
En l’espace de huit ans, le nombre d’étudiants français au Québec a presque doublé, passant d’environ 6300 à 12 000, aujourd’hui. Face à cette augmentation, le gouvernement québécois a décidé de revoir l’accord bilatéral de 1978, entre la France et le Canada, permettant aux étudiants français de payer la même somme que les Québécois, quand les étudiants étrangers en provenance d’autres pays paient plus de 10 000 $ par an. Il est à noter également que les Québécois bénéficient des mêmes avantages que les Français lorsqu’ils viennent étudier en France, à savoir: la gratuité scolaire.
Comme tout pays, le Canada n’échappe pas à la conjoncture économique actuelle et doit faire des économies. Aussi, le privilège des frais de scolarité accordé aux étudiants français constituerait un gouffre d’environ 75M$. Cette «perte financière» est à nuancer, car les retombées économiques qu’engendrent les étudiants français sont estimées à un milliard de dollars par an pour le Québec, sans compter sur l’apport et le rayonnement que peuvent apporter leurs recherches aux universités québécoises.
Voilà pourquoi le gouvernement avait présenté en février dernier un budget prévoyant des économies de 60M$ dans le fonctionnement des universités, et ce, notamment en révisant «les tarifs et les exemptions» des droits de scolarité. Lors de sa campagne électorale en avril, Philippe Couillard, depuis élu Premier ministre du Québec, avait d’ailleurs promis de tripler les frais de scolarité des Français afin de les aligner sur ceux des autres étrangers et des étudiants du reste du Canada.
Les étudiants français fulminent
Les réactions françaises face à ce projet de loi ne se sont pas fait attendre: Michael Pilater, étudiant et conseiller à l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) est à l’initiative de la pétition «Non à la hausse des frais de scolarité» qui a déjà réuni plus de 4000 signataires. Il ne peut que constater que «les étudiants qui ont commencé un programme ne savent pas s’ils pourront terminer leurs d’études et envisagent même de rentrer en France avant la fin».
Jonathan Bouchard, le président de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), déplore une décision lourde de conséquences : «le gouvernement lui-même, l’ensemble des ministères, refusent d’examiner les répercussions que ça aurait chez les étudiants français, pour les universités, mais aussi pour l’ensemble de la société québécoise».
Quant à Joseph Boju, étudiant et rédacteur en chef du Délit, le journal étudiant francophone de l’Université McGill à Montréal, a souhaité publier un numéro hors-série Québec & France, paru le 3 novembre dernier. Il explique que «les étudiants des deux parties n’étant pas inclus dans le processus de négociation, nous avons décidé d’apporter notre propre voix au chapitre en nous interrogeant sur les tenants et les aboutissants de cette coopération». On peut notamment y lire les opinions de professeurs et élèves des deux nationalités.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Lors de son récent séjour au Canada – du 2 au 4 novembre dernier –, le Président français M. Hollande s’est entretenu à ce sujet avec Philippe Couillard. Aussi, la question est loin d’être réglée, mais la rencontre a néanmoins abouti à une entente de principe: «nous voulons également que les étudiants français puissent continuer à venir ici en continuant de bénéficier d’un traitement spécifique, mais nous voulons également qu’il y ait plus d’étudiants québécois qui se rendent en France dans les universités et éventuellement dans les grandes écoles», a-t-il dit aux journalistes. «Voilà les objectifs sur lesquels nous nous sommes entendus. Maintenant il reste à nos équipes à faire le plus difficile, c’est-à-dire de conclure l’entente sur la base de ces principes», a déclaré le Premier ministre du Québec, Philippe Couillard.
De son côté, François Hollande a prononcé un discours au Salon bleu, en présence des députés, et dans lequel il soulignait les progrès effectués. «Nous avons pu avancer sur des principes qui nous permettront de garder cette spécificité qui permet à des étudiants français de venir ici au Québec, comme d’ailleurs à des étudiants québécois de pouvoir venir en France, dans les universités et dans les grandes écoles. La spécificité n’est pas un privilège. La spécificité, c’est la reconnaissance de notre amitié.»
À suivre.
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Pas vraiment d’inquiétudes de la part des étudiants français de l’UQTR
Actuellement, l’UQTR compte environ 300 étudiants français. Néanmoins, parmi ces 300 étudiants, une grande majorité est ici pour un échange allant d’une session à une année complète. Plusieurs de ces étudiants qui sont ici pour compléter un programme de cours ont été interrogés à propos de cette possible hausse des frais de scolarité.
Ainsi, Clément, qui est au doctorat en Génie des matériaux lignocellulosiques, expliquait que la hausse est assez peu probable et que si elle devait arriver, elle risquerait d’engendrer une perte d’étudiants en cycles supérieurs. «Les budgets de recherche sont déjà très serrés. Je ne suis pas certain que les professeurs auront les budgets pour suivre la hausse. Donc, pour ma part, autant dire que faire un doctorat en perdant de l’argent ce n’est pas vraiment envisageable.» Néanmoins, Clément précise être prêt à «racler les fonds de tiroir» en cas de hausse.
«En tant qu’étudiante étrangère, je suis ravie de payer comme les étudiants québécois actuellement.» – Estelle, étudiante à la maîtrise en Loisir, culture, tourisme.
Estelle quant à elle est poussée à terminer sa maîtrise en Loisir, culture et tourisme plus rapidement à cause de cette possible hausse. «En tant qu’étudiante étrangère, je suis ravie de payer comme les étudiants québécois actuellement.»
Enfin, Marie, une étudiante à la maîtrise de recherche en Mathématiques et informatique appliqués racontait que son choix de venir au Québec l’avait poussé à peser le pour et le contre entre le coût relativement élevé des études ici comparativement à la France, et ses motivations à vouloir partir à l’étranger. En effet, en France, elle payait 3,25 euros par année pour étudier dans un cycle d’ingénierie. Néanmoins, pour elle, la hausse des frais de scolarité n’a pas grand impact puisqu’elle compte terminer sa maîtrise à l’hiver prochain. Mais elle ne cache pas que «si elle avait eu lieu plus tôt, j’aurais laissé tomber la maîtrise. Les limitations dans les revenus que je peux avoir ne m’auraient pas permis de continuer».
Parmi tous les étudiants interrogés, une grande majorité d’entre eux avait participé au programme d’échange CREPUQ, qui permet à des étudiants français de venir suivre des cours dans les différentes universités du Québec.
Pas de bruit du côté de l’AGE
Lorsque l’on parle de cette hausse des frais de scolarité pour les étudiants français au sein de l’Association générale des étudiants, Frédérik Borel, explique que pour le moment aucun étudiant n’est venu consulter les officiers de l’AGE à ce sujet.
En effet, malgré l’existence de l’association COMPLICE, qui regroupe une grande partie des étudiants étrangers de l’université, aucun Français ne s’y est impliqué. Sachant qu’il n’y a pas d’association spécifiquement française, il n’y a donc pas de représentant des étudiants français à l’université. Cette absence explique peut-être le manque de mobilisation de la part des Français de l’UQTR.