37,8°C. Je suis atteinte de cynisme maladif, vous êtes au courant. Pourtant, je n’avais pas encore été atteinte du cynisme politique. Eh bien, j’ai attrapé le virus au cours de la campagne électorale actuelle. Le cynisme politique de type A, le bénin, sans grandes conséquences sur la santé. Il ne m’empêchera jamais de voter. Mais voyez-vous, bien que les débats des chefs font habituellement office de Super Bowl chez moi, j’ai esquivé le deuxième. Premier symptôme.
38,5°C. Le débat des chefs, c’est comme le tapis rouge aux Jutra. C’est le combat des apparences, l’observation du langage corporel, les bons et les mauvais choix de cravate: la symphonie des cassettes préenregistrées. On peut deviner comment chaque chef s’est fait coatcher. Philippe Couillard avait clairement pour défi de dire le mot «dignité» le plus souvent possible. Malgré la vacuité de ses propos coulants de populisme, il a adopté l’attitude privilégiée pour se faire élire: rester calme et en contrôle. Incarner le rassurant papa-docteur bien habillé. Quant à Pauline Marois, elle se devait de paraitre joviale et positive, et de vanter les minces accomplissements de son gouvernement minoritaire. Puis, pour perturber l’éternel bipartisme, nous nous sommes donné mon’Oncle Legault et Mère Theresa David. Vous sentez le cynisme? J’ai une petite poussée de fièvre.
39,3°C. En fait, une bonne chance que nous avions la CAQ et QS pour varier et enrichir un tant soit peu le débat. Il n’y a rien de tel qu’un parti qui n’a aucune chance de l’emporter pour dire franchement au pouvoir établi ce que tout le monde pense. François Legault s’en est donné à cœur joie en confrontant sans détour Philippe Couillard. De son côté, Françoise David a été, comme lors des débats passés, et je regrette déjà mes mots, presque trop pertinente pour le débat. Elle élève la discussion à un autre niveau, elle rassemble, met fin aux discussions stériles, elle appuie ses propos de statistiques. Elle reste calme et posée, respectueuse et digne. Elle est trop gentille. Et bien que ça ne fasse aucun sens, un homme sans vision nouvelle à l’attitude méprisante a plus de chances d’être pris au sérieux par les électeurs qu’une femme posée et démocratique dans ses interventions. C’est la triste réalité, bien qu’elle soit navrante, et il reste un peu naïf de l’ignorer. Mes propos me désolent, j’en ai mal à la tête.
C’est bien l’idéalisme, c’est bien la diplomatie. Je suis la première à accourir pour pelleter des nuages. Mais il ne faut pas être bonasse. J’en ai assez du Québec bonasse.
39,8°C. Cela dit, Madame David est égale à elle-même et fidèle à ses principes, c’est tout à son honneur. Je ne voudrais pas qu’elle devienne une machiavélique stratège politique afin de gagner plus de votes. Toujours est-il que l’arène politique est loin d’être un théâtre de la bienséance. On ne récompense pas les bons sentiments en politique. C’est un état de fait bien malheureux qui me donne des frissons. J’ai perdu l’utopie, je fais 40 de fièvre.
40°C. Je n’admettrai jamais la mauvaise foi, la malhonnêteté, ni les coups bas politiques, et surtout pas la démagogie, ne vous méprenez pas. Mais quand je vois Madame David être aussi aimable avec ses détracteurs, que je la vois employer un vocabulaire intellectuel et riche devant Monsieur Couillard et son paradis fiscal, j’ai l’impression d’un coït interrompu. J’aimerais bien qu’elle délaisse légèrement les conventions et qu’elle confronte franchement l’homme qui incarne intégralement tous les aspects contre lesquels son parti se bat depuis des années. J’aimerais qu’elle lui demande sans plus de cérémonie ni de politesses: mais que connaissez-vous de la pauvreté, vous, Monsieur Couillard ? Que connaissez-vous des besoins en matière d’emplois et de services sociaux? Où étaient votre amour du Québec et votre loyauté envers les Québécois quand vous êtes parti vous enrichir aux Émirats arabes? Dans quel pétrin serions-nous si tous les médecins diplômés faisaient comme vous? Je n’ai pas une haute estime de François Legault et de son ADQ renouvelée, mais il aura au moins saisi l’opportunité de déstabiliser ses opposants en parlant franchement. Il n’a aucune chance d’être élu, il le sait: il peut donc se permettre la confrontation directe. Et bien que je ne fasse pas partie de ceux-là, je crois que beaucoup d’électeurs voteront pour lui pour le simple fait qu’ils se sont reconnus en lui, et qu’il a un peu de chien. C’est bien l’idéalisme, c’est bien la diplomatie. Je suis la première à accourir pour pelleter des nuages. Mais il ne faut pas être bonasse. J’en ai assez du Québec bonasse.
J’en ai assez de remettre la souveraineté à plus tard, comme s’il s’agissait d’une récompense accordée aux sociétés dépourvues de dettes. Une récompense qu’on pourra s’offrir quand on sera assez performants, dépourvus de toute problématique sociale, que tout le monde aura un emploi bien rémunéré, «quand le contexte sera bon». Quand on aura été assez gentil, poli, et que notre CV sera assez impressionnant.
Au plafond de ma fièvre, empêtrée dans ma désillusion, je continue de croire que la souveraineté est le seul remède. Et franchement, quand on est malade, que le remède vienne de la gauche ou de la droite, de PKP ou de Manon Massé… on s’en fout.