Mange, lis, aime: L’univers éclaté de Samuel Sénéchal

0
Publicité

«Samuel Sénéchal est un jeune auteur (pas si jeune que ça, mais vraiment très immature…) dont le premier roman Le jour et la nuit, paru en 2012, est passé complètement inaperçu. Néanmoins, il récidive avec un deuxième texte dans lequel critique sociale et humour noir se côtoient à nouveau.» Vous l’aurez compris, l’auteur manie l’autodérision dans sa courte biographie qui meuble la quatrième de couverture de son second roman Les vies nouvelles, publié chez Les productions Désordre et disponible à la Coop de l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Tout porte à croire que Sénéchal, étudiant à la maîtrise en études littéraires et création, voulait à tout prix éviter que sa deuxième œuvre croupisse sur les tablettes. Il a donc respecté les règles d’or du best-seller: un style accessible et humoristique, des personnages colorés et une histoire divertissante dans laquelle les actions s’accumulent.

L’auteur a peut-être trop insisté sur ce dernier critère, si bien que Les vies nouvelles, saturé d’anecdotes imprévisibles, ressemble parfois à un délire sur l’acide: l’on assiste à l’attentat terroriste dans l’un des avions qui a percuté une tour du World Trade Center, à la formation d’une microsociété utopique régie par une dictature douteuse, l’on s’engouffre dans la folie d’un schizophrène, dans le périple d’un duo comique qui fuit les agents secrets ou encore d’un Afghan pourchassé par les talibans et l’on a même accès au monologue d’un mort poignardé.

Par crainte de blaser son lecteur, Sénéchal a voulu mettre en scène un trop-plein d’événements, de lieux et de personnages, en délaissant trop souvent sa belle plume au fond d’un tiroir.

Un quatuor romanesque, mais une voix unique

Les vies nouvelles trace le parcours sinueux de quatre hommes, confronté chacun à un moment charnière de leur vie. Carl Iron chausse tantôt les souliers du dominant, tantôt ceux du dominé: il sera homme d’affaires sans pitié dont sa fortune est estimée à quinze milliards de dollars, pour ensuite croupir fou à lier dans un asile et finalement devenir dictateur d’une société isolée, dont l’un des membres est Marc, à la fois prêtre et amant, renégat et aliéné. Il y a aussi Andrew, «le vieil homme au passé nébuleux» fuyant la police et Damir, un jeune Afghan en exil.

Samuel Sénéchal tisse sa trame narrative sur ces quatre vies en parallèle qui finiront tôt ou tard par se rejoindre. Si les personnages sont – dans l’ensemble – laborieusement construits et diversifiés, leur manière de parler se ressemble étrangement. Dommage qu’une même voix soit cédée à chacun d’entre eux : la parole imaginaire qui résonne dans la tête de Carl lors de ses moments psychotiques aurait pu être plus poignante et les diverses narrations qui traversent le roman auraient été plus personnalisées si l’expression de chacun avait été singulière.

Le Frédéric Beigbeder du Québec

Pas étonnant de retrouver un livre aussi éclaté quand l’on sait que Sénéchal s’inspire de l’œuvre de Frédéric Beigbeder, bien connu pour mettre en scène des débauches monumentales et pour brosser un portrait virulent de la société moderne. Les vies nouvelles reprend ce même canevas en dévoilant des personnages souvent intoxiqués ou dans un piètre état, en mode «lendemain de veille».

«Les vies nouvelles, saturé d’anecdotes imprévisibles, ressemble parfois à un délire sur l’acide».

Sexe, drogue et alcool s’allient à une critique de la publicité qui n’est pas sans rappeler le discours de Beigbeder dans 99 francs, entre autres: «La télévision n’est pas ton amie Carl. Tu dois en être conscient. Les idioties qui sortent de cette boîte à images finiront par te rendre simple d’esprit. Rien n’a de sens. Regarde la vie des créateurs d’images».

Samuel Sénéchal a aussi osé – tout comme Beigbeder dans Windows on the World – faire revivre les événements tragiques de l’attentat du World Trade Center. Qu’on se le dise, le célèbre auteur français n’a certainement pas son pareil, mais Samuel Sénéchal réussit à recréer certains de ses tours de force tout en conservant un style et une histoire bien à lui.

Projet ambitieux et imagination débordante

Contrairement à Flaubert qui s’est fait reprocher d’avoir écrit un livre «sur rien» dans L’Éducation sentimentale, l’on pourrait critiquer à Samuel Sénéchal d’avoir créé un roman sur «trop-plein de choses» dans Les vies nouvelles, si bien que le lecteur en perd l’essentiel.

Relier quatre histoires touffues et bourrées de détails dans un même roman était un pari peut-être trop ambitieux. Chacune de ses vies en parallèle que l’auteur met en scène aurait été plus saisissante si elles avaient été abrégées en quatre courtes nouvelles.

Il faut toutefois le rappeler: Les vies nouvelles reste ponctué de moments forts et d’une touche d’humour singulière et efficace. L’œuvre n’est donc pas à bannir de vos lectures de la rentrée, même qu’elle rajoutera certainement un peu de mordant dans votre vie d’étudiant en manque d’action.

Publicité

REPONDRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici