée et publier en ligne les agissements de notre vie privée. Même si je suis d’accord pour dire qu’il est parfois mieux de conserver certaines choses pour soi, il reste qu’il n’est pas normal qu’une corporation ait le pouvoir de décider la façon dont il faudrait mener son existence.
Le corps d’un individu, lorsqu’embauché par une corporation, doit-il continuellement obéir aux diktats de cette dernière?
Quelle que soit la nature de l’emploi, il est plutôt habituel pour une entreprise/corporation de demander à ses employéEs de ne pas publier de contenu sur les médias sociaux qui pourraient mettre cette dernière dans l’embarras, dépendamment des valeurs véhiculées par celle-ci. Cependant, dans l’éventualité où ce contenu est publié sous le couvert de l’anonymat et, dans ce cas-ci, publié dans un contexte de création artistique, est-il légitime de reprocher à un individu de ne pas respecter les valeurs de l’entreprise?
Le corps et la corporation
Même si les deux cas sont différents, le témoignage de la jeune femme fait écho à l’histoire du « prof rappeur de Châteauguay » qui s’était fait suspendre l’automne dernier pour avoir publié un vidéo clip mettant en vedette sa conjointe vêtue d’un maillot de bain une-pièce. Le corps d’un individu, lorsqu’embauché par une corporation, doit-il continuellement obéir aux diktats de cette dernière? Ou doit-il seulement faire semblant d’y obéir? Parce que s’il n’est pas approprié d’avoir des relations sexuelles, de consommer de l’alcool et de jurer dans le cadre de son emploi, il reste que ce sont des activités pratiquées par une grande majorité des travailleurs et travailleuses québécoisEs. Mais, il ne faut surtout pas faire comme si c’était le cas. Il faut plutôt se mettre la tête dans le sable et prétendre être une personne irréprochable à tous les niveaux et sur tous les plans.
Les travailleurs et travailleuses, petits automates du capitalisme, se doivent de faire plaisir à la corporation en tout temps. Même s’il s’agit d’un contexte de création artistique. Dans un monde idéal, l’esprit des travailleurs et des travailleuses serait même dépourvu de pensées qui vont à l’encontre des valeurs de la corporation!
Les compétences et l’apparence
L’ancienne intervenante répète, à quelques reprises, qu’elle était « une femme dérangeante » pour son employeur, notamment en raison de ses faux ongles et de son apparence séduisante. À un certain moment, elle souligne que ses compétences professionnelles auraient été remises en question à cause de la façon dont elle se mettait physiquement en valeur. Personnellement, j’ai été touché de l’entendre dire cela. Trop souvent, je constate que de nombreuses femmes ont besoin de tamiser leur sensualité et leur féminité pour être prises au sérieux dans leur emploi. Par exemple, dans les milieux universitaires, il est plutôt rare de rencontrer des chargées de cours ou des professeures qui ont une apparence typiquement féminine; les femmes en milieu professionnel adoptent plutôt un style neutre, aucunement connoté. Elles se présentent avec des vêtements qui atténuent leur féminité, car sans cela, il serait facile d’en conclure, comme ce fût le cas pour l’ancienne intervenante, que leurs compétences sont moindres.
Je rêve d’un monde où les femmes seront libres de s’habiller d’une façon qui respecte les volontés de leur cœur sans avoir à se soucier du jugement des autres. La féminité et la sensualité ne sont pas des signes d’incompétence, mais plutôt des expressions normales (et saines) de notre humanité.