Alors que la guerre en Ukraine bat son plein, la Russie continue à approvisionner l’Europe en pétrole et en gaz naturel. Mais les choses pourraient changer d’ici quelques temps, car les européens savent qu’en achetant l’énergie à la Russie, ils financent indirectement cette guerre. Plus encore, la Russie exige maintenant d’être payée en roubles; ce qui laisse présager un divorce inévitable entre les deux parties.
Cette situation met incontestablement en évidence le fait que l’énergie est au cœur des enjeux économiques actuels dans le monde. D’ailleurs, il en a toujours été ainsi depuis la révolution industrielle et la création de la machine à vapeur.
La révolution énergétique
En reconstituant un standard moyen de consommation dans le monde, l’économiste britannique Angus Maddison, a démontré qu’entre l’Antiquité et la fin du 18e siècle, le niveau de vie de l’humanité n’avait que très faiblement évolué. C’est en fait la révolution industrielle du 19e siècle, qui siffla le début de la croissance économique. Le phénomène s’est ensuite fortement accéléré, notamment après la Deuxième Guerre Mondiale. Ainsi, au cours des 70 dernières années, le PIB mondial a été multiplié par 10. Avec une moyenne de 2,9% par an, le monde est entré dans une société de croissance. Et ceci n’a été possible que grâce à la révolution énergétique.
En effet, c’est en transformant le feu des hommes des cavernes en énergie mécanique au moyen de la machine à vapeur, que le physicien écossais James watt a inventé la société de croissance. Il serait toutefois injuste de lui en octroyer l’exclusivité. En 1841 le physicien anglais Michel Faraday découvre l’induction électromagnétique et transforme le travail mécanique en électricité. Puis, quelques années plus tard, le chercheur serbe Nikola Tesla invente le moteur électrique. Ces inventions ont permis de multiplier la productivité du travail et en bout de ligne la création de richesses.
Aujourd’hui, notre société de croissance ne gravite qu’autour de machines à vapeur un peu plus sophistiquées. Les moteurs des voitures, les réacteurs des avions ou les turbines à gaz des centrales électriques ne sont en fait que leurs arrières petits enfants.
Ressource essentielle, mais rare…
Jusqu’à la fin du 18e siècle, le bois était le seul combustible à faire tourner la machine à vapeur. Il aurait pu continuer son histoire énergétique si son utilisation massive n’entraînait pas une explosion des coûts. Aussi, c’est dans le sous-sol de la terre que l’humain est allé chercher ses alternatives, notamment les énergies fossiles. D’abord avec le charbon au 19e siècle, puis avec le pétrole et le gaz au 20e siècle.
Par rapport au bois, les ressources fossiles sont de fabuleux concentrés énergétiques. Par exemple, un puits de pétrole qui en surface occupe à peine un demi hectare, peut fournir durant 20 ans l’équivalent énergétique de 10 000 hectares de forêt. Le bois utilisé à ces mêmes fins aurait rapidement conduit à une déforestation totale de la planète. Il n’est donc pas surprenant que de nos jours, les énergies fossiles représentent 84,3% de la consommation énergétique mondiale.
Mais le problème qui se pose est que ces ressources fossiles sont réparties de manière très hétérogène sur l’ensemble de la planète. Le Moyen-Orient recèle près de la moitié des réserves de pétrole et 43% des réserves de gaz naturel. La Russie, 29% des réserves gazières et de charbon ainsi que 8% des réserves pétrolières. L’Amérique est à la fois charbonnière, pétrolière et gazière. Le Venezuela détient 17,5% de réserves mondiale de pétrole; le Canada 9,7% et les États-Unis 4%. l’Asie est pauvre en pétrole mais riche en charbon. La Chine détient 13,3% de réserves, l’Inde 10,3%, l’Indonésie 3,2%. Enfin, l’Afrique et surtout l’Europe font figure de parents pauvres. Cette dernière ne possède que 6% du charbon 2% du gaz et 1% du pétrole.
A l’origine de déséquilibres économiques majeurs…
Avec une telle disparité dans leur disponibilité, les énergies fossiles deviennent de plus en plus un objet de convoitise des nations.
Au début des années 70, les pays industrialisés qui viennent de connaître près de trois décennies de forte croissance (« Les Trente Glorieuses ») sont largement dépendants du pétrole. Les 2/3 de l’énergie consommée en Europe et aux États-Unis sont importés, principalement du Moyen-Orient. Les émirats pétroliers prennent alors conscience qu’ils sont en position de force. Entre 1970 et 1973, le prix de ce qui est devenu l’« or noir » va doubler. Mais ce n’est qu’un début.
Fin 1973, à la suite de la guerre du Kippour entre Israël et ses voisins arabes, les pays du Golfe réunis dans le cartel de l’OPEP décident, en guise de rétorsion contre les pays alliés à l’État hébreu, de réduire leur production. L’Arabie Saoudite, qui fournissait à elle seule 21% de la production mondiale, va encore plus loin. Elle impose un embargo de ses exportations vers les États-Unis notamment. C’est la panique et le prix du baril flambe. En quelques semaines, il est multiplié par quatre, passant de 4 à 16 dollars US. C’est le premier choc pétrolier.
Les économies occidentales ne pouvaient pas faire face. La croissance s’est effondrée et le chômage a augmenté. Le coup de grâce est donné en 1979. La chute du Shah d’Iran et la révolution islamique dans ce pays, alors important producteur de pétrole, engendre un nouveau doublement du prix du baril, de 20 à 40 dollars US. C’est le second choc pétrolier.
Quelle énergie pour le futur ?
Les chocs pétroliers des années 70 ont entraîné un changement dans le pouvoir politique et économique mondial. A partir de cette époque, les pays de l’OPEP ont compris qu’ils pouvaient désormais influencer des nations puissantes en manipulant l’approvisionnement en énergie. Ce qui a conduit les pays développés à penser à leur transition énergétique; à chercher à ne plus dépendre des énergies fossiles pour ne plus subir le chantage des pays producteurs.
Dès lors, on assiste de plus en plus à des discours qui préconisent l’abandon des énergies fossiles en mettant en avant leurs effets nocifs sur le climat. Certains pays ont alors recours aux éoliennes, à l’énergie solaire, à l’hydroélectricité ou au nucléaire. Mais le problème est que ces sources alternatives n’atteignent pas la capacité de puissance des énergies fossiles.
De plus, il existe une corrélation positive entre la consommation des énergies fossiles, le niveau de développement et même l’espérance de vie. Plus un pays en consomme, plus il peut se développer et les gens vivent plus longtemps. Les pays émergents et ceux en développement ne sont donc pas prêts à abandonner la consommation de ces énergies, car leur vitalité économique en dépend. L’énergie reste et demeure donc au commencement de tout progrès économique.
Références
Smil, V. (2019). Energy in world history. Routledge.
Maddison, A. (2006). The world economy. OECD publishing.
Fouquet, R. (2009). A brief history of energy. International handbook on the economics of energy.
Archanskaïa, E., Creel, J., & Hubert, P. (2010). De l’importance de la nature des chocs pétroliers. Revue économique, 61(3), 511-520.
Smalley, R. E. (2005). Future global energy prosperity: the terawatt challenge. Mrs Bulletin, 30(6), 412-417.