Le cynisme bachelier, c’était le nom de ma première chronique. Ça aurait peut-être dû être le nom permanent de ma section dans le Zone Campus, qui finit trop souvent par un échappatoire à la frustration, et à du sarcasme plus noir que blanc. J’ai lu cette semaine les Entretiens d’Emil Cioran, un écrivain roumain très cynique. Il est selon moi plus philosophe qu’écrivain, simplement qu’il n’écrit pas comme un philosophe typique. Il affirme avoir écrit pour injurier la vie et pour s’injurier, ce qui lui aurait permis de mieux se supporter lui-même, et de mieux supporter la vie. Je vois l’écriture du même angle, cela va s’en dire, bien que le mauvais côté de cet exercice soit d’emmerder les lecteurs à la longue.
Emil Cioran avait le «cafard» de naissance, à ses dires on nait sceptique. Il a imprégné des livres de ce cafard intelligent, de son œil pessimiste mais authentique. On aurait dit que ça lui était impossible d’ajouter du beau à ce qui est fondamentalement laid et vide. Rendre plus attrayante la réalité lui aurait apparu malhonnête, j’ai l’impression. Il a dû en déprimer plus d’un, mais il m’a fait du bien et je vous encourage à le lire.
Cioran est un exemple de choix pour démontrer la valeur de la littérature, de la poésie, de la philosophie, de la musique, ou du cinéma. Ils permettent tous à leur façon de mieux apprivoiser la vie. C’est pourquoi cette semaine, afin de mettre un baume sur tout le cynisme morbide avec lequel je vous tartine depuis l’automne passé, je vais simplement vous partager ce qui me fait du bien. Je ne parle pas d’un jus vert détoxifiant ici, n’ayez crainte. Le tofu, ça fait du bien à la conscience, mais pas à l’âme.
L’art presque perdu de ne rien faire, de Dany Laferrière. Le titre résume bien le propos, trop rarement tenu en nos temps de performance. Très peu de personnes ont la capacité de rester seules, et surtout de ne rien faire. J’ai lu que c’est le signe d’une bonne santé mentale, une fois. Mais je ne crois pas avoir besoin d’une étude pseudo-scientifique pour le savoir. Apprendre à ne rien faire, à observer simplement le monde, ou à faire une sieste sous un manguier, c’est la première étape du bien-être, ou au moins d’une certaine sagesse. On voit mieux le monde qui nous entoure quand on n’est pas nous-mêmes enfoui dessous. On nous charrie que ne rien faire rapporte à la paresse ou à la lâcheté, et on valorise parfois à l’excès ceux qui sont plus actifs qu’un écureuil sur la cocaïne. Qu’est-ce qui est le plus lâche, je vous le demande, entre s’évertuer à courir sans cesse et à s’entourer de tous afin d’éviter son propre reflet, ou divaguer tranquillement sur le divan? Emil Cioran dirait que «l’esprit n’avance que s’il a la patience de tourner en rond, c’est-à-dire d’approfondir.»
C’est pourquoi cette semaine, afin de mettre un baume sur tout le cynisme morbide avec lequel je vous tartine depuis l’automne passé, je vais simplement vous partager ce qui me fait du bien. Je ne parle pas d’un jus vert détoxifiant ici, n’ayez crainte. Le tofu, ça fait du bien à la conscience, mais pas à l’âme.
La soupe tonkinoise. Comme chaque fois que je compte adopter une nouvelle recette, je lis quinze versions différentes de celle-ci, et j’en essaie au moins autant afin de trouver celle que je préfère. Cette recherche-là m’a menée à la petite épicerie asiatique de Madame Hermencita, dont mon collègue Sébastien Dulude a déjà vanté les mérites dans une chronique passée. Elle a carrément mené mon investigation sur la soupe tonkinoise – la soupe Phô, pardon, c’est en fait une soupe Phô. Depuis ce temps, c’est mon repas économique, facile et réconfortant préféré, dans lequel je peux plonger des tranches de steak crues à volonté. C’est facile pour se réchauffer et inviter des amis sans se ruiner. Je ne vous donnerai pas la recette, mais je vous révèle le secret des bouillons asiatiques: le sucre pis le sel. Un shit load.
Sigur Rós. You saï. Je sais pas ce que ça veut dire, et ça doit même pas s’écrire comme ça. C’est en islandais, et ce sont les seuls mots que je peux prononcer en écoutant Sigur Rós. J’y comprends rien, mais je comprends tout, à la fois, à cette musique. Au Centre Bell en avril dernier, on était des milliers à être incapables de même prononcer le titre de notre morceau préférée, mais on jubilait. J’ai jamais vu un spectacle semblable, sans que personne ne s’empresse de sortir à la fin pour éviter la foule de départ. J’ai jamais vu une foule aussi variée non plus. Si ça ne vous dit rien, ce qui est fort probable, repassez-vous Vanilla Sky et soyez attentifs aux You saï. Si ça ne vous emporte pas ailleurs… aidez-vous un peu.
Les chats de quartier. Je vis dans St-Sacrement, quartier qui sera certainement rebaptisé un jour: St-Sacrement-y’a-dont-ben-des chats-icitte. Je vous présente Madame You, la mienne. Obèse, chialeuse, cute pareil. La grâce d’un morse en fin de carrière, miaulement grinçant de chat de ruelle. Dites bonsoir à Monsieur Doucet, la Drag Queen assumée. Immense, poilu, griffes affûtées. Adore grimper sur le poteau d’Hydro dans un excès de rage, avec les oreilles par-derrière, pour te faire le saut. Miaulement de jeune débutante plaignarde. Pensionnaire occasionnel, opportuniste. Puis voici le voisin. Chat d’à côté, jeune apprenti, semi-acrobate. Est déjà tombé de la galerie en chassant sa propre queue. Si ça, ça fait pas du bien au moral…