
L’économie a-t-elle vraiment une couleur politique ? Est-elle de droite lorsqu’un gouvernement conservateur est au pouvoir, et de gauche quand les progressistes dirigent ? À première vue, la question semble simple. Après tout, la droite se revendique du marché, de la discipline budgétaire et de la croissance par l’investissement privé, tandis que la gauche se veut plus interventionniste, soucieuse de redistribution et de justice sociale. Pourtant, l’observation des faits, surtout au Québec et au Canada, montre que la réalité est moins tranchée. L’économie, comme la société, se situe souvent dans les zones grises.
Quand la droite emprunte à la gauche

Prenons le cas du Canada sous Stephen Harper (2006-2015). Le chef conservateur, partisan déclaré de la rigueur budgétaire, a hérité de la crise financière mondiale de 2008. Or, que fait son gouvernement ? Il adopte un plan de relance massif, injecte des milliards dans les infrastructures et soutient le secteur automobile en Ontario. Autrement dit, il applique une politique keynésienne classique, exactement le contraire du dogme de la petite taille de l’État souvent associé à la droite.
Certes, une fois la tempête passée, Harper est revenu à ses réflexes conservateurs : réduction d’impôts, gel des dépenses, et un retour à l’équilibre budgétaire considéré comme une vertu morale. Mais le réflexe d’intervention lors de la crise prouve que même un gouvernement idéologiquement à droite ne peut ignorer la logique économique du moment. Quand le marché s’effondre, c’est souvent à l’État, même dirigé par des conservateurs, de venir à la rescousse.
Quand la gauche parle le langage des affaires

À l’inverse, observons le Québec sous les gouvernements libéraux de Jean Charest (2003-2012) et de Philippe Couillard (2014-2018). Ces gouvernements, bien qu’étiquetés « libéraux » au sens canadien, se situent au centre ou au centre droit. Pourtant, ils ont souvent misé sur l’intervention économique directe : Plan Nord, subventions à Bombardier, investissements massifs dans l’hydroélectricité. Ces politiques sont moins inspirées par le libre marché que par une logique d’État stratège, une idée traditionnellement associée à la gauche.
Et même le Parti québécois, qui se réclame de la social-démocratie, n’a pas hésité, lors de ses passages au pouvoir, à séduire les entreprises. Jacques Parizeau, économiste de formation, rêvait d’un Québec souverain, certes, mais aussi compétitif, discipliné et branché sur les marchés mondiaux. Pauline Marois, lors de son court mandat (2012-2014), a poursuivi plusieurs politiques de soutien aux investissements privés, tout en limitant les hausses d’impôt pour ne pas « effrayer » le capital.
L’économie obéit-elle plus aux cycles qu’aux idéologies ?
Ce qui semble émerger, c’est que les politiques économiques dépendent souvent moins de l’idéologie que du contexte économique. En période de croissance, les gouvernements, peu importe leur couleur, prônent la prudence budgétaire et l’équilibre des finances publiques. En période de récession, ils ouvrent les vannes.
C’est ce qu’on a vu récemment avec la pandémie. Justin Trudeau, à la tête d’un Parti libéral qui se veut centriste, mais ouvertement progressiste, a mis en place des programmes d’aide massifs, notamment la Prestation canadienne d’urgence (PCU), les subventions salariales, le soutien aux entreprises. Pourtant, même des économistes conservateurs ont salué ces mesures, les jugeant nécessaires pour éviter un effondrement économique.
L’État-providence, qu’on disait en déclin, a été réhabilité en quelques mois. Et le plus ironique, c’est que la plupart des partis d’opposition, y compris les conservateurs fédéraux, ont appuyé les dépenses massives. Dans un contexte de crise, les étiquettes politiques s’effacent ; il ne reste que le pragmatisme.
La perception du citoyen

Malgré tout, les citoyens continuent souvent d’associer la performance économique à la couleur politique du gouvernement. Les conservateurs se présentent comme de « bons gestionnaires », les progressistes comme des défenseurs de la justice sociale. Mais ces récits, simplificateurs, servent surtout à mobiliser les électeurs.
Les données montrent que la croissance économique ne varie pas radicalement selon le parti au pouvoir. Sous les libéraux de Trudeau comme sous les conservateurs de Harper, le Canada a connu des cycles d’expansion et de ralentissement liés à des facteurs externes : prix des matières premières, exportations vers les États-Unis, taux de change, politiques monétaires de la Banque du Canada.
Au Québec, les gouvernements successifs péquistes, libéraux, caquistes ont tous bénéficié d’une économie mondiale globalement favorable depuis une décennie. François Legault, par exemple, met de l’avant une image d’homme d’affaires à la tête d’un État efficace. Mais sa CAQ, malgré son discours d’austérité et d’« efficacité », n’a pas hésité à multiplier les dépenses publiques dans la santé, l’éducation et les garderies des secteurs typiquement associés à la gauche.
En guise de conclusion
L’économie, c’est un peu comme la météo : tout le monde en parle, mais personne ne la contrôle vraiment. Les politiciens prétendent la modeler à leur image, mais elle répond davantage aux cycles, aux marchés et aux contraintes du monde réel qu’aux idéologies.
Au Québec comme au Canada, la gauche et la droite se retrouvent souvent à faire la même chose, avec des mots différents. Ce qui change, c’est le ton, les priorités, et la manière de raconter l’histoire, pas toujours les résultats.
Alors, l’économie a-t-elle une étiquette politique ? Peut-être, mais elle s’efface vite sous la pression du réel. En matière économique, la couleur du gouvernement importe moins que sa capacité d’adaptation.

