Nouvelle année, nouveau toi. Nouvelle année, le succès, le bonheur, la santé! Pis un p’tit chum avec ça.
La nouvelle année, occasion en or de se promettre d’être meilleur, de faire le point, de changer nos «habitudes de vie», qui disent. C’est bien pratique pour vendre un elliptique en spécial, mais aussi un mode de vie sain, et la santé. La santé qu’on galvaude, ce mot que l’on épuise jusqu’à s’en rendre malade.
La santé blanche, l’absence de germe et de gras trans, la purification de son corps. On nous rebat les oreilles avec l’adoption d’une routine saine, du matin au soir. On nous invite à se fondre aux contours de ce moule à la mode de notre ère, de ce moule hipster-yoga-cultivé-en santé, le tout pour être heureux, mais surtout sain. On achète tout produit qui s’affiche bio et végé, parce qu’automatiquement, c’est santé. On se sent bien accompli et à sa place, après avoir fait sa routine de Zumba, avec l’affreux kit vert et rose qui vient avec.
J’en viens toujours à cette constatation, devant toutes ces émissions, ces livres et ces conseils santé: la recherche de la santé frise parfois la recherche de la sainteté. Comme si on espérait se faire canoniser pour avoir mangé du tofu soyeux ou des graines de chia. J’ai l’impression que nous baignons dans une recherche affirmée de perfection, et que nous rendons légitime et tout à fait normal de passer ses journées à s’appliquer cinq couches de vernis sur le nombril. Le tout avec un œil légèrement méprisant pour les consommateurs de Pepsi et de poulet pressé. Ça ressemble à quoi tout ça? Eh bien, ça ressemble à la tyrannie de la graine de lin, mes amis. Une race supérieure est née, et elle est intolérante au lactose.
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Sur ce, je suis le blog de Trois fois par jour de Marilou et Alex depuis son tout début, puisque je fais partie de ces jeunes dans la vingtaine qui se montrent beaucoup trop expressifs en mangeant de quoi de bon. Des recettes, j’en veux. Des biscuits au bacon, j’en veux plus. Mais voilà que notre chère cuisinière autodidacte a vu une opportunité en or et en stainless, en ce lendemain de temps des fêtes, de nous partager son «mode de vie sain». Ainsi, on nous invite à suivre la «semaine santé», liste d’épicerie et calendrier de recettes à l’appui. C’est dans ce contexte qu’on nous partage sur le blog une jolie vidéo faisant état de la routine matinale de dame Marilou. Dame Marilou, à peine 23 ans, se réveillant telle une princesse dans son lit de magazine entourée d’oreillers soyeux. Dame Marilou descendant allégrement les escaliers de sa jolie maison blanche aux planchers de bois rutilants, à la rencontre de son petit chien, à l’apparence plus douillette qu’une boule de ouate. Dame Marilou se préparant son eau citronnée, dans sa bouilloire étincelante, coupant les fruits de son couteau bien aiguisé, les mixant dans son blender Vitamix à 700$. Dans son pyjama spécialement choisi, et ses bas à froufrous, sa voix doucement empruntée nous raconte sa philosophie de la vie:
«Vous trouvez pas ça fou de se dire que le bonheur, c’est un état dans lequel on peut CHOISIR d’être? Et qu’il y a du monde qui DÉCIDENT de prendre les choses du mauvais côté?»
J’en viens toujours à cette constatation, devant toutes ces émissions, ces livres et ces conseils santé: la recherche de la santé frise parfois la recherche de la sainteté. Comme si on espérait se faire canoniser pour avoir mangé du tofu soyeux ou des graines de chia.
Faut dire que ce matin-là, je m’étais fait réveiller par une remorqueuse qui spinnait sur la glace juste en bas de la fenêtre de mon 3½ mal isolé. C’était la journée du 6 janvier, tsé le jour où la ville au complet s’est transformée en patinoire trois losanges. Dire que j’ai ressenti un énorme malaise à voir Marilou couper ses ananas dans son décor de magazine Ikéa ce matin-là serait un euphémisme. En fait, j’avais vraiment envie de l’inviter à choisir le bonheur avec moi, en route vers le garage, où j’allais chercher ma Toyota Camry 98 et payer ma nouvelle suspension avec de l’argent que j’ai pas, pis que j’aurai pas dans six mois. J’avais envie qu’elle m’explique quand est-ce-que j’ai fait le choix d’être de mauvaise humeur ce matin-là, devant ma boite courriel vide malgré la recherche intensive d’emploi, ou encore quand j’ai reçu ma dernière facture de frais de scolarité pour un baccalauréat complété qui n’ouvre aucune porte à part celle de caissier chez Couche-Tard.
On se l’avoue pas assez souvent, ou peut-être qu’on évite de se le dire parce que c’est plus facile de centrer sa vie sur l’apport vitaminique d’une eau citronnée, mais la vie c’est bien autre chose que la nourriture qu’on décide ou non d’ingérer. Pour mettre des mures blanches ou une cerise sur son gâteau, faut avoir un gâteau. Bien des gens ont même pas de farine dans le garde-manger. Bien des mères monoparentales n’oseraient même pas espérer un jour voir grandir leurs enfants dans une maison blanche comme celle de Marilou. Parce que les baies de Goji, les robots culinaires et les petits chiens en ouate, c’est les bonus d’une vie privilégiée. Tu donnes pas en exemple le quotidien qu’1% de la population mondiale a la chance de vivre, et tu viens surtout pas me dire, ce 6 janvier au matin, que le bonheur c’est un choix.
Cela dit, Marilou a publié ce 10 janvier une vidéo d’excuses, expliquant qu’avec du recul, elle réalise que la vidéo de sa routine matinale était maladroite, et pouvait paraitre «ultra superficielle» et insultante pour les auditeurs dans la misère. Elle clarifie qu’elle voulait dire que le bonheur est un état indépendant, et qu’elle portera plus attention à ce genre de détails à l’avenir, réalisant l’étendue des personnes dans des situations variées qui écoutent ses vidéos. Je lui lève mon chapeau troué.
À mon avis, ta meilleure chronique jusqu’à ce jour!