Dans son plus récent texte, tiré de son infolettre « L’argent et le bonheur », le journaliste de La Presse Nicolas Bérubé propose au lectorat une liste de conseils pour économiser 10 000$ par année. Évidemment curieuse, je lis l’article, m’attendant à y trouver des propositions qui soient réalistes et pratiques et qui puissent aisément être appliquées.
Si la liste de M. Bérubé n’est pas complètement aberrante, il reste qu’elle ne peut s’adresser à l’ensemble de la population et encore moins à ceux et celles qui ont un salaire qui se situe sous le seuil de la pauvreté (comme c’est le cas pour plusieurs étudiants et étudiantes).
Économiser, qu’est-ce que ça signifie concrètement?
Ce n’est pas nouveau, tout ce qui a trait à l’argent et aux économies constitue un sujet de prédilection dans notre société plus souvent orientée vers le succès financier que le bonheur véritable. Après plusieurs années à me faire casser les oreilles par Pierre-Yves McSween, qui avance que notre unique objectif en tant que jeunes adultes devrait être d’atteindre la liberté financière à la mi-quarantaine, et par toutes les autres figures sacrosaintes qui savent nécessairement mieux que moi ce dont j’ai réellement besoin pour mieux (sur)vivre, j’avoue que je n’ai pas cliqué sur l’article de M. Bérubé en étant totalement neutre, mon opinion sur le sujet étant déjà formé.
Selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, économiser se définit comme suit: « Dépenser avec circonspection; administrer ou effectuer quelque chose en limitant la consommation au minimum requis pour le résultat recherché, en réduisant la dépense. » Il s’agit, en somme, de limiter nos dépenses qu’à nos besoins essentiels. La place que l’on accorde dans notre budget pour le plaisir et le divertissement, s’il y en a une, est donc en principe très limitée.
L’article de M. Bérubé se veut donc dans la même lignée puisqu’il suggère à ses lecteurs et lectrices diverses manières d’épargner, en coupant dans le gras, « 10 000 $ en un an ». Décortiquons donc cette fameuse liste pour voir si celle-ci est 1) réaliste, 2) pratique et 3) facilement appliquable.
Couper partout partout partout
M. Bérubé commence sa liste en suggérant de nous abonner à la bibliothèque de notre municipalité, que nous payons déjà avec nos taxes, pour économiser 600$ par année, soit 50$ par mois (il ne précise d’ailleurs pas d’où il prend ces montants). Cette proposition n’est pas mauvaise, mais ne prend pas en considération les nombreuses fois où il est nécessaire de mettre la main sur un ouvrage qui n’est pas disponible en bibliothèque.
Il propose ensuite d’optimiser notre cellulaire en trouvant le forfait le moins cher sur le marché, forfait avec très peu de données Internet, afin de prioriser les téléchargements lorsque le WiFi est disponible. « Mais lorsque quelque chose de « vital » n’était même pas offert il y a 10 ans, mon détecteur de dépenses sans doute pas si vitales que ça s’allume » écrit-il. Ce conseil me semble plutôt bon. Il est vrai que nous pourrions apprendre à utiliser plus judicieusement les téléphones intelligents et à diminuer notre utilisation générale de ceux-ci.
Le divertissement, c’est pour les riches seulement!
Son prochain conseil est le plus radical: « Pas de cheveux blancs, pas de restaurant ». Si l’on est jeune ou peu fortunéE, nous dit-il, aller au restaurant n’est pas une dépense astucieuse. Ce n’est pas faux, bien que peu épicurien. Ce qui est faux, toutefois, c’est de penser que la plupart des gens mangent au restaurant régulièrement.
Par la suite, il dit de se désabonner de Disney + et d’Amazon Prime. Ces services d’abonnement, qui équivalent environ 200$ par année, ne sont pas nécessaires au bonheur, j’en conviens. M. Bérubé avance que « sur son lit de mort, personne ne se dit : » J’aurais dû passer plus de temps à regarder Disney+. » » Aurait-il dit la même chose par rapport à d’autres formes de production culturelle? En suivant la même logique, personne ne meurt en se disant qu’il ou elle aurait dû passer plus de temps au théâtre, à l’opéra ou à lire de la poésie. Est-ce que cela signifie pour autant qu’il ne faille pas encourager ces formes d’art?
M. Bérubé, les besoins fondamentaux et la réalité
Jusqu’à maintenant, j’ai plutôt l’impression que M. Bérubé nous dit que les seuls besoins que nous avons sont de manger, de dormir et d’être en sécurité. Comme si le plaisir, la créativité et l’expression ne pouvaient pas être des besoins fondamentaux de l’être humain. Pour M. Bérubé, les seuls besoins importants sont ceux qui permettent notre survie!
Il suggère ensuite de moins utiliser la voiture et/ou le transport commun pour prioriser la marche, de cesser d’acheter des cafés à l’extérieur et de faire son propre lunch. Ok, j’accepte.
Un autre de ses points, celui d’arrêter d’acheter des vêtements, n’est pas très convaincant. Je ne suis pas pour la surconsommation, loin de là, mais à moins d’avoir les moyens de s’acheter des vêtements haut de gamme, il est plutôt ardu de trouver des vêtements qui ne seront pas abimés dans la première année suivant l’achat. La qualité des vêtements qui sont abordables pour la plupart des gens est médiocre.
Mon verdict
Si la liste de M. Bérubé n’est pas pratique dans la mesure où elle impose des contraintes et des restrictions, elle demeure relativement facile à mettre en application (si l’on est prêt et prête à renoncer à plusieurs petits plaisirs de la vie). Or, la plus grande critique que j’adresserais à M. Bérubé est que celle-ci n’est pas complètement réaliste puisqu’elle tient pour acquis que nous avons tous et toutes des dépenses « inutiles » qu’il serait possible d’éliminer en faisant preuve de courage et en faisant des sacrifices.
Cependant, M. Bérubé ne considère pas que de nombreuses personnes ne peuvent tout simplement pas se permettre de dépenser pour des petits extras comme un café Starbucks ou un abonnement Disney +. Plusieurs familles utilisent tous leurs sous pour acheter de la nourriture et des vêtements à leurs enfants sans se payer annuellement un voyage à Walt Disney. De nombreuses personnes ne sont même pas en mesure de faire des économies, car elles coupent déjà dans le gras, et ce, sur une base régulière.
Si les propositions de M. Bérubé sont généralement raisonnables, elles le sont principalement pour les gens qui ont un bon salaire et qui ne savent/veulent pas résister aux petits plaisirs de la vie. La prochaine fois, M. Bérubé, que diriez-vous d’une liste sur les (trop) nombreuses façons par lesquelles les personnes en situation de précarité financière ne peuvent même pas se permettre de rêver à cette fameuse liberté financière? Ou d’une liste qui aide les personnes avec des petits revenus à être capable de mettre des sous de côté malgré tout? Vous devriez peut-être songer à intituler votre infolettre « L’argent ou le bonheur » plutôt que « L’argent et le bonheur ».