
Pour la prochaine année, nous sommes en droit d’exiger de nouveaux angles. Comme dans Au revoir là-haut.
«Au revoir là-haut» «On parle d’affaires, pas de vertu.»
Celui ou celle qui regardera la bande-annonce d’Au revoir là-haut, adaptation cinématographique du roman éponyme de Pierre Lemaître (Prix Goncourt 2013), pourra s’attendre à rencontrer un film surréaliste. La beauté de la chose, c’est que ce n’est pas tout à fait le cas.
Pas tout à fait, parce que le film nous présente une histoire d’après-guerre mondiale dans les faits assez plausible, malgré ses accents excentriques. Surfant entre le clownesque, la critique sociale et le drame bien investi, Au revoir là-haut réussit ainsi à surprendre malgré un thème surabondamment exploité.
Cette réussite tient ici à l’angle choisi: en suivant un soldat-artiste défiguré au combat, le film d’Albert Dupontel relate avec une légèreté inattendue un parcours sombre où l’art et la fantaisie sont employés pour transformer la souffrance en jeu, même si ce jeu reste au final éminemment triste. Au revoir là-haut constitue en ce sens un curieux mélange d’humour noir, très «dandyesque», traitant du commerce des morts (cimetières et monuments), de la médicamentation par la drogue, de la corruption municipale et des mariages stratégiques dans une esthétique gamine aux traits hautement grossis (quelques fois un peu trop, mais généralement bien dosé).
À la caméra, la réalisation a en effet opté pour un traitement ludique, frôlant le burlesque, qui crée un contraste intéressant avec la période présentée. En sachant que les thèmes abordés sont réels, «historiques», ce type de traitement a de quoi étonner: on a presque l’impression d’écouter une mise en conte pour enfant de problèmes pour adultes. La beauté de l’œuvre tient toute là: je ne recommanderais pas Au revoir là-haut à un enfant, parce que ce que film aborde, ce qu’il présente, n’a précisément rien d’enfantin.
On a presque l’impression d’écouter une «mise en conte pour enfant» de problèmes pour adultes.
Je dis donc bravo au travail de Lemaître et Dupontel: c’est une œuvre vraiment intéressante (et amusante) à regarder. Une seule grande faiblesse peut en fait être relevée: le manque de raffinement de la conclusion, où tous les enjeux se voient soit trop facilement résolus, soit de manière précipitée. Davantage de travail et de patience aurait ici été de mise. Cela n’enlève toutefois rien au fait que ce visionnement ouvre bien la saison cinématographique de 2018, en nous rappelant qu’il est toujours possible d’aborder des sujets abondamment traités de manière tout à fait originale.
Souhaits Pour une année angulaire
Je me suis passé la réflexion en écoutant le dernier Star Wars (je ne brûlerai aucun punch, soyez rassuré.e.s, vous pouvez continuer de lire) et cette réflexion m’est revenue avec Au revoir là-haut: la chose majeure qui différencie les films grand public et les films de répertoire, c’est le degré d’audace des angles. Je ne veux pas dire par là que les films aux angles connus sont dénués d’intérêt: les films grand public sont agréables à suivre précisément parce qu’ils nous servent des angles auxquels nous sommes habitué.e.s; ils sont parfaits pour stimuler les sens sans faire travailler l’esprit. De ce fait, le mieux auquel peut parvenir ce type de film, c’est peut-être tout au plus de nous offrir des micro-surprises au sein d’une approche qui est suffisamment commune pour que, par exemple, mon père puisse aller fumer une cigarette en plein milieu du film (au cinéma!) et revenir sans être le moindrement perdu.
Comme les voyages, les films de répertoire nous rendent moins blasé.e.s de vivre.
C’est bien, parfois, de se sentir chez soi, mais c’est bien aussi de déplacer les meubles de temps en temps pour faire nouveau.
En ce sens, et pour poursuivre la métaphore, les films aux angles audacieux sont comme des visites à l’étranger. Ils peuvent contribuer de façon significative à nos hygiènes de vie, puisqu’ils augmentent notre seuil de tolérance à la différence, nous rendent mentalement plus flexibles, viennent parfaire notre connaissance du monde et, surtout, nous font redécouvrir avec un plaisir renouvelé des expériences que l’on pensait complètement épuisées (comme lorsque l’on boit une bière à 17$ en Finlande et que l’on se sent forcé en raison du prix de porter une plus grande attention aux arômes). Comme les voyages, les films de répertoire nous rendent moins blasés de vivre.
C’est bien, parfois, de se sentir chez soi, mais c’est bien aussi de déplacer les meubles de temps en temps pour faire nouveau.
Comment identifier hors de tout doute un film à angle original? Voici une méthode simple: lorsqu’on vous demande de décrire une œuvre que vous venez de voir, et que vous vous sentez obligé.e.s d’ajouter, à la fin de votre description: «…mais il faut le voir pour comprendre», vous pouvez ici être assuré.e.s que vous avez cohabité avec quelque chose dont vos mots et vos idées ne suffisent pas encore pour pouvoir l’expliquer sans vous sentir fautif.ve.s.
Je vous souhaite donc, pour 2018, de vous sentir régulièrement fautif.ve.s et limité.e.s lorsque viendra pour vous le moment de décrire les films qui auront croisé votre chemin.