Ceci n’est pas un article. Aujourd’hui, je sors brièvement de mon rôle de journaliste. Depuis quelques jours, de nombreuses personnes sortent du silence et témoignent de ce qu’elles ont subi, avec le mot-clic #metoo, #moiaussi. J’apporte ma pierre à l’édifice. Moi aussi, ça m’est arrivé.
Oui, moi aussi. Trop de choses, trop de gens, trop souvent, trop longtemps. Sifflements, klaxons, commentaires, insultes, manipulations psychologiques, mains baladeuses, attouchements, viol.
C’est normal tout ça. Alors pourquoi je me sens si mal?
Mais non, ça n’est pas si grave. C’est normal tout ça. C’est la vie. Alors pourquoi je me sens si mal? C’est moi, c’est mon caractère, c’est ma faute. J’avais juste à dire non. J’avais juste à ne rien faire. J’avais juste à ne rien provoquer. J’avais juste à ne pas être là, au mauvais endroit, au mauvais moment. Tout refouler, tout oublier, continuer à vivre. Ou à non-vivre. Il ne s’est rien passé, il ne se passe rien, il ne se passera rien. Je ne suis rien. Juste un pantin.
Le temps passe. La (non) vie continue. Je lis beaucoup, beaucoup, beaucoup, comme toujours. Je m’intéresse au féminisme. Le féminisme, c’est quoi? Un combat passé, gagné depuis longtemps? Je lis encore, plus encore. C’est quoi le viol, c’est quoi le consentement? La réflexion suit son cours, je cogite encore et encore. Puis à force, je finis par comprendre que ce qui m’est arrivé, ça s’appelle du harcèlement, ça s’appelle des agressions, ça s’appelle un viol. La révélation ne m’a pas frappée comme un mur, elle a fini par s’imposer d’elle-même, petit à petit. D’accord. Ce qui m’est arrivé, c’est très courant, beaucoup trop courant, mais ça n’est pas normal. J’ai enfin mis des mots sur la situation. Je peux respirer, je peux vivre à nouveau.
Je vis à nouveau. Et tout se complique.
Je vis à nouveau. Et tout se complique. Parce que maintenant, la réalité, je la prends en pleine gueule. Je vois passer sur Facebook des affaires dégueulasses et des commentaires encore plus dégueulasses. Je finis par ne plus rien lire. Je refuse d’être une victime. Je refuse de laisser tout ça me pourrir la vie. Sortir. Se faire belle, mettre des talons, des jupes et du maquillage. Boire beaucoup trop d’alcool. Flirter activement. Se construire une vie sexuelle un peu trop chaotique. Se débrouiller pour que rien ne marche. Se laisser porter. Perdre le contrôle en pensant tout contrôler.
Le temps passe encore. Les choses se calment, je m’apaise un peu, du moins le crois-je. Je continue. Et pourtant, je sais que je ne peux pas porter une jupe ou une robe sans voir ça comme un défi, boire trop d’alcool sans voir ça comme un défi, parler à un inconnu sans voir ça comme un défi, faire le party sans voir ça comme un défi. J’ai appris à marcher dans la rue sans me faire remarquer, à éviter les eye-contacts, les vêtements trop moulants et l’alcool. Je me fige de peur quand je vois un groupe de gens qui parle trop fort ou qui s’approche trop près de moi.
Maintenant, ça fait sept ans.
Maintenant, ça fait sept ans. Des choses ont changé. J’ai appris à faire confiance. Finalement, j’ai de la chance, beaucoup de chance. D’autres ont connu bien pire. Et je me sens toujours coupable. Coupable de ne pas me sentir encore plus mal. Coupable de bien m’en sortir quand d’autres n’y arrivent pas, quand d’autres ont sombré, quand d’autres ont essayé de dénoncer et se font broyer par le système judiciaire censé les aider. Coupable de me dire que je n’ai pas le courage d’affronter ça moi-même. Coupable de me sentir encore coupable malgré tout…