L’un des sujets les plus intéressants en ce qui a trait à l’histoire du Québec se révèle être ce que j’ai souvent traité comme la double nature ou la double essence québécoise. D’une part, les QuébécoisEs portent le souvenir d’avoir été coloniséEs, d’avoir été un peuple-ouvrier, un peuple-apôtre (comme l’évoquait Monseigneur Louis-Adolphe Paquet dans son célèbre discours de 1902 : La vocation de la race française en Amérique). De l’autre côté, il porte la charge d’avoir été le produit d’une expérience de colonisation et d’avoir perpétué cette dernière. Comme notre devise le dit si bien : «Je me souviens d’être né sous le lys et d’avoir grandi sous la rose».
La politicologue Dalie Giroux exploite ce thème dans son plus récent essai, L’œil du maître, paru aux éditions Mémoire d’encrier. L’essai explore l’imaginaire colonial québécois de manière pamphlétaire dans six essais.
Maîtres chez nous
L’ouvrage tourne tout d’abord autour du slogan «Maîtres chez nous». C’est le point de rencontre de tous les horizons politiques. Ce cri de décolonisation cache cependant son lot de problèmes. L’autodétermination est souhaitée, voulue, mais seulement d’un point de vue canadien-français. Nous n’avons pas éliminé le maître, nous sommes devenu le maître, c’est là la clé de la thèse : «Comment peut-on prétendre s’émanciper, se décoloniser, s’inscrire dans le grand mouvement de libération des peuples, alors même que cette émancipation implique la reconduction des rapports de domination historiques et des racismes qui les irriguent?»
Nous n’avons pas éliminé le maître, nous sommes devenu le maître
Pour comprendre comment accéder à une autodétermination collective et pas juste un néocolonialisme, il faut comprendre notre lien avec les populations autochtones. Si selon Denys Delâge, ces dernières étaient majoritairement cordiales sous le régime français, la Conquête est venue changer la donne : Les Canadiens français se sont détachés de leurs liens avec les Premières Nations, pour ne pas être vus sur le même niveau par les représentants britanniques, pour rester, malgré qu’asservi, un peuple «civilisé».
Nationalisme boucanier
Giroux nous explique que ce phénomène s’est perpétué sous ce qu’elle appelle le nationalisme boucanier. Si pour nombre d’indépendantistes de gauche (comme Charles Gagnon, membre du FLQ puis fondateur du mouvement marxiste-léniniste En lutte!) la décolonisation des Canadiens-Français devait aller de pair avec celle des autochtones et des afrodescendants. Cependant à la suite de l’élection du Parti Québécois en 1976, le discours dominant change : «Le peuple sans État prouvait au colonisateur anglais qu’il était digne de l’État, et propre au pouvoir.» La réappropriation économique de l’État québécois s’est faite en prenant possession des ressources du Nord. En prenant les ressources des territoires autochtones, on assurerait le «maîtres chez nous».
L’alliance des causes autochtones et québécoises est indispensable pour le futur.
L’alliance des causes québécoises et autochtones a été proposée au gouvernement péquiste à deux reprises. C’était en 1978 et en 1981, dans le but de faire front commun contre le Canada anglais. Les deux offres ont été rejetées.
Pour la fin d’un savoir vaseux
L’essai de Giroux contient un chapitre important sur la folklorisation des Premières Nations. De ce phénomène découle un savoir vaseux (epistemic murk). En effet, les générations qui ont grandi avec le cinéma et la télévision se sont vues imposer une image fantasmée des autochtones. Cette image a déformé la façon dont nous voyons leurs histoires et la façon dont nous les incluons dans la nôtre. Nous leur avons imposé ce rôle folklorisé. Ils sont en quelque sorte victimes de l’image qu’on a d’eux, qui leur colle à la peau.
À travers ces critiques, Dalie Giroux tente d’évoquer des pistes pour la réconciliation des nationalismes. C’est la décolonisation qui permettra l’autodétermination des peuples en entier. Une décolonisation du savoir dans un Québec où tous pourront évoluer sans rapport de domination politique. Autrement, nous restons victimes de notre propre colonisation. Ce qui nous amène non pas à détruire l’oppression, mais seulement à la perpétuer.
Cette critique a été réalisée grâce à la collaboration de Coopsco Trois-Rivières. Coopsco Trois-Rivières est une coopérative qui offre à ses membres et clientèle tous les produits et services pour répondre à leurs besoins. Le titre a donc été recommandé par leur libraire et a fait l’objet d’un service de presse.