Mieux vaut en lire: Les enquêtes de Jack Taylor de Ken Bruen

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Photo: Éditions Gallimard, collection Folio
Photo: Éditions Fayard

Connaissez-vous Ken Bruen? Je vous présente cette semaine un auteur qui correspond bien à mon humeur. L’auteur irlandais de polars et de romans noirs est entré dans ma bibliothèque comme un coup de poing sur la gueule, ou comme un lendemain de veille. On en ressort transformé.

Docteur en philosophie, enseignant et grand voyageur, Bruen ne cache pas que l’écriture, la page blanche où il peut exorciser ses démons, l’a épargné du suicide. C’est au retour d’un séjour particulièrement pénible au Brésil (lui-même digne d’un roman noir) que germent les idées à la base des séries qui l’ont fait connaitre. Ce besoin d’expression et de survie, teinté d’un humour aussi noir que le monde qu’il décrit, suinte entre les lignes et happe ses lecteurs, roman après roman.

Une pinte de noir

Dans la série de Jack Taylor, Bruen fait preuve d’une maitrise incontestable des codes du roman noir. Le personnage principal, un antihéros bien plus qu’un héros, est l’ombre de l’homme qu’il a déjà été. Le récit qu’il raconte entre deux cuites, à la première personne, est sombre, cynique, acerbe, mais le tout d’un style élégant, poétique parfois, drôle et touchant, souvent. Le tout saupoudré de références aux maitres du roman noir, de citations, de musique populaire et de poésie. Jack Taylor est un ex-policier des Garda et un alcoolique. Il en faut beaucoup pour mettre un Garda à la porte, mais Jack a fini par franchir la limite en prenant un coup de trop et en frappant un politicien en pleine rue. Par la force des choses et grâce à sa réputation, un certain talent et un caractère obstiné naturel, il devient détective privé, même si les P.I., délateurs, ne passent pas très bien chez les Irlandais. Dans Delirium Tremens, sa première enquête, une femme demande à Jack de faire la lumière sur le «suicide» de sa fille. Elle n’y croit pas du tout, même si la police déclare l’affaire classée. Il refuse au début, mais se laisse convaincre par la mère désespérée et par la liasse de billets qu’elle lui tend. L’intrigue est somme toute assez classique dans le genre, mais la plume de Bruen est extraordinaire.

Une dose d’humour grisant

Jack Taylor est un homme détestable qu’on finit par aimer, parce qu’il pose un regard étrangement lucide sur la société irlandaise dans laquelle il vit, sur la religion, ou plutôt sur le clergé, sur l’hypocrisie, l’amour, les préjugés, les dépendances, les différences et les crimes de haine. Il porte en lui une certaine noblesse triste, une volonté de protéger la veuve et l’orphelin, même s’il ne se croit pas digne de devenir le héros qui sommeille en lui et qui tente de noyer la souffrance qu’il porte à grandes gorgées de café au brandy, de pintes de Guinness et de whisky irlandais. Les phrases courtes sont mordantes d’humour tout au long du livre, même (et surtout) dans les instants après que Jack ait reçu une raclée. Heureusement! Ce serait trop déprimant sinon… Bruen (ou son narrateur?) est maitre des énumérations verticales, des dialogues directs et des répliques assassines qui, en trois mots, en disent plus long qu’une description en bonne et due forme. Je me suis trouvée à m’arrêter très souvent pour relire ces petites pointes savoureuses et impulsives. Le rythme est soutenu et savamment brisé. Les chapitres font rarement plus de deux pages, alors on se dit «encore un», jusqu’à ce qu’on en ait tourné la dernière, chose qui arrive beaucoup trop vite. Au fil de ses enquêtes, Jack alterne entre ses enfers: amour, alcoolisme, toxicomanie et sobriété. Je ne vous conseille pas, à moins que vous soyez masochiste, d’enfiler les neuf romans dont Jack est l’antihéros. Comme Bruen a senti le besoin d’écrire une autre série en parallèle, il vous faudra, à vous aussi, un moment de répit entre deux Jack Taylor. Mais, quand j’ai envie d’un grand polar qui me secouera les puces, je sais que je peux compter sur Bruen et Taylor. Ce sont aussi des livres qui se prêtent bien à la relecture, ce qui n’est pas toujours le cas avec des polars. Le ton, les personnages, la trame de fond et les réflexions sociales sont brûlants d’actualité et d’humanité.

Avec les parutions récentes de Munitions et de Sur ta tombe, Bruen a annoncé que les deux séries qu’il menait de front, R&B (romans mettant en scène les deux inspecteurs londoniens Roberts et Brant, hommage à Ed McBain) et les enquêtes de Jack Taylor, n’auraient pas de suite. Les personnages ne lui parlent plus, alors Bruen prend la bonne décision de s’arrêter avant d’étirer la sauce. Il a aussi signé un bon nombre de hors-séries, en solo ou comme coauteur, dont deux ont été adaptés pour le cinéma. Plus d’une vingtaine de ses titres ont été traduits en français.

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