
À quel niveau sera l’inflation dans les prochains mois en Amérique ? Est-ce que les problèmes énergétiques de l’Europe ne sont qu’un bluff? L’Asie est-elle arrivée au bout de son cycle de croissance exponentielle? Et l’Afrique alors? Sa jeune population si nombreuse, mais sans emploi est-elle finalement un piège? Autant de questions que se posent actuellement les économistes. Il semble évident qu’on se dirige vers de mauvais jours, vers une récession. À quoi va t-elle ressembler ? On ne sait pas encore, mais on peut y émettre des hypothèses.
Dans la précédente chronique, les leçons de l’histoire ont révélé que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Autrement dit, les récessions économiques semblent être les conséquences de certains comportements économiques au fil du temps. Ces comportements touchent à la fois l’offre et la demande globale. À noter que l’offre renvoi à tout ce qu’on produit et la demande renvoi à tout ce qu’on consomme. Étant donné que la récession est un ralentissement de la croissance, c’est donc généralement du côté de l’offre qu’elle provient. C’est pourquoi les récessions les plus sévères surviennent lorsque les dépenses en investissement augmentent rapidement pendant plusieurs années consécutives. Cette accélération entraine l’augmentation de la capacité de production qui devient excessive par rapport à l’évolution de la demande globale.
Le problème de l’offre excédentaire
Dans « The Age of Oversupply », le banquier de Wall Street, Daniel Alpert, écrit qu’une « explosion mondiale sans précédent de main-d’œuvre bon marché et d’argent bon marché » est devenue « un obstacle central au redémarrage de la croissance ». En lisant la première moitié de son livre, qui diagnostique le problème, je me suis retrouvé d’accord avec la plupart des facteurs qu’il identifie comme étant les causes de cette offre excédentaire : la mondialisation, la baisse des barrières commerciales, trop de dettes, la rigidité des salaires, la rigidité des prix.
Au cours des deux dernières décennies, quelques 3 milliards de personnes se sont ajoutées à l’économie mondiale. Plus de la moitié de ces personnes proviennent de la Chine, de l’Inde et de l’ex-Union soviétique. Plutôt que d’acheter des IPhones ou des Louis Vuitton, ces nouveaux travailleurs choisissent généralement d’épargner leurs revenus. Ce qui provoque une surabondance de capitaux. Les réserves de la Chine étaient de 250 G $ en 2000 et sont probablement plus de 3 000 G $ aujourd’hui. On pourrait ajouter à cela les 5 000 G $ d’impression monétaire des principales banques centrales du monde. Donc, il est facile de voir que le monde nage dans un crédit bon marché.
Dans l’économie réelle (en dehors de la finance) le phénomène d’offre excédentaire s’observe également. On n’a qu’à regarder la variété de produits dans les épiceries et chaque jour, il y en a de nouveaux. Les équipements, le mobilier de maison ou de bureaux, les voitures, les vêtements, tous ces articles abondent dans les marchés. Même au niveau de l’économie numérique. On se retrouve parfois à passer des heures à zapper à la télé parce qu’on ne sait pas quoi regarder tellement il y a de diffuseurs. L’offre est si abondante qu’elle étouffe les consommateurs.
La hausse des taux d’intérêts venant ralentir l’offre
Selon une récente étude de la Banque mondiale, la hausse simultanée des taux directeurs en réponse à l’inflation accentue le risque d’une récession mondiale en 2023. Elle menace surtout les économies de marché émergentes et en développement de crises financières qui engendreraient des dommages durables.
Les principales banques centrales du monde ont augmenté les taux d’intérêt cette année avec un degré de synchronisation inédite. Selon les conclusions de l’étude, ce mouvement devrait se poursuivre l’an prochain. Pourtant, la trajectoire actuellement attendue des hausses de taux pourrait ne pas suffire à ramener l’inflation aux niveaux d’avant la pandémie. Les investisseurs s’attendent à ce que les banques centrales relèvent les taux directeurs à près de 4 % jusqu’en 2023, soit une augmentation de plus de deux points de pourcentage par rapport à leur moyenne de 2021.
La hausse des taux d’intérêt signifie que l’argent (ou le crédit) ne sera plus bon marché. Par conséquent les investisseurs qui alimentent l’offre vont se retrouver un peu paralysés dans leurs démarches. Ils vont certainement revoir leurs prévisions pour ne pas perdre de l’argent. L’inflation est déjà assez élevée et il n’est pas judicieux d’emprunter de l’argent cher à des fins d’investissement. Par conséquent, le rythme d’investissement va ralentir dans les prochains mois. Moins d’investissement veut dire moins de production. Moins de production veut dire une mise au chômage des employés, une perte de revenu des ménages et donc une récession économique.
La prochaine récession sera mondiale
Au moment où cette chronique est rédigée, l’approvisionnement alimentaire mondiale continue d’être perturbée par de multiples facteurs. Ceux-ci vont des conditions météorologiques extrêmes et de la hausse des coûts des intrants à la guerre en Ukraine. Dans un récent rapport, la Banque mondiale montre qu’à moins que ces perturbations de l’approvisionnement et les pressions sur le marché du travail ne s’atténuent, les hausses des taux d’intérêt pourraient laisser l’inflation sous-jacente mondiale à 5 %, soit le double de la moyenne quinquennale avant la pandémie.
Compte tenu des faibles perspectives de croissance actuelles, même un choc négatif modéré pourrait plonger l’économie mondiale dans une récession. Sur la base des observations du Fonds monétaire international, chaque récession mondiale depuis 1970 a été précédée d’une année de croissance mondiale relativement faible. Les projections de croissance pour 2022 et 2023 sont à la baisse pour la plupart des pays, soit dans 90 % des économies avancées et dans 80 % des économies émergentes et les pays en développement.

Pour la Banque mondiale, le ralentissement de la croissance du PIB mondial reflète des baisses prononcées de la croissance dans plusieurs grandes économies telles que les États-Unis, où la croissance a ralenti à 0,9 % au deuxième trimestre consécutif de 2022. De plus, toutes les récessions mondiales précédentes ont coïncidé avec des ralentissements marqués dans les États-Unis. Dès lors, si les États-Unis, qui sont la plus grande économie du monde, tombe en récession, alors plusieurs autres pays tomberont également en récession. C’est une simple conséquence de la globalisation économique.
Références
Alpert, D. (2014). The age of oversupply: overcoming the greatest challenge to the global economy. Penguin.
https://www.imf.org/en/Publications/WEO/weo-database/2022/April/select-aggr-data