Ils sont partout, sans qu’on le sache. Des petits locaux colorés. Derrière de vieilles portes en métal, au fond d’un couloir glauque parfois, ou dans les bureaux entassés d’anciennes commissions scolaires. Une petite affiche entre deux adresses, au deuxième étage, au fond, à gauche. Derrière la porte, des enseignes et des affiches, des souvenirs de manifestations soulignés d’une file indienne de logos-subventions.
Ils se retrouvent parfois agglomérés, comme dans un nid, une petite fourmilière, une tanière solidaire. Chacun derrière sa porte, au bureau numéro 1-2-3-4 d’un vieil édifice recouvert de grimpants. Ils ne font pas de bruit, ou on ne les entend que peu, dans les premiers quartiers et les autres, où l’asphalte est plus usé et troué qu’une vieille chaussette. Lorsqu’on examine de plus près ces quartiers non recommandés, on aperçoit les petites enseignes, surplombant les perrons de bois usés. Les gens se frayent un chemin jusqu’à eux tous les jours, parfois à contrecœur, parfois comme s’ils rentraient à la maison.
Ils font peu de publicité, il faut dire qu’ils n’en ont pas besoin. C’est nous, qui avons besoin d’eux.
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Parfois le système ne suffit pas. J’ai envie de dire souvent, car notre réalité d’étudiants universitaires n’est pas représentative de la majorité, faut-il se le rappeler à l’occasion. Dans bien des cas donc, les réponses mises en place par notre système se révèlent inadéquates, désuètes, périmées. Des délais démesurés laissent dans l’impasse des milliers de personnes aux prises avec des problématiques aussi variées qu’accablantes. C’est la magie de notre indécision québécoise entre le privé et le public, notre réponse généralisée: notre bon vieux PPP. Cette solution magique, pas trop de droite, surtout pas de gauche, plait à tous en théorie, mais crée une zone grise assez vaste. Un fossé bien creux dans lequel on peut trébucher quand le public ne peut rien offrir d’un côté, et que le privé est trop cher de l’autre. Un fossé plein de vase qui t’aspire les bottes alors que tu tentes de poursuivre une vie fonctionnelle, de travailler, d’éduquer, de pourvoir à ta famille.
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Ils sont partout, autour de nous. Dans ce système déficient, ils fournissent une issue. Ils forment des organisations nécessaires, voire essentielles à notre maintien. Car le système, c’est nous, même si on se fait un peu honte, des fois.
Quand une de tes bottes est bien enfoncée dans cette zone grise et que ta situation fait partie du «non précisé» gouvernemental, ils sont là. Les organismes communautaires; ces maisons accueillantes sans enseignes, qui ouvrent leur porte quand toutes les autres sont fermées.
Quand une de tes bottes est bien enfoncée dans cette zone grise et que ta situation fait partie du «non précisé» gouvernemental, ils sont là.
Quand le gouvernement ne te subventionne pas l’aide que tu apportes à ton mari vieillissant et malade, 24 sur 24. Quand on t’a coupé ton chèque d’aide sociale, faute d’avoir reçu tes papiers d’immigration à temps. Quand ton chum est violent, et que la police ne peut rien pour toi sans que tu ne portes plainte. Quand tu as eu un accident d’auto qui t’as laissé un traumatisme crânien et l’inaptitude au travail. Quand tu es inapte, tout court. Quand ta mère est bipolaire, que ton chum est suicidaire. Quand tu n’as pas accès à un loyer vivable à cause de ta chaise roulante, ou parce que t’es «un BS». Quand tu t’es fait agresser sexuellement, que tu l’as jamais dit, et que la psy coute trop cher. Quand tu sais pas lire, que t’as pas un sou, ou que tu viens de tomber mère monoparentale de deux enfants TDAH…
Et bien, tu te pointes aux Artisans de la paix, le moral dans tes talons hauts trop petits. Et on te demande comment tu vas, même si t’as surement la gueule la moins conviviale de la Mauricie-Centre-du-Québec.
Vous pensez que j’exagère? Pourtant des gens vivent dans ces circonstances tous les jours, ici. Et souvent plus d’une de ces situations en même temps, parce que la misère ça attire la misère, il parait. «La misère attire la misère et les gens heureux évitent le malheur des autres», il parait. C’est August Strindberg qui a dit ça. Je pense qu’il a raison.
Les organismes communautaires, on n’en entend pas parler. Ils sont dans les fonds de tiroir de la ville, et vivent de subventions. Ils naissent de l’ambition et de la persévérance de ceux qui croient en la solidarité et qui font le choix de donner tout leur temps et leur énergie à apporter leur soutien à ceux qui en ont besoin.
On retrouve plus de 120 organismes communautaires à Trois-Rivières seulement. En travaillant dans ce milieu, j’ai souvent eu à chercher leurs adresses. Je me suis perdue pour trouver leurs cachettes, plus d’une fois. Mais chaque fois qu’on m’a ouvert la porte, c’est avec un sourire vrai qu’on m’a accueillie.
Ces gens-là sont un peu comme le fil qui retient le semblant de tissu social qu’il nous reste. Un peu comme le pissenlit qui s’est frayé difficilement un chemin entre deux craques de trottoir. Là où la rue est à construire, sans que ce soit une priorité.
Bravo Lili, tu es une fille de coeur. Cet hommage aux organistes communautaires te fait honneur.
Merci de nous rappeler que beaucoup de gens souffrent et qu’à quelque part il y a quelqu’un pour le recevoir.
L’originalité de ta chronique fait plaisir à lire. Un jour j’achèterai tes livres pour les lire en m’abreuvant de ton talent.
Merci beaucoup Elyzabeth, ça me touche beaucoup. Contente que tu aies apprécié !
Je te reconnais bien ma belle LILI au grand coeur. Ton intérèt à faire le bien autour de toi et de dénoncer l`injustice. Merci pour tous ces gens qui souffrent et de leur dire que des personnes sont là pour les aider. BRAVO. Joan xoxoxoxo
Wow Joan ! Merci beaucoup je suis heureuse que tu me lises ! xxx