
Le Théâtre du Nouveau Monde présentait, du 27 février au 10 mars, La Détresse et l’Enchantement de Gabrielle Roy, avec Marie-Thérèse Fortin dans le rôle de l’écrivaine.
Au sortir de cette semaine de travaux et d’études, je me rends compte que j’ai tout fait sauf étudier. Je dois être chanceuse, car cette semaine fut pour moi une semaine de repos, de ressourcement et de découvertes. J’ai fait relâche pour pratiquement tout. Y compris la lecture. Et ça m’a fait un bien fou.
C’est pourquoi je ne vous fais pas la présentation d’un livre cette semaine, mais bien d’une pièce de théâtre qui tire sa source d’une œuvre magistrale de notre histoire littéraire québécoise. Plutôt que de relire l’ouvrage, j’ai préféré aller l’entendre, le voir jouer sur scène. D’une durée d’une heure trente sans entracte, le spectacle était construit sous la forme d’un long monologue. Seule sur scène, l’actrice interprétait le texte autobiographique de cette grande écrivaine tant appréciée encore aujourd’hui.
Dès le début du spectacle et jusqu’à la fin, Marie-Thérèse Fortin incarne une femme d’âge mûr qui se remémore son enfance, sa vie, ses parents et ses origines.
Ce fut une expérience particulièrement enrichissante, pleine de beauté et de simplicité. Cela m’a fait revoir l’angle de la recherche que j’effectue présentement dans le cadre de mon projet de fin de baccalauréat. Travaillant sur une œuvre de Gabrielle Roy, cette sortie ne pouvait que m’être bénéfique.
Tout d’abord, l’œuvre en soi est un texte de souvenirs et de ressourcement. Gabrielle Roy replonge en elle-même, elle revit son enfance, elle se remémore son passé et sa relation avec sa mère, son père et ses sœurs plus vieilles. «La détresse et l’enchantement», c’est l’histoire de son enfance, de son affranchissement de son «pauvre peuple dépossédé», comme elle le nommait, jusqu’à l’aboutissement de sa recherche d’elle-même, lorsqu’elle se retrouve à Montréal.
«La détresse et l’enchantement», c’est l’histoire de son enfance, de son affranchissement de son «pauvre peuple dépossédé», comme elle le nommait, jusqu’à l’aboutissement de sa recherche d’elle-même, lorsqu’elle se retrouve à Montréal.
Comme le résumait bien le programme, distribué lors de la représentation, ce livre c’est «l’histoire de Gabrielle Roy. Avant qu’elle ne devienne écrivaine. Avant Bonheur d’occasion. L’histoire d’une quête, entre la détresse et l’enchantement.» Détresse devant la misère de la vie, devant la pauvreté de certaines personnes, devant l’idée qu’elle est, «dans [son] pays, d’une espèce destinée à être traitée en inférieure». Mais enchantement devant la beauté du monde, devant l’étendue de la plaine du Manitoba, devant le sourire d’un enfant, devant l’amour et la joie d’une simple amitié.
Gabrielle Roy est une de ces personnes dont la sensibilité est marquante. Dès la première lecture de ses écrits, on voit la profondeur du regard qu’elle porte sur le monde et sur les gens. Elle a toujours été sensible au sort des Francophones, isolé.e.s dans un pays anglophone. Mais aussi, et surtout, elle a été sensible au sort des immigrant.e.s. Dans son roman «Ces enfants de ma vie», la réalité des jeunes immigrant.e.s est un des sujets principaux dont il est question. La différence de culture, de langage et de situation financière est bien souvent montrée à travers les enfants dont la narratrice aura été l’institutrice.

Toute cette profondeur et cette émotion se retrouvent sur scène, parfaitement bien interprétée, grâce au travail colossal de Marie-Thérèse Fortin et d’Olivier Kemeid, metteur en scène. Les deux sont allés chercher les passages les plus significatifs de l’œuvre, du début à la fin. Ces artistes ont réussi à rendre vivante la jeune fille de St-Boniface, jeune francophone, bambine de sa famille, héritière d’un devoir qu’elle se sera elle-même donné, celui de venger «sa mère, les membres de sa famille nombreuse et ses ancêtres francophones issus de la misère, ballottés au gré du vent.» (Danielle Laurin, programme du spectacle)
Parmi les éléments les plus importants qui ont été retenus par l’équipe de production, la relation entre l’écrivaine et sa mère, depuis sa tendre enfance jusqu’à son éloignement de la maison familiale, est sans doute celui qui a été la plus éloquente. Dès le début du spectacle et jusqu’à la fin, Marie-Thérèse Fortin incarne une femme d’âge mûr qu’était Gabrielle Roy au moment où elle a écrit son autobiographie et qui se remémore son enfance, sa vie, ses parents et ses origines. Et c’est justement la relation avec sa mère qui l’aura marquée jusqu’à la fin de sa vie, alors même qu’elle replonge dans ses souvenirs.
Enchantement devant la beauté du monde, devant l’étendue de la plaine du Manitoba, devant le sourire d’un enfant, devant l’amour et la joie d’une simple amitié.
Le talent de l’actrice pour réciter les phrases de l’auteure, telle quelle ou presque, tout en interprétant l’émotion de chaque parole ainsi que les dialogues entre les différentes personnes décrites dans le livre, tout cela fut pour moi quelque chose de particulièrement impressionnant. J’avais l’impression de voir l’auteure en personne. L’habillement, la coiffure, la voix et l’accent à travers chaque parole, tout cela me faisait voir Gabrielle Roy. Ou me faisait imaginer ce qu’elle avait pu être…
… ou «Celle qu’elle est devenue [et qui] pose sur celle qu’elle a été des yeux rieurs, parfois tendres. Et souvent étonnés. Comme si son passé ressurgissait soudainement. Et qu’elle devait se le réapproprier pendant qu’il est encore temps.» (Danielle Laurin) Cet étonnement, parfaitement bien interprété par Marie-Thérèse Fortin, témoigne de l’ouverture que l’auteure porte envers les autres, envers leur histoire, leurs émotions et leur personnalité. Ouverture vers l’autre, mais aussi vers elle-même. Car on ne se connaît jamais parfaitement, ni jamais autant qu’à la veille de notre mort.
Lecture complémentaire: Gabrielle Roy, La Détresse et l’Enchantement, Montréal, Boréal, coll. Compact, 2012, 505 pages.