Des élections, qu’elles soient fédérales, provinciales ou municipales, créent toujours un terrain fertile aux échanges. Aux discussions, aux idées, aux confrontations; à l’ignorance. J’ai l’impression que les élections municipales, par leur proximité, sont encore plus porteuses de confrontation. D’une part parce que l’on connait les personnes impliquées, de l’autre parce que sur des questions plus précises, il est plus difficile de se conforter à brasser les mêmes opinions entre amis. Tout le monde est d’accord, tout est beau, pas de chicane dans ma cabane au Canada. Ça peut pas marcher à Trois-Rivières.
Les élections permettent aussi de déceler les différences individuelles, et c’est sans doute ce qui se révèle être le plus grand facteur d’irritation. On se bute à de tristes déceptions lorsqu’on réalise qu’on peut partager les mêmes gouts, intérêts et valeurs que Madame X, mais voter diamétralement à son opposé. Je me suis souvent heurtée à ce genre de constatations, après quelque temps d’amitié, parfois des années. Voilà à quoi ça mène parfois, apprécier les autres pour leurs différences: vous tombez un jour sur une disparité inconciliable. Un désaccord qui vous met dans une posture d’une telle incohérence qu’il est difficile de l’accepter.
Il y a plusieurs explications possibles à ce genre de collision des valeurs qui n’apparait qu’en temps d’élections. Trois types de Madame avec qui il m’a été possible de développer une amitié et de partager humour, discussions et intérêts. Des amitiés dont les feuilles se sont flétries pour finalement tomber face à un climat électoral plus aride et froid.
Madame X: Parfois, on ne partage pas les mêmes valeurs et principes qu’une autre, uniquement lorsqu’on aborde un aspect social. D’une perspective individuelle, nous nous entendons bien, mais voilà, les points de vue de Madame X ne franchissent pas le cap de l’individuel. Si un criminel malmène sa mère bien aimée, elle dira instinctivement qu’il mérite de mourir. Moi aussi, c’est certain, tu touches pas à ma maman. Mais voilà, Madame X est pour la peine de mort d’un point de vue macro aussi. Pas de différence ou de nuance entre son nombril et un pays.
Madame Y: Qu’on se le dise, bien des gens manquent de connaissances en politique. Il est possible de partager des opinions semblables, et d’être outrées par les mêmes inégalités ou par la corruption. Mais voilà, Madame Y croit que Québec solidaire est un parti totalitaire et que le parti conservateur progressiste est réellement progressiste. Elle a intégré, au lieu des notions de base sur les divers modes d’organisation de l’État, les énoncés faciles de son oncle Roger. Elle a entendu Roger dire deux ou trois trucs positifs sur Denis Coderre, et des récriminations peu fondées sur Amir Khadir à la radio. Ses opinions se basent sur ses impressions, résultantes du contenu qui l’entoure. Or, il n’y en a pas beaucoup. Elle ne sait pas ce qu’est la gauche et la droite, alors elle passe tout droit. Elle a peut-être le même cœur que vous, Madame Y, mais elle ne veut pas réfléchir. Il est plus rassurant pour elle, face à un monde politique complexe et intimidant, de légitimer le système et de justifier le statu quo, même si elle en est elle-même désavantagée. Traduction: je veux bien de Madame Y pour échanger des recettes de sauce à spag, mais on changera pas le monde ensemble.
On se bute à de tristes déceptions lorsqu’on réalise qu’on peut partager les mêmes gouts, intérêts et valeurs que Madame X, mais voter diamétralement à son opposé.
Madame Z: Il arrive que l’on ne partage simplement pas les mêmes valeurs. Cela arrive plus souvent qu’à l’habitude, bien que nous ayons toutes deux des connaissances respectables en politique. Madame Z connait les orientations des partis, comprend leurs implications et adhère aux idées opposées aux miennes. Sa définition d’une société en santé est différente de celle que je prône. Elle préconise les libertés individuelles aux collectives, et croit que la réussite en société est tout aussi basée sur des caractéristiques propres. Elle croit en une logique naturelle des choses telles qu’elles sont: les dirigeants et les plus pourvus le méritent, les prolétaires et les souffrants, tout autant. Elle justifie la prospérité par des choix et des efforts. Je l’explique la majeure partie du temps par de la chance. Il est factuel et de l’ordre de la nature, pour Madame Z, qu’il y ait des groupes supérieurs aux autres, vous voyez. Et elle vise nécessairement à faire partie du groupe dominant. Une fois ce constat effectué, je ne voudrais habituellement même plus de la recette de sauce à spag de Madame Z.
En vrai, les temps d’élections fournissent une occasion de confronter nos façons de penser, et bien souvent, de construire nos opinions. Beaucoup d’entre nous ont découvert leur positionnement politique au moment où ils ont eu à voter la première fois. Les questionnements sont incontournables, mais ne se font pas sans heurts. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Se forger des idées, c’est se confronter aux autres, à nos amis, à notre famille, qu’ils soient X, Y, ou Z…
Moi je dois être de l’alphabet grec, ça m’arrive parfois de ne pas partager les mêmes goûts qu’autrui, mais de voter comme lui.