Beaucoup s’inquiètent des nouvelles mesures de refonte de l’enseignement collégial. Pour ma part, j’en parlerais surtout pour ce qui est de la science historique, discipline dans laquelle j’ai obtenu mon baccalauréat et enseigné. Au niveau de la méthodologie et de la finesse, l’histoire est une science qui s’est exceptionnellement peaufinée.
Cependant, beaucoup se plaignent lorsqu’ils arrivent au Cégep de suivre des cours «inutiles»: histoire, philosophie, littérature, psychologie, etc. Tout ce à quoi on ne voit pas un lien direct avec sa petite vie. Est-ce que la clientèle a toujours raison? L’éducation était-elle meilleure avant? Est-ce qu’on doit seulement enseigner ce que les étudiantEs trouvent intéressant?
Je n’aime pas vraiment dire que c’était mieux avant, en fait, je trouve ça aberrant. Pour paraphraser Martin E. Hart : à chaque époque, les vieux chialeux disent que c’était mieux avant, puis les vieux chialeux meurent et la roue continue de tourner. Cependant, comme certaines personnalités l’ont fait remarquer, les études supérieures versent récemment de plus en plus dans une sorte de clientélisme. Ce dernier, visant à n’enseigner que ce que la population étudiante elle-même trouve pertinent pour ses formations mène ultimement à un appauvrissement des programmes, de l’éducation, mais aussi, et c’est le plus important, mène à un regard moins critique sur les enjeux sociaux.
Le manque de connaissances nuit à l’esprit critique
Dans n’importe quels mouvements sociaux, on fait les frais et les choux gras de ceux et celles qui rejoignent le mouvement par tribalisme, c’est-à-dire par volonté d’accepter toutes les idées d’un groupe pour faire partie du dit groupe. Les mouvements sont donc souvent poussés par une avant-garde, qui lit, qui critique, qui analyse, etc., et puis, en deuxième temps, par ceux et celles qui suivent l’idée qui leur semble la meilleure. Pour citer l’écrivain Bernard Werber : «Le monde se divise en deux catégories de gens : ceux qui lisent des livres et ceux qui écoutent ceux qui ont lu des livres.»
Les institutions collégiales ont décidé de suivre le pas de ces politiques clientélistes et d’amputer une énorme partie de leur cours d’Introduction à la civilisation occidentale. Sous l’excuse que le temps est trop court (45h de cours pour 5500 ans d’histoire c’est effectivement assez court) les Cégeps ont décidé que la partie correspondant à l’Antiquité (-3500 à 476) et au Moyen-Âge (476 à 1492) ne serait tout simplement plus enseignée… avec toutes les conséquences que cela peut apporter.
Des nains sur des épaules de géants
En plus de promouvoir une vision américano-centriste de l’histoire, cette vision est aussi fondée sur des préjugés. L’histoire d’avant l’arrivée des Européens en Amérique ne pourrait rien nous apprendre et ne serait pas utile à la compréhension du monde dans lequel nous vivons. Or, c’est une vision grandement erronée. En tant que partisan de l’école de la Nouvelle Histoire, je crois qu’il est important d’étudier les disciplines historiques sous la forme d’une histoire des problèmes et des mentalités, en misant sur le caractère continuel de l’histoire dans son déroulement. Il est absurde de tracer une ligne entre deux époques de façon aussi fine et décider de ne pas enseigner la première.
Les racines du monde occidental sont dans l’Antiquité et l’époque médiévale, c’est-à-dire que même notre monde d’aujourd’hui, plus de 2000 ans plus tard, véhicule toujours les mêmes mentalités et les mêmes structures que celle imposée par ces époques. Pour les choses qui ont changé, il est impossible de les comprendre parfaitement si nous n’avons pas connaissance de ce changement, et donc du passé. Faire fi de l’étude de ces époques représente une lacune lorsque les professionnelLEs de demain auront à régler les enjeux de l’avenir.
Une histoire du Québec contemporain
L’histoire de la civilisation occidentale reste aussi affublée d’un manque d’enseignement sur notre histoire à nous. L’histoire d’un Québec contemporain reste une lacune pour l’enseignement supérieur, lacune que le gouvernement Marois avait tenté de régler en imposant un cours obligatoire d’histoire du Québec.
Malheureusement, le projet n’avait pas vu le jour sous le court mandat de la seule femme première ministre. En effet, il a été repoussé par le ministre libéral de l’éducation sous Phillipe Couillard, pour sa portée «politique» et «idéologique»… Une histoire contemporaine du Québec (disons depuis la Seconde Guerre mondiale) permettrait de comprendre les dynamiques de pouvoir entre les différents groupes qui compose la société québécoise et nous apporter les outils théoriques nécessaires pour comprendre les enjeux qui grugent aujourd’hui notre société.
L’histoire québécoise, par son caractère unique, représente un défi pour en comprendre toutes les subtilités, et un manquement à ce niveau donne lieu à des dérives sur la lecture que nous faisons de notre propre passé. En attendant, on va continuer à enseigner la traite des fourrures ad nauseam à nos secondaires 3 et 4, ça leur donnera certainement le goût de suivre cette voie.
En attendant de voir l’issue de l’avenir des cours d’histoire, laissons-nous sur la remarque du doctorant en histoire ancienne Nathan Murray : «Ce qu’on risque d’introduire aujourd’hui, c’est un appauvrissement généralisé du savoir et de la culture historique.»